mardi 22 décembre 2015

La lenteur, Milan Kundera

Je suis toujours ravie de songer qu'il me reste à lire des œuvres de certains auteurs adorés. Parce qu'une fois morts, je sais que j'évolue dans un univers où les ressources sont limitées, de sorte qu'il me faut me rationner, gérer les stocks avec parcimonie et tactique.
Je me garde ainsi quelques Hugo et deux ou trois Zola sous le coude pour les jours de disette, les périodes sombres dont je n'ai pas le moindre doute qu'elles finiront par se manifester, et qu'il me faudra alors un remède de cheval pour parvenir à en venir à bout.
Par chance, Kundera n'est pas encore mort. Je m'autorise donc de temps à autre à progresser dans la lecture de ses romans, espérant qu'il continuera encore à publier et à augmenter les ressources que je ne voudrais pas dilapider, faute de visibilité sur son espérance de vie (D'après Wikipédia, Milan a 86 ans. Il ne faut donc pas que j'abuse).
J'ai donc profité de la déprime hivernale pour me permettre de lire La lenteur.



Le synopsis
Le narrateur est Milan lui-même, qui assiste, avec son épouse Véra, dans un colloque d'entomologie organisé dans un château. Alors qu'il surprend des bribes de conversations et les histoires de certains des participants, il les entrecoupe de références au récit de Vivant Denon, un libertin du XVIIIe siècle, dont l'action se déroulait dans le même château : Madame de T. invite un jeune chevalier à la raccompagner chez elle, il fait la connaissance de son époux qui se retire bientôt, et passe une nuit de passion avec Madame de T. Au matin, il croise en partant le Marquis, amant notoire de la dame, et comprend qu'il a joué malgré lui un rôle significatif dans l'idylle entre le Marquis et Madame de T., qui ont conspiré sa venue avant de détourner les soupçons du mari de Madame de T.

Mon avis

Il est vrai que la lenteur surprend un peu, au regard d'autres romans de Kundera : plus court, une langue un peu différente, ce qui vient de ce qu'il a été écrit en français, une tentative alors inédite pour Milan. Mais j'ai pris plaisir, bien sûr, à réfléchir à des sujets variés insérés dans le récit, lui donnant ainsi une profondeur, une universalité, de sorte que l'on peut se raccrocher à ces pans très singuliers de vie pour voir s'y refléter son expérience propre, et tâcher d'apprendre quelque chose de ce que nous rapporte Milan.
Il est question d'amour, de plaisir, de rire qui humilie plus qu'il ne concilie, de danse, et, comme le titre l'annonce, de lenteur : la lenteur qui incruste dans l'histoire, qui témoigne du bonheur, contre la vitesse qui plonge dans l'oubli et dit le mal-être.
Comme chaque roman de Kundera, La lenteur est le thé à la menthe après les réjouissances : un plaisir gourmand, qui se boit sans soif et sans impératif, et sans lequel il est cependant impensable que l'on ait pu passer un bon repas.


Pour vous si...
  • Vous êtes sensible aux digressions philosophiques de Milan, et elles nourrissent toujours admirablement vos réflexions personnelles et intimes
  • Vous avez le moindre intérêt ou la moindre interrogation sur la nature de l'hédonisme, dont certains se réclament à tort et à travers - Milan va clarifier les choses, au moins vous saurez ensuite ce qu'il en est
  • Il vous arrive d'avoir des obsessions anatomiques inexplicables au point d'être hanté par certains mots que vous voudriez voir dans la bouche de vos congénères

    Morceaux choisis

    "Le degré de la lenteur est directement proportionnel à l'intensité de la mémoire; le degré de la vitesse est directement proportionnel à l'intensité de l'oubli."

    "Etre élu est une notion théologique qui veut dire : sans aucun mérite, par un verdict surnaturel, par une volonté libre, sinon capricieuse, de Dieu, on est choisi pour quelque chose d'exceptionnel et d'extraordinaire. [...] Le sentiment d'être élu est présent, par exemple, dans toute relation amoureuse. Car l'amour, par définition, est un cadeau non mérité; être aimé sans mérite, c'est même la preuve d'un vrai amour."

    "Curieux dilemme : la nudité symbolise-t-elle la plus grande valeur parmi les valeurs, ou bien la plus grande immondice qu'on lance comme une bombe d'excréments sur une assemblée d'ennemis?" (J'imagine la scène cocasse : allons, Milan, un peu de compassion pour vos ennemis, remontez votre pantalon!)

    "Je veux encore contempler mon chevalier qui se dirige lentement vers la chaise. Je veux savourer le rythme de ses pas : plus il avance, plus ils ralentissent. Dans cette lenteur, je crois reconnaître une marque de bonheur."


    Note finale
    3/5
    (cool)

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