samedi 23 janvier 2016

Ce coeur changeant, Agnès Desarthe

Le roman d'Agnès Desarthe a reçu le prix littéraire Le Monde 2015.
Vous me direz, ça vous fait une belle jambe, et à moi aussi d'ailleurs.
Bref, comme j'essaie de me tenir informée du genre de livres qui sont encensés par la critique et qui sont distingués, et bien, j'ai lu Ce cœur changeant.



Le synopsis

Le roman retrace l'histoire de Rose, jeune fille relativement ingénue fille d'un gradé français et d'une aristocrate danoise. Elle n'a pas vingt ans lorsqu'elle décide de quitter son univers protégé pour partir vivre à Paris en 1909, où elle ne connaît personne, et rien de la vie qui l'attend.
Dans une ruelle où elle se retrouve par hasard, la gérante d'un bar, Marthe, lui propose de la loger et de la nourrir en échange de son travail.
Les années passant, Rose va découvrir le labeur et la misère, avant de croiser la route de Louise, jeune femme au tempérament volcanique, mariée et pourtant libre, qui tombe amoureuse d'elle et la prend sous son aile.

Mon avis

Je dois reconnaître que tout, dans Ce cœur changeant, m'a séduite.
Le contexte, en premier lieu, est intéressant : en général, les récits sur la France du XXe siècle portent pour 80% d'entre eux sur la Seconde Guerre Mondiale. Ici, on plonge dans le Paris de la Belle Epoque, et l'on vogue entre les bas-fonds populaires et les milieux mondains, au gré des rencontres que fait Rose durant sa vie.
Ce personnage fonctionne bien, il est attachant tout en restant surprenant : la candeur de Rose semble parfois n'avoir aucune limite. A côté, la figure patibulaire de Marthe ferait presque frémir, tandis que celle de Louise a quelque chose d'envoûtant, Zelada, l'ancienne nourrice de Rose, est une protagoniste captivante qui ne se dévoile complètement qu'à la fin du roman, et, bien sûr, la mère de Rose, Kristina, est saisissante d'excès, de démesure.
Il y a beaucoup d'audace dans les aventures que vit Rose, dans cette intimité et cette passion qui naît entre Louise et elle, dans le caractère orageux de Kristina qui se tient toujours en toile de fond, en juge sévère des faits et gestes de sa fille.
Le récit déborde également d'intelligence dans la peinture ambivalente des relations entre les uns et les autres, dans la façon dont les personnages vieillissent et changent. Avec le temps, petit à petit, Rose cerne sa propre identité qu'elle a cherché à appréhender par tous les moyens, avec une sorte de courage et de persévérance admirable.
La plume d'Agnès Desarthe est à la fois sérieuse et fantasque : sérieuse de par sa structure, son ambition, mais fantasque de par sa liberté et certaines envolées qu'elle n'hésite pas à impulser dans le cours du récit.
Un sacré talent!

Pour vous si...
  • Vous mangez de ce pain-là
  • Vous savez apprécier les tempéraments de femmes dont on pourrait presque dire qu'elles sont révoltées, dans une époque où l'émancipation reste partielle
  • Les rapports mères-filles compliqués vous fascinent

Morceaux choisis

"La chaleur qui régnait dans la pièce était inquiétante. Allait-on rôtir? Allait-on être dévoré?"

"Au salon... J'ai été rebutée par votre laideur. Je ne suis pas habituée. Mais maintenant, vous me plaisez tout à fait. Votre museau, car, vous le savez sans doute, vous ressemblez à une musaraigne ; cela ne peut pas vous vexer, c'est un constat - votre museau est tout différent à présent que je vous connais, à présent que nous nous sommes parlé. Vous avez ce qu'on appelle un physique ingrat, c'est-à-dire une physionomie qui ne vous rend pas justice." (deux mots de contexte : il s'agit de la première rencontre entre un gendre et sa belle-mère - c'est la belle-mère qui s'exprime ici. Ambiance.)

"Kristina vomissait comme d'autres bâillent, par désœuvrement. Elle n'en concevait aucune honte et faisait passer cela pour une délicatesse d'estomac qui la rapprochait, selon elle, des princesses les plus raffinées."

"Quant à Rose, elle divaguait. Dès que l'on touchait ses cheveux, les battements de son cœur ralentissaient, sa mâchoire se desserrait, son corps semblait se dilater et s'élargir. C'était une détente proche de l'endormissement, mais mêlée d'exaltation et d'un sentiment de beauté si fort qu'il vous pulvérisait, vous tuait, vous administrait une bonne mort, onctueuse et ample."

"Elle n'avait pas les détours, les exaltations, les manigances de celles qui cherchent à plaire. Elle jouait sa partition à plat. Ne calculait rien. Elle commettait des impairs, des gaffes. Elle l'avait blessé lui-même tant de fois, à cause de cette manière qu'elle avait de parler sans réfléchir, de ne poursuivre aucun objectif. C'était, en un sens, un stratège de génie, car elle n'avait aucune stratégie. Ainsi ne pouvait-on jamais prévoir la moindre de ses réactions, le moindre de ses gestes.
Elle l'avait embrassé. C'était inexplicable."


Note finale
4/5
(excellent)

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