jeudi 31 mars 2016

Hiroshima n'aura pas lieu, James Morrow

Après l'appel de Pierre Rabhi, un peu de légèreté, avec un roman burlesque de James Morrow, où il est question de lézards géants et de bombe atomique.



Le synopsis

Le roman est présenté comme le témoignage de Syms, une longue lettre qu'il écrit à son agente new-yorkaise, Rachel. Car Syms est acteur, et particulièrement connu pour avoir interprété le rôle de monstres tels que Gorgantis dans les films d'horreur hollywoodiens qui connaissent, dans les années 1940, un véritable âge d'or.
Au cours de l'été 1945, Syms est recruté par l'armée pour mener à bien une action de grande ampleur, qui permettrait de remporter le conflit contre le Japon sans recourir à la bombe. 

Mon avis

Attention, bouquin déjanté!!

Le synopsis le laissait déjà entendre, mais le récit va vraiment loin : imaginez que la seule alternative à l'usage de la bombe nucléaire soit le recours à des iguanes cracheurs de feu. Déjà, ça envoie du lourd.
Mais ce n'est pas tout : pour pouvoir être maîtrisés, les dits iguanes sont constamment sous sédatif (il ne faudrait pas qu'ils aillent malencontreusement ravager San Francisco du fait d'un trop plein d'énergie), ce qui n'aide guère à convaincre les Japonais que la menace encourue par leur pays est réelle.
Afin de déployer un plan d'intimidation d'un groupe de diplomates japonais, Syms est donc recruté pour faire une démonstration qui ne serait donc qu'un simulacre : lui, déguisé en iguane, incendiant la ville de Yokohama.

Pour en arriver là, il faut d'abord que l'armée parvienne à enrôler Syms, et ce n'est pas chose aisée : les dialogues consacrés à cela sont désopilants.
De manière générale, l'humour est le ressort principal de ce roman fou qui réécrit l'histoire sans scrupule, et n'hésite pas à injecter du rocambolesque dans l'un des passages les plus sombres de l'histoire mondiale du XXe siècle.

Petit bémol, on peut rapidement se sentir perdu au milieu des nombreuses références qui sont faites au cinéma de l'époque, et qui contribuent bien entendu à étoffer le contexte, mais sont autant de noms ésotériques pour un béotien.

Un moment de lecture assez inédit, donc, si tant est que le lecteur joue le jeu, accepte de ne se formaliser de rien, et de repousser toutes les barrières de l'imagination en matière de diplomatie et d'affaires étrangères.


Pour vous si...
  • La perspective d'une révision de l'histoire internationale avec plus de panache, de lézards et de fougue vous ravit
  • Vous n'êtes pas trop à cheval sur la précision historique, d'ailleurs

Morceaux choisis

"Ma queue a fouetté le sol dans toutes les directions, renversant les chaises et les corbeilles à papiers. J'ai soudain saisi tout le sens de l'opération Fortune Cookie. En ce bref et lumineux instant, j'ai pensé que Quelle bête brute allait mettre un terme à la guerre dans le Pacifique. Maintenant, je savais ce que c'était que d'être Dieu!"

"Il y a trois règles à respecter pour écrire un scénario, mais une seule face à des flics armés sans humour.
Ne pas essayer d'être drôle."

"Comme moi, Darlène trouvait Siegfried Dagover profondément insupportable, mais elle ressentait une profonde amitié pour sa femme dépressive, Esther, un petit bout de femme naïve, élevée au maïs de l'Iowa, qui peignait des aquarelles innocentes et méritait mieux dans son lit qu'un expatrié allemand monomaniaque aux dents pourries."


Note finale
2/5
(décalé)

mercredi 30 mars 2016

Vers la sobriété heureuse, Pierre Rabhi

En ces temps de course effrénée au toujours plus et d'insatisfaction chronique, je me suis tournée vers une saine lecture, dans l'espoir d'y trouver la solution à tous mes maux, et à ceux de mes pairs.



Le synopsis

Dans cet essai, Pierre Rabhi nous raconte son parcours sous l'éclairage du choix qu'il a fait dès la fin des années 1950, de renoncer à l'opulence pour vivre dans la sobriété, en se recentrant pour cela sur ses besoins essentiels, et en tournant le dos au consumérisme outrancier dont il percevait qu'il contenait les germes de sa propre destruction, et de l'impasse dans laquelle se retrouvait immanquablement l'humanité confrontée à un monde fait de ressources limitées, à l'impossibilité et à l'absurdité de la croissance exponentielle et infinie.

Mon avis

Conformément à mes attentes, j'ai trouvé dans ce petit livre une matière percutante, invitant à réfléchir sur nos habitudes et nos désirs profondément ancrés dans un quotidien dont on s'imagine facilement qu'il n'y existe aucune alternative.

L'auteur expose avec clarté un raisonnement fondé sur le bon sens, démontrant de manière intelligible l'absurdité de nos modes de vie, qui, pris individuellement, ne nous semblent sans doute pas de nature à mettre à mal nos sociétés modernes, mais considérés collectivement, s'avèrent tout à coup insoutenables dans un environnement limité : ainsi perçoit-on le contre-sens contenu dans le terme "d'économie" tel qu'employé actuellement, la folie égoïste à l'oeuvre dans l'exploitation court-termiste des ressources naturelles et le gâchis qui en résulte le plus souvent, l'auto-destruction à laquelle nous sommes promis si nous persistons dans nos ambitions individualistes d'une consommation toujours plus rapide et plus vorace.

A ces constats, l'auteur oppose l'expérience personnelle qu'il a menée depuis des décennies, prouvant par là même qu'une existence faite de modération et d'une connexion plus forte avec la nature n'est pas décevante, et peut faire accéder au bonheur plus sûrement encore qu'une frénésie consommatrice.

Les anecdotes qu'il rapporte sont édifiantes : l'incompréhension à laquelle il fait face est drolatique, lorsqu'il insiste auprès de son banquier pour acquérir un terrain apparemment peu propice à la culture, plutôt qu'un autre plus grand et plus fertile, plus cher aussi, pour des raisons comme la lumière, les projections que sa compagne et lui peuvent faire dans ce lieu, l'apaisement qu'ils y éprouvent.

L'approche proposée m'a paru des plus intéressantes, parce qu'elle ne verse pas dans le discours moralisateur et paternaliste, elle est au contraire pédagogue et simple : c'est le bon sens qui guide les conclusions de l'auteur, sur lesquelles il est difficile, à l'heure actuelle, de ne pas tomber d'accord.

Reste néanmoins à renoncer au MacDo pour pouvoir appliquer les principes premiers énoncés par Pierre Rabhi ; je vais donc y réfléchir encore un peu avant de prendre une décision hâtive.


Pour vous si...
  • Vous trouvez que ce monde marche sur la tête
  • Vous sentez bien que ce désir impérieux de vous dégoter un iPhone 6 a quelque chose d'inquiétant

Morceaux choisis

"Pour un esprit naïf, l'économie est cet art magnifique dont la raison d'être est de gérer et de réguler les échanges et la répartition des ressources, avec le minimum de dissipation et pour le bien de tous, en évitant les dépenses inutiles, excessives, qui porteraient atteinte au patrimoine vital ; l'avarice comme le gaspillage lui sont contraires."

"Modération comme principe de vie et modération comme expérience intérieure constituent l'avers et le revers d'une seule et même quête de sens et de cohérence."

"Changer de paradigme signifie, selon nos aspirations, mettre l'humain et la nature au cœur de nos préoccupations et tous nos moyens à leur service."

"La gouvernance politique se contente de dispositifs sociaux de substitution, comme d'une sorte d'aumône institutionnalisée. A cela s'ajoute l'assistance apportée par les institutions caritatives : Emmaüs, Restos du cœur, ATD Quart Monde, Secours catholique, protestant, populaire, Armée du Salut. Ces élans du cœur suscitent bien entendu notre gratitude, notre admiration, mais contribuent malheureusement à dédouaner les Etats de leur responsabilité, en masquant les symptômes qui devraient permettre un diagnostic plus réaliste, qui inspirerait les décisions radicales et à la hauteur de l'enjeu qu'il est urgent de prendre."

Note finale
3/5
(stimulant)

mardi 29 mars 2016

Nuit de septembre, Angélique Villeneuve

Depuis quelques mois, j'ai pu lire plusieurs romans ayant trait à un sujet qu'il est délicat de constituer en objet de littérature : la perte d'un enfant.

L'exercice n'est pas aisé, l'auteur bien souvent s'apparentant à un funambule évoluant sur un fil tenu, oscillant entre la pudeur et l'épanchement, le juste et le factice, le trop et le trop peu.
Ainsi, sur ce même thème, j'avais été éblouie par la lecture de Camille, mon envolée, de Sophie Daull, et très déçue par Enon, de Paul Harding.

Le roman d'Angélique Villeneuve, Nuit de septembre, a été l'occasion de découvrir un auteur que je n'avais encore jamais lu, et de revisiter ce thème sous un nouvel angle de vue.




Le synopsis

Un matin, la narratrice a trouvé, avec son conjoint, le corps inanimé de leur fils, suicidé.
Nuit de septembre est le récit du deuil, de l'après, du quotidien où l'absence se niche, du regard des autres, de la solitude, et d'une certaine manière aussi, de la reconstruction.


Mon avis

En lisant Nuit de septembre, j'ai été d'abord marquée par la voix de l'auteur, cette façon qu'a la narratrice de s'apostropher elle-même, de se destiner par l'usage du "tu" ce qui s'apparente à un long monologue, minutieux et intime.

Le récit évoque finalement peu le suicide comme tel, et l'histoire du fils : la narratrice s'adonne plutôt à une introspection, une sorte d'observation de ce qui se trame à l'intérieur d'elle-même, comme pour apprivoiser sa douleur, afin de redéfinir son identité, et, partant, de se retrouver.
Car l'obsession lancinante est bien celle de l'identité : qu'est donc une mère qui a perdu son fils?
Les recherches autour de la sémantique révèlent ce qui semble être un vide, une absence dans la langue, ce qui ne se qualifie pas.

Le roman m'a par ailleurs paru original, dans l'approche qu'il propose en matière de style bien sûr, mais aussi dans la posture de la narratrice, dans ce qu'elle exprime de l'expérience du deuil : dans les récits que j'ai pu lire portant sur un sujet similaire, il était bien sûr question de reconstruction, mais le désespoir se conjuguait souvent avec une colère, un rejet qui se traduisait par l'impérieux besoin de tenir à distance tout ce qui rappelait l'enfant perdu.
Ici, la narratrice se caractérise par une réaction singulière : elle analyse attentivement le regard que portent les autres sur elle, et loin de s'échiner à éloigner le moindre souvenir de son fils, elle côtoie ce qui la ramène à lui, visite sa chambre plusieurs fois par jour, ne fuit pas les enfants dont elle croise le chemin, n'est pas blessée lorsque ses proches emploient par mégarde le mot "suicide", ou lui parlent de leurs propres enfants.
Elle est au contraire avide de la vie qui habite d'autres adolescents, elle projette sur ceux qu'elle aperçoit dans la rue des traits de son fils, les liens qu'ils auraient pu avoir avec lui.

Le vertige est présent, à chaque pas, mais il s'habille de décence : le récit d'Angélique Villeneuve n'a rien d'une complainte morne et douloureuse, il donne à voir et à ressentir la perte inacceptable, dans une langue tendre et sensible.


Pour vous si...
  • Vous avez été touché par Camille, mon envolée
  • A l'effusion de sentiments étouffants, vous préférez les récits pudiques et délicats

Morceaux choisis

"Tu as peut-être une intuition, mais tu n'as pas le dire. Pourtant tu cherches, tu voudrais tant.
Savoir combien d'enfants tu as.
[...]
Tu as toujours deux filles vivantes, merveilleuses, mais combien tu as d'enfants, tu l'ignores.
Lorsqu'un enfant meurt, est-on toujours sa mère, est-ce qu'un enfant perd sa mère en même temps que la vie?
Est-ce qu'un fils, tu en as encore un?"

"Annoncer cette mort est confirmer, bien sûr, la force avec laquelle il a été vivant. Alors, en chacun tu viens déposer un soupçon de ses cendres, à peine une pincée dont tu imagines qu'elle se diluera peu à peu mais baignera jusqu'à la fin des temps, délicate, irisée."

"Tu n'as pas peur d'entrer dans sa chambre.
[...]
C'est étrange, mais rien de tout cela ne t'effraie. La douleur est ailleurs. Elle n'est pas dans les lieux, elle n'est pas dans les choses."


Note finale
3/5
(émouvant)

lundi 28 mars 2016

De toutes les nuits, les amants, Mieko Kawakami

Voici un livre qui orne ma PAL depuis des années, et que j'ai été fort ravie de découvrir inopinément dans ma bibliothèque de quartier : j'ai nommé, De toutes les nuits, les amants.



Le synopsis

Fukuyo est correctrice, et travaille depuis peu en free-lance dans l'édition.
Solitaire, elle cultive la distance entre les autres et elle, et ignore tout sentiment passionnel, tout engouement dans son quotidien : les romans qu'elle corrige ne lui laissent aucun souvenir, elle ne s'attache qu'à y débusquer des fautes à rectifier ; elle se tient éloignée de ses collègues de travail, n'a ni ami ni famille proche avec qui elle entretiendrait des liens de connivence.
Cependant, deux personnes vont s'immiscer dans sa vie, chacun à leur manière : Hujiri, une femme extravertie avec laquelle elle est en contact professionnel, et M. Mitsutsuka, professeur de physique dont elle apprécie la compagnie.
Il faut dire qu'il existe une chose qui fascine Fukuyo : la lumière.

Mon avis

A la manière de nombreux romans japonais, on se retrouve immédiatement plongé dans une atmosphère étrange, que l'on se représente et que l'on ressent facilement grâce à la description des lieux, des habitudes, des petites choses du quotidien.

Et, de nouveau, à la manière de nombreux romans japonais, on découvre et l'on se familiarise avec des protagonistes qui ne ressemblent pas aux personnages habituels de romans occidentaux, il s'agirait davantage d'anti-héros, d'hommes et de femmes qui se distinguent de leurs semblables mais non d'une manière qui permette aux lecteurs de s'identifier, non par le biais de traits saillants particulièrement nobles.
Ici, il s'agit de l'absence apparente de sentiments, d'émotions, d'intérêt. A cet égard, Fukuyo est difficile à cerner : le lien qu'elle développe avec Hujiri et M. Matsutsuko est improbable et pour partie inexplicable. Mais c'est cela qui confère au récit une saveur particulière : j'ai eu le sentiment d'avoir affaire à des personnages presque réels, tant leurs imperfections étaient visibles et de l'ordre de celles que l'on croise chez nos pairs, ou en soi.

L'intrigue se dévoile peu à peu, et comme dans la vie, on prend avec le temps connaissance de ce qui sous-tend les particularités des uns et des autres, les secrets inavouables et pourtant si humains, les complexes, les peurs, ce qui abreuve les sentiments de solitude et de vide.

J'ai aimé ce roman qui ne prétend pas me raconter une histoire selon un modèle pré-déterminé, en suivant un story-board et un rythme pensés pour faire naître chez le lecteur des émotions vives, et partant, un peu factices aussi. C'est un roman au contraire qui parle de protagonistes humains, défectueux, qui peuvent ou non se chercher, et peinent à creuser leur sillon dans une société qui laisse peu de place (et aucune visibilité) aux êtres fêlés et un peu différents.


Pour vous si...
  • Vous avez aimé Les années douces, ou tout autre roman de Harumi Kawakami (une autre Kawakami, donc)
  • Vous savez apprécier un récit qui s'écarte des modèles linéaires en matière de littérature

Morceaux choisis

"Il me semblait comprendre que ces livres répondaient d'un côté au désir de quelqu'un de transmettre quelque chose, d'un autre côté au désir de quelqu'un de recevoir quelque chose, une aide, un conseil. Choisirai-je l'amour ou une carrière professionnelle? Ou les deux? Ferai-je le choix de vivre seule, ou celui d'une vie entière avec quelqu'un? Aurai-je des enfants, ou pas? Quels sont les avantages et les inconvénients de tel ou tel choix? Quel renoncement implique telle décision, et qu'y gagnerai-je? Voilà ce dont ces livres parlaient."

"Je suis seule, j'ai pensé.
J'avais toujours été seule, si longtemps, je pensais qu'il n'était pas possible de l'être plus, et pourtant, là, j'étais vraiment seule. Avec tout ce monde autour, avec tous ces endroits partout, cette infinité de bruits et de couleurs compactés, et pas un seul vers lequel je puisse tendre la main. Aucun ni personne pour m'appeler. Ni dans le passé ni dans l'avenir, cela n'existait pas pour moi.


Note finale
3/5
(cool)

vendredi 25 mars 2016

Je vous écris de Téhéran, Delphine Minoui

Ce mois-ci, après la lecture de Six fourmis blanches, la bibliothèque Orange me fait découvrir un roman qui raconte l'Iran.




Le synopsis

Après la mort de son grand-père, auquel la narratrice s'adresse à titre posthume tout au long du récit, Delphine décide de renouer avec ses racines et de se rendre en Iran.
Alors que son intention initiale est d'y séjourner une semaine pour travailler sur un reportage, elle y reste dix ans.
Ce roman retrace son expérience de journaliste, iranienne d'origine mais élevée dans un pays occidental, son attachement avec ce pays qu'elle a découvert adulte, et les transformations politiques et sociales qu'il a subies au cours de ces dix années.


Mon avis

Le roman de Delphine Minoui m'a réservé une bonne surprise.

Tout d'abord, la période évoquée, très agitée et multiple, et particulièrement intéressante. Etant pour ma part peu familière avec l'histoire de l'Iran, cette lecture m'a permis d'aborder ce sujet avec un regard à la fois extérieur et intérieur, dans la mesure où la narratrice a connu le mode de vie dans les pays occidentaux, et est restée suffisamment longtemps en Iran pour en retirer davantage qu'une image d'Epinal, ou qu'une expérience ponctuelle.

Le style journalistique se prête bien à l'exercice, dans la mesure où le récit fait état du contexte politique et social, de ses évolutions, de la façon dont les mentalités changent. A cet égard, j'ai eu le sentiment de lire un témoignage plus qu'un récit romancé ; si certains événements décrits sont noirs, le ton n'est jamais celui du misérabilisme ou du pathos, bien au contraire, l'auteur déploie une prose peu lyrique, qui parvient à décrire précisément les faits et ses propres contradictions, ses déceptions, la douleur de son départ lorsqu'il n'y a plus d'alternative.

Les personnages rencontrés tout au long du roman semblent incarner les différents visages de l'Iran, et ses paradoxes : Mahmoud et sa compagne Fatameh, Niloufar, Sara...
Ils portent les tiraillements des jeunes générations, élevées sous le règne de l'Ayatollah, qui aspirent à plus de libertés individuelles, et sont prêts pour cela à braver certains interdits, dansant et buvant à l'abri des regards, sans pourtant revendiquer ces libertés dans le cercle familial par exemple.

La narratrice raconte les suspicions - voire les menaces- dont elle fait l'objet, la volonté de certains de lui donner une bonne image dans l'espoir qu'elle la véhicule, la peur dans laquelle vivent les Iraniens, sachant que la milice peut faire irruption chez eux à tout instant et les faire disparaître sans laisser de traces, l'espoir fou nourri par l'ascension de Khatami, le mollah réformiste, puis par Moussavi.

Au-delà de la description fine des comportements et de certains modes de pensées, j'ai regretté de ne pas trouver davantage de ce qui nourrit l'amour de la narratrice pour l'Iran, et qu'elle invoque à plusieurs reprises, exprimant son désespoir à l'idée de devoir quitter ce pays où elle n'a pas grandi ; il m'a manqué les couleurs, le relief, les odeurs, ce qui fait qu'un tel attachement ait pu être conçu qui la conduise à rester et à encourir les dangers existants.

Ce n'est pour autant qu'un point de détail, dirais-je, dans la mesure où le roman réussit à transmettre une vision de l'Iran actuel, de ce que le pays a connu depuis la fin des années 1990, et à traduire les aspirations des jeunes adultes, partagés entre le poids des traditions et de l'histoire, et un désir de renouvellement, de mœurs plus libérées, de respect des droits individuels sans crainte de la répression.


Pour vous si...
  • Vous êtes friand du style journalistique
  • Vous vous intéressez à l'histoire récente de l'Iran
  • Vous êtes sensible au regard que peut porter sur son pays oriental d'origine une jeune femme élevée dans la culture occidentale

Morceaux choisis

"A quoi pense-t-on quand on est libre? A ces lignes grises qu'on pourra de nouveau remplir à sa guise. On se dit que le cauchemar est terminé. Qu'on va pouvoir réapprendre à respirer. En réalité, le plus pénible ne fait que commencer. Le plus pénible, c'est d'abandonner l'Iran à sa page blanche."

"En France, je pris conscience que ma génération n'avait plus rien à prouver. Au même âge, nos mères s'étaient battues pour la légalisation de la pilule, pour l'avortement, pour plus de droits sociaux, pour une meilleure reconnaissance professionnelle. Et nous, nous nous reposions confortablement sur ces acquis. Savions-nous d'ailleurs les apprécier? Notre liberté n'était pas un combat, c'était un mode de vie. Tout le contraire des jeunes Iraniens. Tels des acrobates, ils slalomaient au quotidien entre les obstacles qui se dressaient, malgré les réformes, sur leur passage. Du matin au soir, leur vie était un savant arbitrage entre le licite et l'illicite. Du haut de leurs 20 ans, ils bravaient les interdits comme on brave les vagues. Avec panache."

"De part et d'autre, les cris chantaient la division, celle d'un pays tiraillé entre repli nationaliste et désir d'ouverture." (Ahmadinejad versus Moussavi)


Note finale
3/5
(instructif)

jeudi 24 mars 2016

Mars en spectacles

L'heure est venue du point culture du mois ! Je vous propose plusieurs spectacles, à voir selon votre envie du moment.


Le titre, l'affiche et le synopsis sont particulièrement aguicheurs : un homme (pas n'importe lequel, un breton!) a un accident dans les bois par une nuit orageuse.
On reconnaît l'évocation en filigranes de cette légende bien connue de la dame blanche ; la pièce se propose d'étoffer l'histoire, de donner des traits et des motifs à cette femme mystérieuse prompte à causer la perte de pauvres voyageurs, avec une bonne dose d'humour.

Cette représentation présente toutefois la particularité de ne pas respecter la règle du "quatrième mur" propre au théâtre : les acteurs interpellent le public, sillonnent entre les rangs, se mêlent aux spectateurs surpris, et le ton est donné dès que l'on entre dans la salle, lorsque des figures inquiétantes se mettent à roder et à se rapprocher dangereusement d'un public mi-craintif, mi-amusé.

Seul bémol : la fin de la pièce est malheureusement irrecevable et décrédibilise l'intrigue dans son ensemble, faisant fi de toute forme de morale, en privilégiant une clôture gentillette qui m'a laissée abasourdie.

Le spectacle est programmé jusqu'en juin.


Changement de registre, avec une pièce loufoque qui nous emmène dans l'univers d'Hitchcok, aux côtés d'un protagoniste qui s'ennuie, et qui se retrouve soudain malgré lui impliqué dans une affaire de meurtre, ne lui laissant pas d'autre choix que de mener l'enquête pour se disculper, et résoudre le mystère des 39 marches.

Les acteurs sont époustouflants (avec une mention spéciale pour les deux rôles "secondaires", qui brillent quel que soit le costume enfilé), les blagues s'enchaînent, évidemment, à ce rythme, toutes ne font pas mouche, mais la plupart sont hilarantes (mon penchant potache a été comblé).

Côté scénario, tout se tient, et certains passages à l'occasion desquels les acteurs sortent volontairement de leur rôle, cassant ainsi la distance habituelle entre la scène et le public, sont très réussis.
Vous pouvez applaudir la troupe jusqu'à fin mai, rue du Faubourg Montmartre.


Attention, du grand spectacle !

Roméo et Juliette appartient au panthéon des ballets incontournables, d'après la pièce de Shakespeare, chorégraphie de Noureev et musique de Prokofiev, on sait d'entrée que l'on a affaire à l'artillerie lourde.

Costumes somptueux, décors classiques mais raffinés, la mise en scène m'a également convaincue, parvenant même à réaliser des projections futures de manière compréhensible (lorsque le prêtre fournit à Juliette un poison dont l'effet doit se dissiper dans le temps pour lui permettre de feindre la mort aux yeux de sa famille), et les danseurs excellent à exprimer toute la palette des émotions extrêmes dont regorge la pièce.
Les trois heures (entrecoupées de deux entractes) passent sans nous laisser le temps de nous en rendre compte, trop occupés à nous émerveiller du ballet, et les airs entêtants restent en tête bien après la fin de la représentation. 

C'est follement romantique, mais faites vite, les représentations sont prévues jusqu'au 16 avril seulement.


Un décor engageant

Et oui, c'est un peu comme quand On n'est pas couché nous parle avec ferveur du Richard III de Thomas Jolly le 20 février, au point de vous exhorter à fouiller le net à la recherche de places disponibles, et que vous vous rendez compte que la troupe n'était à Paris que jusqu'au 13.

Je crains de ne me voir reproduire cette expérience douloureuse en vous parlant du Trouvère, puisque les représentations sont terminées depuis le 15 mars...

Si la musique de Verdi exalte comme on peut s'y attendre, la mise en scène m'a laissée fort sceptique (des blocs tractés en permanence, que l'on soulève du sol et que l'on replace ensuite, creusant des tombes à l'envi, je vous dis pas l'ambiance), sans parler du livret, qui présente des passages tout à fait de nature à incarner le stéréotype de l'opéra presque bouffe, loin donc du tragique de Verdi ("Va, le temps presse, la mort se dresse" entrecoupé de lancinants "Je me souviens de ma montagne", la bohémienne perd un peu la boule à ce stade, il faut dire...).
Une certaine réserve donc sur cet opéra auquel j'ai préféré, du même compositeur, Aida, mais qui se hisse néanmoins devant Falstaff. J'ai prévu d'aller voir cette année Rigoletto et La Traviata, je vous en dirai plus dans les mois à venir...


Bons spectacles à tous!

mercredi 23 mars 2016

Courrier des tranchées, Stefan Brijs

Courrier des tranchées est un roman qui avait remporté un franc succès auprès du cercle des Explo-lecteurs du site lecteurs.com lors de la rentrée littéraire de septembre dernier.
En dépit d'une petite aversion naturelle pour les récits sur la première et la seconde guerres mondiales (trop d'histoires lues, faut-il croire...), je m'étais promis de surmonter cette réserve et de me plonger dans ce roman-fleuve.
Voilà qui est chose faite.



Le synopsis

John est un jeune homme studieux, passionné de littérature et peu attiré par les campagnes de recrutement de soldats lorsque se déclenche la Grande Guerre en 1914. Exactement à l'inverse de Martin, son frère de lait, issu d'un milieu plus modeste encore, et qui entrevoit dans cet engagement la possibilité d'obtenir une reconnaissance à laquelle il n'a jamais pu prétendre.
Martin s'engage, tandis que John repousse l'heure du choix.
Alors que les hommes tombent au front, John est rapidement stigmatisé, insulté et rabroué par tous ceux qu'il croise, qui lui reprochent d'être lâche et de ne pas être allé défendre son pays.


Mon avis

Malgré son apparence volumineuse, Courrier des tranchées est un roman abordable, qui se lit aisément : la prose est limpide, sans aspérités, et l'on se projette facilement dans l'histoire, auprès des personnages qui ont des caractères marqués, et des doutes comme des ambitions très humains.

Ainsi, on discerne le tempérament de John très rapidement, son inclination pour l'étude, pour la réflexion, loin de ce qui anime et enthousiasme certains de ses pairs plus portés sur l'action, et qui voient la guerre comme une opportunité excitante.

John est réfléchi, et courageux à sa manière, car les pressions dont il fait l'objet ne le détournent pas d'abord de son intention de ne pas s'enrôler. Sa jeunesse rejaillit cependant à travers les sentiments qu'il éprouve pour Mary, et son envie irrépressible de l'éblouir, y compris en s'engageant aux côtés de ceux que Mary admire, et qu'elle ne juge pas poltrons, contrairement à lui.

La description de la façon dont John est fustigé de toutes parts pour son refus de s'engager est extrêmement intéressante, et dévoile les ressorts sociaux à l'oeuvre dans le cadre d'une action collective dont l'individu est moins libre qu'il ne le pense de se dissocier : il lui est difficile de résister à l'isolement et à la répréhension que lui adressent ceux qui se sentent légitimes, parce qu'un de leurs proches s'est engagé ou est tombé sur le champ de bataille. Le pacifisme ou le refus de se battre sont directement traduits comme des actes de lâcheté, comme un défilement honteux.

J'ai regretté que le personnage de Martin ne soit pas davantage exploré : il est évoqué en filigranes, à travers les descriptions qu'en livrent les autres personnages, il est acteur dans les souvenirs de John, mais est en quelque sorte une figure évanescente, qui n'est jamais aussi réelle que dans le dénouement de l'intrigue.

Mme Bromley est un personnage attachant, de même que ses filles à des degrés divers ; d'autres personnages nourrissent l'intrigue sans être véritablement consistants en tant que tels.

Dans l'ensemble toutefois, le roman est bien construit, donne à réfléchir sur des sujets complexes tout en les présentant simplement, et l'on ne s'ennuie guère.

De bons ingrédients réunis pour un résultat très honorable.


Pour vous si...
  • Vous êtes pacifiste dans l'âme, persuadé qu'en temps de guerre, vous n'iriez pas grossir les rangs des soldats (et qu'aucune pression sociale ne viendrait à bout de votre résolution)
  • L'idée d'aller guerroyer avec pour seul motif l'envie de plaire à une fille ne vous paraît pas invraisemblable (ah, les jeunes...)

Morceaux choisis

"Je ne pleurais pas Walter, ni à cause de Gladys, non plus à cause de Mary ; je pleurais sur moi seul, en raison de ce que je n'avais jamais eu et n'aurais jamais. Depuis des années, je menais une vie de pierre. J'en avais pris conscience à mesure que je lisais la lettre. Je regardai autour de moi, la baraque jonchée de lits vides, les gravats sur le sol, les poutres cassées, et je me dis : c'est moi, ça, c'est mon corps, mon âme, un espace où tout le monde n'a jamais rien fait d'autre que passer, où personne n'a souhaité ni pu rester, où le vent et la pluie jouent à leur guise."


Note finale
3/5
(cool)

mardi 22 mars 2016

Zone, Mathias Enard

Comme je vous l'avais raconté peu après la lecture de Boussole, je suis une grande amoureuse de la prose de Mathias Enard. Et si le roman qui s'est vu décerner en 2015 le prestigieux Prix Goncourt m'avait désarçonnée de par le caractère erratique et érudit du fil narratif, j'avais été par ailleurs conquise par Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, et par Perfection du tir (un peu moins par Rue des voleurs). 
Zone était donc sur ma PAL depuis un moment. 



Le synopsis

Le narrateur est un mystérieux voyageur qui traverse l'Italie en train, et nous livre un long monologue où se mélangent ses souvenirs d'agent double officiant sur sa Zone, allant de l'Algérie au Proche-Orient.

Mon avis

Au-delà du synopsis, qui dit bien peu de l'ambition époustouflante du roman, il faut parler du style.

Le style est ce qui frappe en premier, dans Zone : figurez-vous un roman de plus de 500 pages, constitué d'une phrase, une unique phrase, sans majuscules, sans points, seulement entrecoupée par les trois chapitres d'un récit lu par le narrateur.

Narrateur dont on sait peu de choses, et dont les contours se dessinent à mesure que le train roule, et que se déroule son monologue tout intérieur.

Son fil de pensée est foisonnant et épars, les mots se bousculent parfois, sans plus aucune ponctuation, et livrent ainsi des tableaux d'une force inouïe, dans lesquels la violence soudain est palpable par exemple.

Il faut dire que le sujet n'est guère paisible : il s'agit des souvenirs d'un agent double opérant dans une Zone agitée, à la fois d'une fulgurante richesse culturelle, et où les menaces sont multiples, la dangerosité omniprésente, sous mille traits.

Aux côtés du narrateur, dansent les figures de fantômes qu'il emporte avec lui et invoque comme pour conjurer sa solitude : Marianne, Intissar, Stéphanie, Sashka, toutes, réelles ou non, ont joué un rôle dans son existence et l'ont conduit là où il se trouve désormais, quelque part entre Milan et Rome.

Alors, bien sûr, la lecture est ardue, elle n'a rien d'une promenade de santé, car on se trouve face aux pensées intérieures d'un homme qui a beaucoup vu et vécu, on perd le fil facilement, la conquête de Zone se mérite, et peut même paraître abrupte.
En ce qui me concerne, j'y ai trouvé néanmoins de quoi me dédommager de ma peine : le monde déployé par le narrateur est empreint d'une poésie et d'une brutalité d'apparence antinomiques, mais qui trouvent ici l'expression singulière d'une alliance improbable.


Pour vous si...
  • Vous êtes un lecteur averti
  • L'Orient conté par Mathias Enard vous subjugue

Morceaux choisis

"il en est de toutes choses comme des trains et des automobiles, des étreintes, des visages, des corps leur vitesse leur beauté ou leur laideur paraissent bien ridicules quelques années plus tard, une fois putrides ou rouillées, le marchepied franchi me voici dans un autre monde, le velours épaissit tout, la chaleur aussi, j'ai quitté jusqu'à l'hiver en montant dans ce wagon, c'est un voyage dans le temps, c'est une journée pas comme les autres"

"tout est plus difficile à l'âge d'homme vivre enfermé en soi entrechoqué miséreux empli de souvenirs de ne fais pas ce voyage pour rien, je ne me recroqueville pas comme un chien dans ce fauteuil pour rien, je vais sauver quelque chose je vais me sauver malgré le monde qui s'obstine à avancer péniblement à la vitesse d'une draisine manœuvrée par un manchot"

"j'eus pour la première fois l'impression d'être enfermé dans la Zone, dans un entre-deux flou mouvant et bleu où s'élevait un long thrène chanté par un chœur antique, et tout tournait autour de moi parce que j'étais un fantôme enfermé au royaume des Morts, condamné à errer sans jamais imprimer une pellicule photographique ou me refléter dans un miroir jusqu'à ce que je brise le sort, mais comment, comment m'extirper de cette coquille vide qu'était mon corps, j'arpentais Salonique de haut en bas et de bas en haut, les icônes les saints les églises les remparts et jusqu'à la prison de l'Heptapyrghion au haut de l'Acropole"


Note finale
3/5
(inédit)

lundi 21 mars 2016

Foulards et hymens, pourquoi le Moyen orient doit faire sa révolution sexuelle, Mona Eltahawy

Il y a des gens qui ont des envies de fraises ou de cigarettes ; pour ma part, en ce moment, j'ai des envies d'essai. 
Il faut dire que, lisant surtout des romans, les essais ont pour moi le goût de l'aventure, comme une saveur exotique.
Pour satisfaire à cet impérieux besoin, j'ai opté pour un livre abordant un thème pas du tout polémique, et très simple à traiter.



Le synopsis

Partant de sa propre expérience de femme ayant vécu en Egypte et en Arabie Saoudite, ayant elle-même porté le voile pendant neuf ans, l'auteur interroge l'adéquation entre le port du voile et le respect des droits des femmes dans les sociétés où la pratique est répandue (voire encouragée), analysant au passage la situation des femmes et leur place dans ces sociétés, et les implications de l'acceptation de la pratique par les sociétés occidentales.

Mon avis

Voici un essai édifiant, que j'engage tous les lecteurs à découvrir.

Les faits rapportés sont tout d'abord instructifs, sur une question que l'on peut méconnaître ou sur laquelle on préfère ne pas se prononcer, trop conscients du fait que le port du voile est un choix personnel.

Mona Eltahawy à le mérite de s'interroger au-delà de ce choix individuel, et considère cette pratique dans sa globalité, et dans son contexte culturel.

Il est en particulier révoltant de lire les violences de rue dont sont victimes les femmes en Egypte comme en Arabie Saoudite, à travers les chiffres très parlants (quasiment 100% des femmes ont subi de telles violences en Egypte), mais aussi à travers les témoignages de femmes de tous horizons (viols lors de manifestations collectives, attouchements dans les lieux publics...).
Ainsi apparaît-il qu'au-delà du choix personnel, il y a bien souvent une réponse à une situation déplorable, les femmes se réfugiant derrière le voile pour se soustraire aux assauts et aux insultes dont elles sont victimes quotidiennement.

Au-delà de la question du foulard, l'auteur explore également le phénomène des mutilations génitales, perpétrées bien souvent par les femmes elles-mêmes sur leurs propres filles, et qui causent un traumatisme profond (physique et psychique) chez toutes celles qui en font l'objet.

J'ignorais par ailleurs que les femmes n'étaient pas autorisées à conduire, en Arabie Saoudite : elles sont donc soumises au bon vouloir des hommes de leur entourage pour se déplacer, créant des situations loufoques et parfois dangereuses, sans parler de l'entrave aux libertés personnelles que cela génère (l'auteur cite également une allégation d'un responsable religieux affirmant que la conduite aurait des conséquences néfastes sur les ovaires des femmes, induisant des problèmes cliniques chez leurs enfants... Les bras m'en tombent...).

De nombreux points sont ainsi passés en revue et discutés, sur la base d'expériences personnelles et de tout ce qui exprime les limitations imposées aux femmes dans des régions circonscrites.

Il est important, et de l'ordre de notre responsabilité individuelle, ne serait-ce que de savoir que la situation des femmes dans les pays décrits est celle-là, de nous rappeler qu'à l'époque actuelle, certaines femmes ne sont pas les égales de leurs conjoints, de leur frères, ou mêmes de leurs fils, qu'elles connaissent des restrictions sévères et inacceptables de leurs libertés individuelles imprescriptibles.
Derrière les sujets "visibles" comme le port du voile, qui ne sont que la partie immergée de l'iceberg, se trouve la somme incroyable de leurs droits bafoués.

A lire absolument !


Pour vous si...
  • Vous ne savez guère comment vous positionner sur la question du foulard/du voile : après cette lecture, peut-être serez-vous toujours indécis, mais vous aurez déjà un meilleur aperçu des tenants et des aboutissants.

Morceaux choisis

"Par "islamistes", j'entends la définition qu'en donne l'Associated Press : "avocat ou partisan d'un mouvement politique qui soutient la réorganisation des gouvernements et des sociétés afin qu'ils se conforment aux lois prescrites par l'islam." Cette définition inclut les Frères musulmans, les groupes salafistes sunnites ainsi que les milices chiites d'Irak."

"Cette critique sous-entend également que je demande à "l'Occident" de "voler à notre secours". Mais seuls nous-mêmes pouvons nous sauver de nos démons. Je n'ai jamais imploré quiconque de le faire à notre place. C'est à nous de remporter ce combat. En revanche, j'adjure nos alliés occidentaux d'être plus attentifs aux droits des femmes et de refuser qu'un certain relativisme culturel ne finisse par justifier de monstrueuses violations de ces droits. Ce qui n'a rien à voir avec réclamer de l'aide."

"Presque toutes les jeunes filles et les femmes égyptiennes sont ou ont été victimes de harcèlement sexuel. Pour être précis, ce chiffre se monte à 99,3% selon un rapport des Nations unies de 2013."

"Les participants à la toute première conférence sur le harcèlement sexuel qui s'est tenue au Caire en 2009 et a rassemblé des représentants de 17 pays ont conclu que ce phénomène perdurait pour trois raisons : les lois ne le punissent pas, les femmes ne portent pas plainte et les autorités l'ignorent. Conséquence de cette situation, femmes et filles se sentent obligées de camoufler leur corps lorsqu'elles doivent sortir dans la rue et sinon, restent terrées chez elles."

"Même lorsque la Constitution d'un pays déclare - comme c'est souvent le cas - que la charia est l'une des sources de loi, elle n'autorise pourtant jamais l'amputation des mains comme punition d'un vol.
Pourquoi est-il acceptable de négliger la charia en matière de vol mais impossible quand il s'agit des droits des femmes au sein de la famille? La réponse est simple : les lois de statut personnel permettent aux conservateurs et aux religieux d'intensifier leur contrôle de la vie des femmes."

"Nous devons faire le lien entre violence domestique, viol marital, mutilations génitales et violence sexuelle dans la rue, et les définir clairement comme des crimes contre les femmes. Tout comme nous nous sommes tenues aux côtés des hommes pour renverser le président Moubarak, les hommes doivent désormais se tenir à nos côtés."


Note finale
4/5
(très intéressant)

dimanche 20 mars 2016

Demain, l'écrivain pour avertir ou divertir?

A l'occasion de Livre Paris, j'ai assisté hier à un intéressant débat autour du thème suivant :

Demain, l'écrivain pour "avertir ou divertir"?


Naturellement, j'ai pris quelques notes pour vous restituer en substance l'échange auquel la question a donné lieu.

Evidemment, avec ma veine, c'est le moment qu'a choisi Luis pour se gratter le pied


Participaient à cette table ronde animée par Emmanuel Kherad :
  • Cynthia Fleury, psychanalyste et auteur des Irremplaçables
  • Vincent Message, auteur des Veilleurs et dernièrement, Défaite des maîtres et possesseurs,
  • Luis Sepulveda, immense écrivain chilien à qui l'on doit bien sûr Le Vieux qui lisait des romans d'amour,
  • François Busnel, qui anime tous les jeudi l'émission La Grande Librairie, lecteur averti parmi tous.
Avec l'aisance qui le caractérise, François Busnel commence par interroger la problématique, soulignant le fait que la question intéresse plus, selon lui, les journalistes que les lecteurs et les romanciers. Il précise encore que l'écrivain ne doit rien, qu'il ne faut rien.
En tant que lecteur, François lit d'abord pour l'histoire, et aime à être bousculé. 
Ainsi, il partage avec l'assistance le souvenir de la lecture du premier roman publié par Luis Sepulveda, Le vieux qui lisait des romans d'amour, qui l'avait alors bouleversé.
Ce qui n'était pour lui qu'une intuition est devenu en une phrase de Sepulveda incroyablement clair, et l'auteur est parvenu avec ce récit à la fois à avertir et à divertir.

Pour Luis Sepulveda, l'un ne va pas sans l'autre, en effet. 
Luis en profite ainsi pour partager à son tour une anecdote tirée du passé, où, à l'occasion d'une promenade avec un ami à Santiago du Chili, il avait assisté à la brutalité exercée par des policiers sur un groupe d'adolescents manifestant dans la rue, épisode à l'issue duquel il s'était retrouvé emprisonné pour être intervenu. Au lieu d'écrire un article sérieux, il lui avait semblé qu'un article humoristique aurait bien plus de force et d'impact, du fait de la force subversive de l'humour.

La position de Cynthia Fleury par rapport à la question posée est intéressante : à son sens, écrire procède d'un manque, d'une pulsion quasiment mortifère. La question qu'elle-même se pose, est la suivante : comment ne pas laisser la société confisquer la définition du réel? Et son ambition est de faire que du réel non emprisonné surgisse. 
Le divertissement présente néanmoins l'intérêt de sortir du roman à thèse, qu'elle qualifie d'insupportable. Elle est en revanche opposée au divertissement marchandisé, construit pour faire penser ou faire rire d'une certaine manière.

Pour Vincent Message, le débat intellectuel aujourd'hui se pose souvent en deux alternatives . Il préfère quant à lui la littérature inclusive, qui fait plusieurs choses à la fois. Son ambition dans son dernier roman est de faire sortir le lecteur des réflexes de pensée ordinaire, de le dépayser.

François rappelle que, pendant longtemps, le divertissement a été la lie du lectorat en France, car c'est un pays où l'on a l'esprit de sérieux. Cependant, c'est aussi le pays de la comédie, de Molière, qui avertit sous l'apparence du divertissement, et a été un lanceur d'alertes dont les enseignements sont toujours très contemporains. 
Ce choix est lié à l'élégance suprême du divertissement, consistant à utiliser les subtilités de la langue dans une histoire qui fera rire les lecteurs, dans un registre burlesque.
François prend l'exemple de Jean Echenoz, que l'on lit en souriant, ce qui est plus efficace que le rire forcé. En tant que lecteur, on recherche surtout l'émotion, qui va contre l'esprit de sérieux.

Emmanuel Kherad mentionne les romans américains, plus souvent à mi-chemin entre le divertissement et l'avertissement. Serait-ce le propre des livres français que d'être plus sérieux?

Vincent répond en citant Kafka, selon qui le livre doit être le coup de hache qui brise la mer gelée en nous. Cela n'empêche pas le rire, comme en atteste l'humour noir, grinçant, l'ironie kafkaïenne.

François évoque à son tour le polar, car le roman noir divertit, mais n'est pas forcément comique.

Interrogé, Luis fait référence à Molière qui l'enchante (à ce stade, on note déjà que le duo Luis-François fonctionne bien, ne nous étonnons pas si Luis débarque un de ces quatre sur la plateau de France 5, et ce sera pour notre plus grand bonheur) : selon lui, c'est dans la question du style que se trouve la clef. Ce qu'il lui reste de ses expériences difficiles (et je ne parle pas de difficultés semblables à celles rencontrées par Michel, qui ne tombe jamais sur une gentille fille soumise qui veut bien lui prodiguer tout ce qu'il veut sans se moquer de ses problèmes d'érection - ah mince, ce ne sont pas les problèmes de Michel, mais de ses protagonistes, zut alors, je mélange tout-, non, Luis a connu l'emprisonnement du fait de son engagement politique, il a évité la peine capitale et a dû s'exiler pendant des années), est qu'il faut avertir d'une manière compréhensible et séduisante. Le ressenti du défi / de l'importance d'avertir lui est venu de son expérience de lecteur de livres d'écrivains qui pratiquaient cela, en clair, du monde du théâtre. Il importe selon lui de faire une maquette pour voir les mouvements des personnages, et raconter les choses de manière à ce qu'elles n'ennuient pas, un mélange qui est parti du théâtre et qui a gagné la littérature. 

Cynthia rebondit en expliquant qu'il est impossible pour elle de s'imposer le simulacre de devoir séduire, de devoir plaire, le simulacre de la société. Elle ne se soucie pas, pour sa part, de l'ennui du lecteur (à ce point de l'échange, on commence à se méfier méchamment des Irremplaçables, dont on suspecte que la lecture ne va pas être une promenade de santé).

Interpellé, François prend la parole pour manifester son désaccord (le moment où la scène se transforme en ring, misez, pariez, choisissez votre poulain!): on cherche à ne pas ennuyer avant tout par élégance, pour soi, c'est une promesse que l'on se fait.

Luis précise qu'il parlait d'une histoire que l'on se raconte à soi-même, et qui va se rediriger vers le lecteur. Il confirme que l'acte littéraire procède d'un jeu de séduction constant : les mots et le style séduisent l'écrivain pour qu'il recoure à eux.
De son point de vue, si un livre ne parvient pas à séduire son propre auteur, cela signifie qu'il n'est pas terminé. 

Vincent, qui n'a pas quitté la salle (en dépit de ce que mon compte-rendu pourrait laisser penser), indique qu'il n'aime pas le divertissement comme fuite de la réalité. Il existe une littérature qui prospère ainsi, que l'on nomme feel-good litterature, et qui est dans sa conception profondément pessimiste, car elle donne à penser qu'il faut se détourner du réel pour être bien (il n'ose pas nommer qui que ce soit, il faut dire qu'Agnès Martin-Lugand traîne pas très loin et signe des autographes à la pelle, c'est à en perdre son latin, ou à désespérer du goût français en matière de lecture). A l'inverse, quand le divertissement se conjugue avec le réel, il est à son tour séduit. L'exemple qu'il donne pour illustrer ses dires est celui de la Montagne magique, lecture au cours de laquelle il s'était, adolescent, beaucoup ennuyé, mais à laquelle il songe toujours avec nostalgie, se disant qu'elle était extraordinaire (dans le public, la copine de Vincent lui fait des grands signes pour qu'il arrête de dévoiler son côté maso en public, elle en a marre de le voir attirer toutes les dominatrices du coin) (blague à part, j'ai eu une expérience similaire avec L'éducation sentimentale, je te comprends Vincent).

François réagit vivement à cette évocation, puisque l'ennui dans son cas est fatal, il révèle même (et la révélation est choquante) qu'il est incapable de lire James Joyce! (onomatopées outrées dans la salle, dont je suis à peu près sûre que moins de 10% a dû s'atteler un jour à Ulysse)
Il se retourne, pour finir, vers Luis, et lui demande s'il est de ces écrivains qui parviennent, en relisant leur oeuvre et avant publication, à adopter un regard objectif, et éventuellement à renoncer à tout ou partie dont ils étaient pourtant fiers ("Kill your darlings", c'est visiblement l'expression anglaise consacrée).

Luis confirme qu'il a beaucoup d'histoires qui sont restées dans ses tiroirs car il n'éprouvait pas de ressenti avec du recul.
Quelqu'un qui écrit est, selon lui, comme un rabbin qui construit un golem pour son goût personnel : il s'agit de quelque chose dont on s'aperçoit quelquefois que cela ne fonctionne pas.
Le plus grand danger qui guette un écrivain, dit-il encore, n'est pas un mauvais éditeur, mais une mauvaise veuve, faisant référence à ces veuves voraces qui extraient des livres des tiroirs une fois leur époux disparu, ternissant la réputation laissée de son vivant, car si l'écrivain avait délaissé un roman, c'est que la séduction n'avait pas fonctionné. 

Pour conclure, Emmanuel Kherad se tourne vers Cynthia Fleury et lui demande de clôturer en s'exprimant sur le fait qu'il existe ou non une éthique littéraire en France (à ce moment-là, on s'interrogerait presque sur le fait que l'animateur a bien suivi le débat, mais ce serait mesquin, non?).

Cynthia fait état d'un tropisme normatif (à replacer dans les dîners mondains, ça fait très swag : vous reprendrez du dessert? Avec plaisir, en vertu du tropisme normatif qui a régenté la soirée), et précise (encore heureux) en disant que l'on aime en France à créer des catégories. La littérature est cependant immédiatement éthique, selon elle, du fait de l'importance portée à l'autre et au monde.

Une heure fort instructive, qui m'a fort donné envie de relire l'oeuvre de Luis et de regarder en replay la dernière émission de LGL!

samedi 19 mars 2016

Maus, un survivant raconte, Tome 1 : Mon père saigne l'histoire, Art Spiegelman

Vient l'heure du roman graphique de Mars!
Ce mois-ci, j'ai choisi le premier volume d'un classique : Maus, un survivant raconte.
On se croirait dans la ferme des animaux d'Orwell, et c'est fascinant.



Le synopsis

Le narrateur entreprend de traduire en bande dessinée l'histoire de son père, rescapé du camp d'Auschwitz.

Mon avis

La lecture de ce premier tome m'a beaucoup marquée, non seulement par son contenu, mais également par la créativité de l'auteur.

D'abord, dans la représentation des juifs incarnés par des souris, les nazis par des chats, et les habitants occupés par des cochons ; partant d'une citation prêtée à Hitler, selon laquelle les juifs sont une race mais ne sont pas humains, il leur invente des traits nouveaux, démontrant ainsi l'absurdité de l'assertion initiale.

En outre, la langue employée par le père d'Artie est tout à fait singulière, évoque son immigration et le fait que la langue qu'il parle désormais n'est pas sa langue natale. Cela donne un cachet particulier à la lecture, comme si un langage propre au roman se déployait au fil des pages.

La construction narrative est très réussie, alternant les images du passé et celles du présent, l'homme que son père était jadis et celui qu'il est devenu, les petites tracasseries de son quotidien de vieil homme racontées au même titre que certains passages de sa jeunesse qu'il dit ne pas vouloir voir figurer dans l'oeuvre de son fils.

Un lien de connivence fort se crée ainsi entre le narrateur et le lecteur, qui a le sentiment d'accéder à une intimité qui devrait lui demeurer dissimulée, et partant, à toute la vérité.
Cela confère au récit une force incroyable, et contribue à rendre effroyables certains épisodes contés par le père, et qui ne sont pas sans faire écho, bien sûr, à ce que l'on retrouve dans les livres d'histoire, ou évidemment dans les témoignages d'auteurs et de contemporains des faits.

En dépit de ce que l'on peut savoir de cette période de l'Histoire et de ce qu'ont pu endurer les hommes et les femmes juifs, ce roman a une grande valeur éducative et pédagogique, et remplit un rôle important en matière de mémoire collective.

Je ne manquerai pas de vous livrer mon ressenti sur les volumes suivants...


Pour vous si...
  • Seules les histoires vraies ont la faculté de vous toucher ou de vous intéresser ;
  • Vous envisager de vous initier aux romans graphiques : voilà qui peut constituer une excellente entrée en matière.


Note finale
4/5
(très bon)

vendredi 18 mars 2016

Au pays du p'tit , Nicolas Fargues

Nicolas Fargues est un nom qui éveille automatiquement mes soupçons, depuis la lecture de son roman J'étais derrière toi, qui m'avait laissée fort sceptique (et ne vous faites pas avoir, le titre insidieusement allumeur ne tient pas ses promesses).
Ce n'est donc pas libre de toute prudence que je me suis aventurée dans ce Pays du p'tit...



Le synopsis

Le protagoniste, un homme de 45 ans, vient de publier un essai dans lequel il fustige la culture française et les Français. Invité à des conférences pour en faire la présentation, il voyage seul, laissant à Paris sa compagne Caridad.
Homme désabusé et égoïste, il aime à croire qu'il plaît aux femmes parce qu'il se désintéresse d'elle, et que les Français refuseront toujours d'admettre la critique, trop imbus d'eux-mêmes et de leur histoire.
De passage en Russie, il fait la connaissance d'une jeune étudiante, Janka, qui se montre opiniâtre et parvient à lui donner envie de la revoir.


Mon avis

La lecture du roman de Nicolas Fargues m'a laissée complètement perplexe.

Le choix d'un narrateur interne, qui s'exprime à la première personne, est dérangeante : il faut dire que le protagoniste est détestable, un vrai con, exactement à l'image de ce qu'il décrit chez les Français (et qui, je pense, le concerne surtout, lui) : prétentieux, persuadé d'être un intellectuel de haute volée,  d'être élégant et attentionné avec les femmes quand bien même il se comporte comme un abject personage (du genre à prétendre qu'il est égoïste mais qu'il l'assume, alors qu'il passe son temps à dissimuler ses petites infidélités à sa compagne visiblement résignée, laquelle fait davantage office de mère que d'alter ego), convaincu d'avoir raison et d'être un grand séducteur, mais réellement préoccupé uniquement par ses problèmes chroniques d'érection (ah bon, vous aussi, ça vous fait penser à quelqu'un?... Mais oui, c'est bien ça, ça rappelle Michel! Du déjà vu, donc. Au moins, Michel avait l'avantage de la primeur).

Voilà voilà.

Arrive dans le paysage la figure on ne peut plus stéréotypée de Janka, l'étudiante blonde et mince avec des gros seins, qui part à l'attaque, le cherche, qu'il néglige pour finalement consentir à la draguer, se pliant à son petit rituel de séduction à deux sous et exclusivement intéressé par une partie de jambes en l'air.

A mesure que le roman avance, on comprend la place majeure que cette "romance" va prendre dans l'intrigue, et cela nous fatigue d'avance. Rien ne nous est épargné : le rendez-vous galant au musée, les cartes avancées par l'une puis par l'autre, jusqu'à la nuit soit-disant torride, et surtout à pleurer, qui n'a rien de très émouvant ou même de sensuel.

Côté style, on est dans les limbes de la pauvre écriture, les exemples ci-dessous parleront d'eux-mêmes. For the record (l'auteur semble affectionner les touches anglaises) : traduire les phrases en français par l'équivalent anglais de manière quasi systématique n'est pas une bonne idée, ni la preuve de qualités littéraires incontestables. Ça ne donne même pas de cachet, c'est juste pénible.

Voilà donc qui est dommage, parce que les parties dédiées à l'oeuvre produite par le protagoniste et qui fait débat ne sont pas dénuées d'intérêt : il y a, bien sûr, de gros traits par moment, mais il y a aussi des remarques justes, ou en tout cas, des questions qui ont le mérite d'être posées par ce biais, et qui auraient gagné à être développées.

Bien entendu, l'approche reste singulière, dans la mesure où le protagoniste incarne tout ce qu'il reproche aux Français et qui fait, selon lui, de la France, un pays exécrable ; la mise en abym est assumée, tout comme le choix d'un protagoniste odieux que l'on se plaît à détester.

Malheureusement, l'intrigue ne nous mène pas bien loin, la relation nouée avec Janka est anecdotique et insignifiante, et celle entretenue avec Caridad n'est pas plus enthousiasmante.

Le livre aurait pu être brillant, et très intelligent (car enfin, la littérature n'a pas pour objet de dépeindre exclusivement des protagonistes héroïques) ; au lieu de quoi, il manque d'âme, et me reste à l'issue de la lecture, comme un flottement, le vague sentiment que l'on s'est peut-être moqué de moi.


Pour vous si...
  • Vous vous plaisez à comparer les Français aux représentants d'autres nationalités, et à réfléchir à la "spécificité française"
  • Vous êtes un fervent adorateur de Michel Houellebecq

Morceaux choisis

"Pourquoi fallait-il, à bientôt quarante-cinq ans, qu'une lolita vienne toujours se mettre en travers de mes bonnes résolutions? Ne m'étais-je pas montré assez dissuasif? Pourquoi n'y a-t-il pas un âge où la vie finit naturellement par vous détourner du désir? Au fond, pensai-je, ce qui me rendait irrésistible aux yeux des femmes, ce n'était pas uniquement mon charisme, mes capacités d'écoute et mes bonnes manières. C'est que je leur donnais l'impression de n'avoir rien à perdre à leur dire non."
(Mais... Mais... Ne serait-ce pas...? Je ne peux pas le croire... Vraiment, est-ce possible?... Tout à fait, ma bonne dame : une démence mégalomane dont tout enseignement ne vaut rien de plus que de la matière fécale! Et encore, la matière fécale est potentiellement un bon engrais pour la terre, alors que là...).

"Le train de Janka Kucova entra en gare, aussi ponctuel qu'un TGV. D'ailleurs, c'était un TGV." (quand je vous disais que rien ne nous était épargné)

"_Pourquoi ne voulez-vous plus d'enfants?
_Parce que je ne veux plus m'encombrer de rien dans ma vie. Avec la maturité, je suis progressivement devenu un égoïste qui s'assume." (AH AH, le mec s'assume mais ça ne l'empêche pas de raconter à sa compagne qu'il est allé à Moscou avec son éditeur, et qu'il y a bien une étudiante qui l'a chauffé, mais qu'elle est grosse et moche, meilleure répartie du bouquin, d'ailleurs...)

"Vous n'avez qu'à vous décourager, cela m'est bien égal. Just lose your heart, then. I don't care." (et cette odieuse manie de traduire par l'exact équivalent anglais ne se diluera pas au fur et à mesure de la lecture, bien au contraire...)

"Janka Kucova avait beau tenter de le dissimuler, elle était éblouie. Tout dans son attitude indiquait que, jusqu'ici dans sa vie, aucun homme n'avait fait montre d'autant d'attentions à son égard. Je l'intimidais. Mes largesses et mon élégance la touchaient autant qu'elle m'était reconnaissante de lui faire découvrir une sensation nouvelle : être prise en charge par un homme, le confort et la sécurité auprès d'un homme. Je la faisais soudain évoluer dans un univers haut de gamme rappelant le cadre des comédies romantiques au cinéma. Je lui montrais que cela pouvait exister dans la vraie vie aussi et, surtout, que c'était très agréable. Les jeunes femmes nous impressionnent, mais elles n'ont rien vécu. N'étant sorties qu'avec des ploucs égoïstes et radins à l'intelligence limitée, elles ne savent pas ce que c'est, un homme élégant et vraiment attentionné. Il y a une Pretty Woman dans chacune d'entre elles." (...) (je vous laisse juger par vous-même)

"_Ah, vous aussi vous me trouvez méchante.
_Manipulatrice, plutôt. Belle et intelligente comme vous êtes, vous agissez comme ça pour vous protéger ou pour vous rassurer? Pourquoi ne pas se comporter plus simplement? Why don't you just let it go?
Elle baissa les yeux. J'avais beau lui livrer une psychologie taillée à la serpe, je sentais qu'elle appréciait que je sache élever un débat."
(AH AH AH!! Elle est trop bonne celle-là!!!)

"Jusqu'à ce qu'un type comme moi lui fasse l'amour avec bonheur, une femme peut passer une vie entière en ignorant que cela existe. Pas de fausse modestie : les filles les plus désinhibées trouvaient chez moi un alter ego stimulant et je révélais à elles-mêmes les plus réticentes.
Sous mes yeux, j'avais ses gros seins qui, comme deux bombes à eau, s'étalaient rien que pour moi de part et d'autre de son buste."
(et on atteint les sommets de la littérature...)


Note finale
1/5
(flop)

mardi 15 mars 2016

Vernon Subutex 2, Virginie Despentes

Vous vous souvenez, en janvier, quand je vous parlais du tome 1 de Vernon Subutex, de Virginie Despentes?
Et bien, c'est simple, c'est la suite.



Le synopsis

Vernon s'est donc retrouvé à la rue, avec sur ses traces la Hyène dont la mission est de récupérer à tout prix le dernier enregistrement du regretté Alex Bleach, que Vernon a laissé dans l'appartement de Sylvie, la folle furieuse qu'aucun d'entre nous ne voudrait jamais rencontrer.

Après la bagarre en pleine rue qui a valu à Xavier de se retrouver dans le coma, Vernon a pris ses distances, si bien qu'à présent, ses anciens potes le cherchent partout.

Lorsque la Hyène parvient à mettre la main sur l'enregistrement, elle découvre qu'il concerne une ancienne conquête de celui qui l'a mandatée, Vodka Satana, déjà évoquée dans le tome 1.
Mais au lieu de restituer la cassette à Dopalet, la Hyène décide de procéder autrement.

Mon avis

C'est assez bizarre, mais je dois vous faire part d'une expérience tout à fait singulière et relativement unique en la matière : ce tome 2 m'a fait l'effet d'un boomerang, un truc qui t'en met plein la figure sans que tu comprennes comment tu as pu ne pas le voir arriver.

Il faut dire que le tome 1 m'avait fait passer un assez bon moment, mais n'avait pas été la révélation de l'année. Alors que ce nouveau volume s'en rapproche de manière troublante.
A l'heure où les sagas ne sont bonnes qu'à décliner en termes de qualité, et où l'intérêt décroît à mesure que la lecture avance (bonjour Suzanne Collins, Veronica Roth et autres Diana Gabaldon et Stephanie Meyer, qui vous êtes évertuées à faire croire à des milliers de lecteurs que nous étions condamnés à ne connaître que des tomes 2, 3 voire 4 infiniment décevants par rapport au premier) (déso Virginie de mettre le nom de ces dindes dans un post sur ton livre), Vernon Subutex 2 a été mon étoile filante, ma potatoe égarée dans ma frite géante classique.

Je ne saurais pas vraiment définir précisément ce qui a pris qui n'avait pas pris dans le premier livre, mais force est de constater que l'agacement que j'avais ressenti en lisant certaines pérégrinations de Vernon s'est complètement dissipé, et que les tribulations des uns et des autres m'ont absorbée.
A la réflexion, il est possible que le personnage de Vernon, très central dans le premier volume, ne me soit pas particulièrement sympathique ou intéressant ; dans ce nouveau volume où il apparaît beaucoup moins, bien qu'il reste présent dans les conversations des protagonistes, j'ai eu plaisir à suivre l'évolution de la Hyène et d'Anaïs, d'Aïcha, de Céleste, d'Antoine Dopalet, de Charles et Véro, de Daniel, de Pamela Kant, et même de Loïc et de ses supers copains.

Il y a toujours ce style alerte, qui ne mâche pas ses mots, cette étrange combinaison de registre familier, parfois un peu rugueux, et de musicalité dans le phrasé, qui fait qu'on prend goût à la prose détonante et personnelle de Virginie Despentes.
C'est le quotidien raconté avec verve, qui prend soudain corps, qui captive, au lieu d'ennuyer et de rebuter comme il le fait habituellement sous la plume d'auteurs moins habiles - ou plus banals.

Les quatre cents pages se dévorent comme un sandwich Marks & Spencer (ou plutôt comme 36 sandwichs M&S, à raison de cinq minutes par sandwich, mais pas à la suite bien sûr), c'est fabuleux.

Inutile de vous dire que j'attends le tome 3 de pied ferme, avec fièvre et curiosité.


Pour vous si...
  • Le tome 1 vous a au moins un peu plu ;
  • Vous êtes friands de récits actuels avec un style vivant, qui ne donne pas l'impression d'évoluer dans la littérature avec deux siècles de retard.

Morceaux choisis

"C'était donc ça, le secret de l'argent : sentir assez d'espace pour se permettre des mouvements d'âme."

"L'adoption, la PMA, le mariage - je suis contre pour tout le monde. Je suis favorable à la stérilisation de l'ensemble de la population, dès la puberté. On est sept milliards. Tu crois pas que ça suffit comme ça? Il faut ralentir la cadence, urgemment. Je vois les gens avec des poussettes, je regarde leurs gueules, et je me dis : mais pourquoi? Qu'est-ce que vous croyez que vous faites, là, à vous reproduire? On n'a pas besoin de votre génétique à la con, arrêtez la mégalomanie. Faites de la peinture si vous voulez vous occuper. Mais ne nous faites pas chier avec votre progéniture."

"Elle avait essayé d'être pédagogue : sur le frigo elle avait accroché la liste de toutes les tâches régulières : vaisselle, poubelles, lessives, ranger le linge, nettoyer les WC, la baignoire, faire les sols, les fenêtres, ranger la chambre de la petite, la poussière, le frigidaire, la salle de bains... Ça avait marché : il descendait les poubelles. Chaque fois qu'il le faisait, il fallait qu'il annonce avec fierté : "Je te descends les poubelles". "


Note finale
4/5
(très bon)