vendredi 25 mars 2016

Je vous écris de Téhéran, Delphine Minoui

Ce mois-ci, après la lecture de Six fourmis blanches, la bibliothèque Orange me fait découvrir un roman qui raconte l'Iran.




Le synopsis

Après la mort de son grand-père, auquel la narratrice s'adresse à titre posthume tout au long du récit, Delphine décide de renouer avec ses racines et de se rendre en Iran.
Alors que son intention initiale est d'y séjourner une semaine pour travailler sur un reportage, elle y reste dix ans.
Ce roman retrace son expérience de journaliste, iranienne d'origine mais élevée dans un pays occidental, son attachement avec ce pays qu'elle a découvert adulte, et les transformations politiques et sociales qu'il a subies au cours de ces dix années.


Mon avis

Le roman de Delphine Minoui m'a réservé une bonne surprise.

Tout d'abord, la période évoquée, très agitée et multiple, et particulièrement intéressante. Etant pour ma part peu familière avec l'histoire de l'Iran, cette lecture m'a permis d'aborder ce sujet avec un regard à la fois extérieur et intérieur, dans la mesure où la narratrice a connu le mode de vie dans les pays occidentaux, et est restée suffisamment longtemps en Iran pour en retirer davantage qu'une image d'Epinal, ou qu'une expérience ponctuelle.

Le style journalistique se prête bien à l'exercice, dans la mesure où le récit fait état du contexte politique et social, de ses évolutions, de la façon dont les mentalités changent. A cet égard, j'ai eu le sentiment de lire un témoignage plus qu'un récit romancé ; si certains événements décrits sont noirs, le ton n'est jamais celui du misérabilisme ou du pathos, bien au contraire, l'auteur déploie une prose peu lyrique, qui parvient à décrire précisément les faits et ses propres contradictions, ses déceptions, la douleur de son départ lorsqu'il n'y a plus d'alternative.

Les personnages rencontrés tout au long du roman semblent incarner les différents visages de l'Iran, et ses paradoxes : Mahmoud et sa compagne Fatameh, Niloufar, Sara...
Ils portent les tiraillements des jeunes générations, élevées sous le règne de l'Ayatollah, qui aspirent à plus de libertés individuelles, et sont prêts pour cela à braver certains interdits, dansant et buvant à l'abri des regards, sans pourtant revendiquer ces libertés dans le cercle familial par exemple.

La narratrice raconte les suspicions - voire les menaces- dont elle fait l'objet, la volonté de certains de lui donner une bonne image dans l'espoir qu'elle la véhicule, la peur dans laquelle vivent les Iraniens, sachant que la milice peut faire irruption chez eux à tout instant et les faire disparaître sans laisser de traces, l'espoir fou nourri par l'ascension de Khatami, le mollah réformiste, puis par Moussavi.

Au-delà de la description fine des comportements et de certains modes de pensées, j'ai regretté de ne pas trouver davantage de ce qui nourrit l'amour de la narratrice pour l'Iran, et qu'elle invoque à plusieurs reprises, exprimant son désespoir à l'idée de devoir quitter ce pays où elle n'a pas grandi ; il m'a manqué les couleurs, le relief, les odeurs, ce qui fait qu'un tel attachement ait pu être conçu qui la conduise à rester et à encourir les dangers existants.

Ce n'est pour autant qu'un point de détail, dirais-je, dans la mesure où le roman réussit à transmettre une vision de l'Iran actuel, de ce que le pays a connu depuis la fin des années 1990, et à traduire les aspirations des jeunes adultes, partagés entre le poids des traditions et de l'histoire, et un désir de renouvellement, de mœurs plus libérées, de respect des droits individuels sans crainte de la répression.


Pour vous si...
  • Vous êtes friand du style journalistique
  • Vous vous intéressez à l'histoire récente de l'Iran
  • Vous êtes sensible au regard que peut porter sur son pays oriental d'origine une jeune femme élevée dans la culture occidentale

Morceaux choisis

"A quoi pense-t-on quand on est libre? A ces lignes grises qu'on pourra de nouveau remplir à sa guise. On se dit que le cauchemar est terminé. Qu'on va pouvoir réapprendre à respirer. En réalité, le plus pénible ne fait que commencer. Le plus pénible, c'est d'abandonner l'Iran à sa page blanche."

"En France, je pris conscience que ma génération n'avait plus rien à prouver. Au même âge, nos mères s'étaient battues pour la légalisation de la pilule, pour l'avortement, pour plus de droits sociaux, pour une meilleure reconnaissance professionnelle. Et nous, nous nous reposions confortablement sur ces acquis. Savions-nous d'ailleurs les apprécier? Notre liberté n'était pas un combat, c'était un mode de vie. Tout le contraire des jeunes Iraniens. Tels des acrobates, ils slalomaient au quotidien entre les obstacles qui se dressaient, malgré les réformes, sur leur passage. Du matin au soir, leur vie était un savant arbitrage entre le licite et l'illicite. Du haut de leurs 20 ans, ils bravaient les interdits comme on brave les vagues. Avec panache."

"De part et d'autre, les cris chantaient la division, celle d'un pays tiraillé entre repli nationaliste et désir d'ouverture." (Ahmadinejad versus Moussavi)


Note finale
3/5
(instructif)

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