lundi 25 avril 2016

Avril dans les salles noires - Deuxième partie

En début de mois, je vous avais proposé de découvrir trois spectacles qui sont actuellement donnés à Paris.
L'article d'aujourd'hui vient compléter la série, en vous présentant trois nouvelles pièces qui vont de l'opéra au théâtre, et réservent de jolies surprises.

1. Rigoletto à l'Opéra Bastille

Les marketeurs de Bastille se sont lâchés! Résultat : l'affiche donne vaguement envie de vomir

Rigoletto fait partie du répertoire des grands opéras italiens. Chef d'oeuvre de Verdi, dont le livret s'inspire d'une pièce très noire de Victor Hugo (Le roi s'amuse), il regroupe certains des airs les plus connus en matière d'opéra : La donna e mobile et Caro Nome font partie des "tubes" dans le registre, et ont largement dépassé les frontières du genre (il faut dire que le premier était d'inspiration populaire, et non une création originale de maître Giuseppe).

En lisant le synopsis, on constate que tous les ingrédients sont réunis pour donner du grand spectacle: la lutte des classes (une interprétation un peu libre de ma part de ce qui se joue entre le bouffon du roi, Rigoletto, et les courtisans, ces nantis qui se contorsionnent devant le roi pour obtenir ses faveurs et que le bouffon se plaît à tourner en ridicule), l'amour (passion et filial), la trahison, la méprise, et pour finir, une sorte de quiproquo tragique qui fait verser dans le burlesque cher à Hugo, et qu'il défend avec panache dans la fameuse préface de Cromwell (ironiquement plus célèbre que la pièce en elle-même, comme quoi, cela peut valoir la peine de se fendre d'un ou deux commentaires pour introduire sa production). Le spectacle est, à mon sens, le plus sombre de l'opéra, autant y être paré!

Le grand coup de génie de la production qui passe actuellement à Bastille réside dans le décor : un vieux bonhomme fardé en clown s'avance sur le devant de la scène, explore le contenu d'un carton dont il extirpe plusieurs effets, jusqu'à une longue robe blanche maculée d'une traînée rouge.
Derrière, les décors se meuvent jusqu'à former un rectangle dont l'allure rappelle celle du carton. Les personnages entrent sur scène, comme si l'on pouvait voir ainsi ce que l'homme se remémore en contemplant la boîte abîmée sous ses yeux. C'est son histoire tragique qui se joue devant nous.

On reconnaît le bouffon, les manières sirupeuses des courtisans qui voudraient l'humilier parce qu'il n'est rien, et se retrouvent à leur tour tournés en dérision par l'humour subversif du vieil homme.
Le duc est, quant à lui, charmant, et accusé dès les débuts de méfaits dont le bouffon y compris le protège, jouant les intermédiaires avec Monterone, dont la fille a été séduite par le duc.

Les rumeurs se font entendre, il semblerait que le bouffon ait une maîtresse... Un tableau plus loin, paraît Gilda, la fille de Rigoletto, innocente et douce, qui fait le bonheur de son père, mais aussi son plus grand malheur : ce dernier lui interdit de sortir, craint ce qu'il pourrait lui arriver si la cour apprenait son existence, l'occasion rêvée de se venger des moqueries qu'il inflige aux nantis persuadés qu'un bouffon est infâme s'il les prend pour cibles.

A ce stade, on découvre avec joie l'agilité vocale de l'interprète de Gilda, et la puissance de Rigoletto. Le superbe Caro Nome laisse le public transi de grâce.

Et puis, les choses tournent au vinaigre : Gilda est enlevée, avec le concours de son père que les courtisans ont trompé, et qui croit contribuer à l'enlèvement de la femme de Ceprano.

Lorsque débute l'acte II, les courtisans masqués et tout de noir vêtus apparaissent sur l'escalier de marbre, la scène est visuelle et magnifiquement orchestrée.


Gilda disparaît avec le duc, tandis que Rigoletto vient réclamer sa fille, suppliant qu'on la lui rende, s'humiliant pour cela, renonçant à toute dignité.
Pour finir, elle lui est rendue, sa pureté en moins (surprenant de voir que le papa ne se réjouit pas, Gilda avait pourtant l'air bien consentante et très éprise du duc!).
Je vous laisse vous figurer l'acte 3 : le duc a délaissé Gilda, il courtise déjà d'autres femmes, chantant leur versatilité (le très fameux La donna e mobile, en voilà un qui ne manque pas de culot, saleté de duc), et affligeant Gilda au-delà du supportable.
Rigoletto mandate un assassin (plus facile à trouver qu'un DoMac dans le 12e, visiblement) pour se venger du duc, ordonnant au passage à sa fille de rejoindre Vérone.
Mais comme Gilda est passée du côté des grandes filles, elle décide bien sûr de désobéir à son paternel (rien ni personne ne semble lui montrer le moindre respect, pauvre homme), et de sauver son amour de duc au prix de sa vie, dans une mise en scène qui n'est pas sans rappeler vaguement l'effroyable pièce de Camus, Le Malentendu. Ah bah déso, c'était une méprise. Sans rancune.

A ce stade, vous savez tout ou presque sur cet opéra-roi. Ce que vous ignorez encore, c'est le casting de folie : la performance des chanteurs et de l'orchestre est tout simplement remarquable.
J'ai eu la chance d'assister à la deuxième représentation de Rigoletto de cette saison, et je peux vous dire que le public était en feu comme dans un concert de rock, l'ovation finale a duré plus d'un quart d'heure, les gens hurlaient, tambourinaient des mains à tout rompre, c'était fou.

Tout ça pour vous dire : voilà du très grand spectacle.
Ça se passe à l'opéra Bastille jusqu'au 30 mai.
Si vous en avez l'opportunité, foncez!

2. Anna Karénina, au Théâtre 14 


Je vous préviens tout de suite : les représentations sont terminées, la pièce ne passe malheureusement plus au théâtre 14!
Mais je vais tout de même vous raconter.

D'abord, il me faut confesser une lacune : je n'ai jamais lu Anna Karénine (Bouh! Shame!!).
Voilà donc l'occasion rêvée de découvrir l'histoire sans en passer par les 900 pages de Tolstoï (ou, du moins, de savoir s'il y a appétence au demeurant).

La trame est d'apparence tout à fait tolstoïenne, d'ailleurs : Anna est mariée à Alexis Karénine, un vieil homme riche qui se montre aimant (mais périmé). 
Anna est dévouée à son mari et à leur fils Serge, jusqu'à ce qu'elle croise à la gare le comte Vronski, jeune officier à la réputation quelque peu légère, si ce n'est sulfureuse. Lors d'un bal donné quelque temps plus tard, elle le croise de nouveau, et il lui dévoile les sentiments qu'elle lui inspire.

Anna finit par se laisser conquérir par Vronski, et se retrouve rapidement déchirée entre toutes les valeurs auxquelles elle pensait croire (comme la fidélité, cette broutille surfaite), sa vie de famille calme et établie, et la fougue de sa relation avec Vronski.
Partant, elle se retrouve en proie à toutes les galères imaginables : elle tombe enceinte, accouche d'une petite fille et frôle la mort au passage, tombe malade, bref, rien n'est simple, si bien que son mari, qui s'est montré présent et solide durant ce passage difficile, lui apparaît comme le meilleur parti.
Mais voilà, elle recroise Vronski incidemment plusieurs mois plus tard, et rebelote, ils décident de s'enfuir, et elle vit à partir de là comme une femme que la haute société veut éviter de fréquenter, parce qu'elle a quitté son foyer pour vivre auprès du compte en tant que compagne officieuse, et elle est assez malheureusement assez naïve pour être surprise des réactions du beau monde. Peu à peu, elle sombre dans l'addiction à la morphine, dans la folie, et pour finir, se suicide.

En parallèle, se déroule l'histoire beaucoup plus réjouissante de Lévine et Kitty, mal partie d'abord puisque Kitty était éprise de Vronsky, et a éconduit Lévine, mais qui prend un beau tournant lorsque Lévine et Kitty se retrouvent plus tard, réalisent qu'ils s'aiment, et décident de se marier.

La mise en scène a de quoi surprendre : l'histoire nous est contée sous la forme d'un dialogue entre Anna et Lévine, alors même qu'ils ne font connaissance que dans la dernière partie de la pièce. Ce procédé est assez déroutant, mais efficace, car renforce le rapprochement qui peut être fait entre leurs deux parcours, Lévine d'abord désespéré puis heureux en ménage auprès de Kitty, Anna initialement sereine dans un foyer sans histoire, puis en proie à mille tourments lorsqu'elle choisit Vronski.

La troupe est d'ailleurs très convaincante, et les différents personnages très incarnés.

A mon sens, le seul bémol vient du personnage d'Anna Karénina, qui s'apparente vite à une insupportable geignarde, une chieuse comme on n'en fait plus, et dont on se demande comment est-ce qu'un homme peut réussir à la supporter. 
Entendez-moi bien : son choix n'est pas des plus simples, loin de là. Le problème, c'est qu'une fois qu'elle l'a fait, elle ne peut s'empêcher de voir le noir partout, et provoque précisément ce qu'elle redoute plus que tout (que Vronski cesse de l'aimer), alors que, justement, sa situation reste soutenable : Vronski s'avère ne pas être l'homme léger que l'on craignait, il donne à Anna tous les signes d'amour qu'elle pourrait espérer, reste à ses côtés et ne se débarrasse pas d'elle lorsque sa famille l'exige, il se montre in fine un compagnon honnête.
C'est clairement Anna qui déraille, qui pleurniche, qui veut le beurre et l'argent du beurre ("je te quitte parce que je t'ai trompé, et je ne demande qu'une minuscule chose : que tu me permettes de partir avec notre fils adoré. Des bisous."), et sombre pour finir dans la plus regrettable hystérie.

Quand Anna rencontre Kitty, elle en profite pour bitcher sur son mari. Sympa.

Vous comprendrez que je n'ai pas ressenti beaucoup d'empathie pour Anna et son triste sort ; en revanche, je me pose de sérieuses questions sur les raisons pour les goûts des hommes.
Serait-il donc vrai qu'ils préfèrent les chieuses?


3. Les spectacles d'improvisation de la Ludi


Last but not least, j'ai eu le plaisir de découvrir les spectacles d'improvisation de la Ludi, aka Ligue universitaire d'improvisation théâtrale. 
Ce soir-là, c'était une soirée spéciale Île-de-France, au cours de laquelle se sont affrontées trois équipes de trois personnes, aux noms improbables et aux cris de guerre parfois coriaces. 

Le principe est le suivant : avant le début du show, chaque spectateur soumet un thème qu'il rédige sur un bout de papier ; pour chaque saynète, un papier sera tiré au sort, et les équipes auront quelques secondes pour se préparer avant de proposer leur histoire.

L'exercice est proprement impressionnant : certains thèmes relèvent parfois de la gageure (votre humble serviteuse a d'ailleurs eu le grand bonheur de voir son thème tiré au sort : "Fichier Excel", c'était cadeau), mais les équipes se plient avec talent à la demande du public.

A la fin de chaque scène, les spectateurs hurlent le cri de guerre de l'équipe qui les a convaincus, et celle qui emporte à l'oreille le plus fort suffrage remporte la manche ; l'équipe en repos vient alors se confronter aux vainqueurs.

Le spectacle a duré 1h30, au cours de laquelle on a tout vu!

Bien sûr, certains sketchs sont moins réussis que d'autres, mais globalement, le niveau est très bon, et le public hilare. Il faut dire que les acteurs parviennent à faire rire même sur un thème muet, en faisant intervenir principalement des cravates, ce qui n'est pas peu dire...
Chaque comédien semble avoir sa spécialité, et excelle dans certains rôles, mais au-delà de ces préférences, les fils narratifs sont très variés, et évoluent souvent de manière loufoque de sorte que l'on ne sache pas à l'avance où l'histoire va nous mener (la question demeure : les comédiens le savent-ils de leur côté??).

Je suis donc absolument impatiente de renouveler l'expérience, et vous encourage vivement à vous laisser tenter!

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