jeudi 7 avril 2016

L'illusion délirante d'être aimé, Florence Noiville

De nouveau, un roman à titre, qui emporte l'adhésion en moins de deux secondes.
L'illusion délirante d'être aimé.
Cela semble audacieux, séducteur, romanesque à souhait.
Le lecteur se sent déjà en danger, déjà mis en cause : quelle serait cette illusion dont on ne m'a jamais rien dit, et qui paraît si engageante que l'on pourrait en faire l'objet sans même le soupçonner?
Un choix de titre, donc, redoutablement efficace...



Le synopsis

Laura entretient une relation étrange avec C., qu'elle a rencontrée en classe préparatoire. A l'époque, elles étaient amies, passaient leurs weekends ensemble, C. l'avait initiée à de nombreux auteurs inconnus. A l'issue de la prépa, Laura a eu le concours, C. a échoué, et leurs chemins se sont séparés. Lorsque Laura recroise C. des années plus tard, elle nourrit comme un sentiment de culpabilité à son égard, une dette qu'elle n'aurait pas remboursé. Aussi, quand un poste de journaliste se libère dans la chaîne culturelle où elle travaille, Laura recontacte C., qui décroche le poste.
Mais leur côtoiement au quotidien commence à prendre des tournures inquiétantes, lorsque C. se réjouit d'acquérir les mêmes habits que Laura et "d'être habillée en elle", lorsque Laura apprend qu'un faux compte Facebook a été ouvert à son nom, et d'autres détails qui lui indiquent que C. a envers elle une attitude anormale.
Lorsqu'elle décrit ce qu'elle vit à son ami PH, ce dernier identifie dans les actes de C. le syndrome de Clérambault, "l'illusion délirante d'être aimé", dont C. serait victime.
C'est, pour Laura, le début d'une descente aux enfers.

Mon avis

J'ai été à la fois très enthousiasmée et un peu déçue par la lecture du roman de Florence Noiville.
Je vous explique tout de suite pourquoi.

L'introduction est redoutablement efficace, on est instantanément plongés dans le quotidien et l'angoisse grandissante qu'éprouve la narratrice, Laura, à l'égard de C., dont on ne perçoit d'abord que l'étrange comportement, et qui nous dérange.
Avec naturel, Laura en vient à se présenter, à nous raconter son parcours, qui elle est, et quelle est la relation ambivalente qui l'unit au personnage de C.

J'ai apprécié la fluidité du récit, l'atmosphère qui se dégage dès les premières pages et qui est imprégnée de ce qui pourrait ressembler à une menace, une ombre, une anxiété dont on se demande si elle est le produit de l'imagination de la narratrice (questionnement légitime lorsqu'on nous parle de suspicions de harcèlement ou d'obsessions) ou si elle est ancrée dans la réalité.

J'ai ainsi retrouvé dans la première partie du roman un contexte qui n'est pas sans évoquer D'après une histoire vraie, de Delphine de Vigan, qui est sortie à la même période que le livre de Florence Noiville, et traite d'une relation ambiguë entre deux femmes, présentant certaines similitudes.
Cependant, assez rapidement, le doute que Delphine de Vigan se plait à cultiver dans son oeuvre est dissipée par Florence Noiville, et d'une certaine manière, c'est cela que j'ai trouvé dommage : on assiste à la descente aux enfers de Laura, tandis que grandissent la maladie de C., et concomitamment, son emprise sur le quotidien de Laura : l'opinion de ses collègues, la maîtrise de son émission, ses allées et venues durant lesquelles elle se sent de plus en plus souvent épiée, jusqu'à l'indifférence d'Eduardo qui ne la prend pas au sérieux...

Là où l'auteur parvient à nous tenir en haleine, c'est lorsqu'elle fait prendre à sa narratrice un tournant spectaculaire, en choisissant la fuite, la disparition, et qu'elle orchestre ensuite la chute de C., la confrontation.
Aussi, l'intrigue est très honorable et structurée.

Cependant, j'ai interrogé en cours de lecture l'équilibre psychologique de la narratrice, et aurais trouvé ingénieux que ce flou soit davantage maintenu, au lieu de trancher d'entrée de jeu en stipulant que C. est malade, victime du syndrome de Clairembault.
Avec de tels symptômes, je me suis demandée si ce n'était pas la narratrice, et non C., qui était touchée par cette délirante illusion d'être aimée, dans la mesure où elle réalise un beau jour, de manière assez soudaine, que C. l'aime, et que cette conviction intime s'enracine et grandit en elle au point de la rendre inquiète, défiante, et d'altérer significativement son caractère et sa vie.

Ce n'est pas l'approche qu'a privilégié l'auteur, dans la mesure où C. est clairement identifiée dans le roman comme celle qui est "déviante" et malsaine.

Mon ressenti global est donc très positif, mais n'exclut pas néanmoins quelques petits regrets...


Pour vous si...
  • Vous vous réjouissez des romans de peu de personnages, qui se cristallisent notamment sur la relation ambiguë entretenue par deux protagonistes
  • Vous raffolez des récits psychologisants, où l'on sent qu'un personnage dérape, perd tout contrôle, joue sur une forme de duplicité qui rend floue la limite du vrai et du faux

Morceaux choisis

"L'idée enivrante et affolante de l'interchangeabilité des êtres s'est mise à tournoyer dans ma tête."

"Un jour, le malade a une révélation. Il passe de la nuit à la lumière. Il acquiert la certitude soudaine d'être aimé."

Note finale
3/5
(cool)

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