lundi 16 mai 2016

Soeurs de miséricorde, Colombe Schneck

J'avais lu beaucoup de bien du dernier roman de Colombe Schneck, lors de sa parution l'an passé, si bien que lorsqu'il a inopinément atterri entre mes mains lors de ma dernière excursion chez BookOff, je me suis trouvée ravie.

Attention, voici un roman qui n'est pas franchement rigolo.



Le synopsis 
(attention spoilers)

Azul a grandi en Bolivie, élevée par sa mère avec ses huit frères et sœurs, tandis que son père, infatigable coureur de jupons, est mort après une frasque de trop.
Grâce au sacrifice de ses aînés, elle peut aller à l'école, étudier, apprendre à lire, tout en travaillant durant son temps libre pour subsister.
Elle épouse Juan et lui donne un fils, mais Juan n'est pas l'homme solide dont a besoin Azul, si bien qu'elle le quitte. Plus tard, elle rencontre Moise, ils ont ensemble une fille. Alors que le contexte économique est morose, Azul décide de se rendre en Europe, en Italie, comme d'autres jeunes femmes l'ont fait avant elle, pour travailler et ramener après une année jusqu'à 5 000 euros, de quoi acheter une terre, un commerce, les bases d'une vie prospère.
Après deux ans en tant que femme de ménage durant lesquels elle travaille sans relâche loin des siens, elle rentre au pays, mais son pécule suffit tout juste à éponger les dettes de Moise, si bien qu'elle doit repartir après six mois, en France cette fois, où elle fait la rencontre de Madame Isabelle, une bourgeoise effacée, oisive et pétrie d'ennui. Au contact d'Azul, Madame Isabelle va cependant être revigorée, et trouver des moyens de se rendre utile et vivante.

Mon avis

Le roman de Colombe Schneck est une véritable pépite!

Dès les premières pages, l'immersion est complète et implacable : on se retrouve au cœur de la Bolivie et de ses mœurs, et l'on fait l'expérience inédite de ce mélange explosif de frivolité et de rudesse, des conditions de vie, les rêves amoindris des enfants qui espèrent s'extraire de la pauvreté, par le travail, ou grâce à un heureux mariage.
Mais les hommes sont joueurs et légers, ils s'amusent et refusent d'épouser les femmes ; ainsi Ximena, la mère d'Azul, qui a donné neuf enfants à un homme qui s'est toujours comporté comme un Casanova sans lui accorder le mariage, et par là, la dignité et la bienséance que toute femme convoite.
Les femmes sont travailleuses, dévouées, entières, dans une société que l'on pourrait, somme toute, qualifier de sensiblement machiste.

L'auteur nous raconte par le détail le quotidien de la famille d'Azul, les différents travaux auxquels se consacre Azul pour pouvoir poursuivre ses études, la façon dont sa sœur Natalia lui permet d'accéder à cet immense privilège.

On partage bientôt la vision d'Azul, et l'on comprend aussi l'incompréhension dont elle est frappée, confrontée aux femmes européennes qui ne trouvent pas goût à leur quotidien luxueux, qui ne savent pas voir les belles choses de la vie, et s'enlisent dans leur malheur.

Le récit a le mérite de procurer un sentiment de réalisme qui lui confère une force inouïe : il n'y a pas de trêve pour Azul, et si elle parvient à construire, le monde change autour d'elle, ses enfants à son retour ne la reconnaissent plus, son époux a creusé ses dettes, la Bolivie change aussi et devient une terre de promesses, où l'on prend des risques, où l'on implante de nouveaux commerces, on importe des idées d'Amérique, où l'on échoue, mais où certains parviennent néanmoins à prospérer, où il fait bon vivre, là où les siens demeurent.

Il est intéressant en outre de constater la place qu'occupe la spiritualité dans la vie d'Azul, qui se réfugie toujours auprès des sœurs en Italie et en France lorsque le sort lui est défavorable, et qui lui viennent en aide à leur manière.

Pour couronner le tout, le style est délicat et touchant, l'émotion étreint à la lecture, et cultive l'humilité.

A ne pas manquer!


Pour vous si...
  • Vous êtes curieux de lire un roman qui prenne la Bolivie pour théâtre, curieux des mœurs locales, et des changements opérés durant plusieurs années dans ce pays

Morceaux choisis

"Avant d'être cette femme coincée dans le RER D puis C, glacée sur un banc de la gare de Juvisy, Azul est au début des années soixante-dix cette petite fille capable de sauter dans le Rio Chico sans être emportée."

"Pour Rita, la vie reste une stratégie, avec des vides à combler, des virages à prendre, des marches à monter, pour elle la vie est logique, avec un début, un milieu et une fin.
Azul n'est pas d'accord. Elle a commencé sa vie dans un paradis qui n'existe plus, elle espère en retrouver un autre un jour. Elle n'a aucune certitude, juste quelques désirs.
En 1975, 1976, 1977, 1978, 1979, 1980, 1981, 1982, Azul n'a toujours pas le temps d'aller passer un après-midi aux cabanes du Rio Pirai et de tomber amoureuse d'un garçon.
Elle travaille."

Note finale
4/5
(excellent)

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