mardi 14 juin 2016

Ceux qui restent, Marie Laberge

Le prochain roman de la sélection du Grand Prix des Lectrices de Elle qui m'a été soumis m'a immédiatement plu, grâce à sa couverture ocre/bleu (meilleur mariage au monde, si vous voulez mon avis).
Ce que je n'avais pas anticipé, c'était le parler québécois.



Le synopsis

Sylvain n'a pas trente ans lorsqu'il se suicide.
Autour de lui, son entourage prend la parole à tour de rôle, et raconte ce qu'est la vie après, jusqu'à quinze ans après sa disparition.
Les voix se mêlent de Vincent, son père, Mélanie-Lyne, celle qui était sa compagne, et Charlène, la barmaid avec laquelle il avait une liaison. Il y a encore sa mère Muguette, sa grand-mère Blanche, et son fils Stéphane, qui gravitent autour, et tâchent eux aussi de surmonter l'insoutenable.
A leur manière, ils portent tous durablement les séquelles du choix de Sylvain.

Mon avis

Je suis tombée en amour avec le roman de Marie Laberge.

Avant même de connaître tous les protagonistes, le lecteur y découvre cette langue à la fois familière et étrangère, qui distrait d'abord, ce sont les codes renversés, les mots qui jouent et sont réinventés, un univers qui s'ouvre. N'ayant lu que très peu de romans en français québécois (il y avait quand même eu le plaisant L'homme idéal existe. Il est Québécois), j'ai été naturellement désarçonnée, puis aguichée par cette particularité.

Une fois cet aspect intégré, on se plonge dans le monde dévasté de Sylvain, où se succèdent les proches désemparés, réagissant chacun à leur manière à son suicide, révélant d'ores et déjà la palette de leurs singularités.
Mais cette palette s'enrichit surtout au fil du temps, car la grande force du roman, à mon sens, est de ne pas s'attacher aux quelques jours ou mois qui suivent la disparition de Sylvain, mais de prendre plus de recul, d'étudier les contrecoups qui s'inscrivent dans la durée qui se compte cette fois en années.
Quinze ans plus tard, chacun porte encore les stigmates, les cicatrices du traumatisme.

Muguette ne se remettra jamais vraiment de la perte de son fils ; Vincent, plus philosophe et tourné vers les autres, trouvera dans le soutien qu'il offre son absolution.
Mélanie-Lyne, quant à elle, entretenait une relation distendue avec Sylvain, ne lui demandant aucun compte, et se montre peu à peu extrêmement possessive avec leur fils Stéphane, lui réclamant toute l'attention qu'il pourrait donner, déplorant qu'il s'éloigne graduellement, fuyant cette mère affectivement dépendante, et émotionnellement instable.
Charlène est sans doute celle qui garde le cap, la seule qui continue à s'adresser à Sylvain au fil des ans, lui jetant à la face sa colère d'abord, ses questions, puis ses pensées, tandis que le temps l'apaise.
La façon dont les protagonistes se croisent et se lient est touchante, et ne manque pas de réalisme tant elle peut sembler improbable (j'assume complètement la dimension contre-intuitive de cette dernière phrase), car ceux qui se retrouvent ne sont pas ceux entre lesquels on aurait pu imaginer, de prime abord, la moindre affinité.

Le roman est dense, et reflète merveilleusement les impondérables de la vie, la façon dont il peut se créer des choses précieuses à partir de contacts que l'on n'avait pas même imaginés, à l'instar de ce qui prend forme entre Charlène, Vincent et Stéphane. La relation que chacun entretenait avec un amant, un fils et un père, ne peut être remplacée, mais c'est la perte qui occasionne, parfois même à son insu, un lien qui devient indéfectible.

Par ailleurs, j'ai trouvé que l'auteur évitait soigneusement de verser dans les lieux communs que l'on pourrait attendre - et redouter - à partir d'un tel sujet : le motif du suicide n'est pas éclairci, ce n'est pas l'objet, et c'est aussi terriblement réaliste. L'apaisement ne vient pas d'une explication rationnelle, parce que le suicide ne découle pas d'un motif rationnel. De même, le rapprochement entre Charlène et Vincent d'une part, et Charlène et Stéphane d'autre part, ne se traduit pas en romance charnelle, car si la littérature et les histoires nous habituent à croire que c'est là la seule issue acceptable, la seule fin heureuse, ce n'est rien d'autre en somme qu'un schéma réconfortant dont on se plait à se convaincre que l'on obtiendra le bonheur comme on obtient un crédit immobilier si tant est que l'on puisse réunir les ingrédients répertoriés sur la liste de courses.
Ainsi, l'auteur parvient avec talent et finesse à montrer que la clef n'est pas dans ce genre de dénouement, que l'amour peut prendre d'autres formes, et qu'il n'en a pas moins de valeur.

Ceux qui restent est un roman d'une grande richesse, tant dans la peinture des personnalités et leur intensité psychologique, que dans les enseignements qu'il véhicule, sans que jamais le ton ne soit moralisateur ou didactique. Selon moi, l'une des révélations du Grand Prix des Lectrices.


Pour vous si...
  • Hostie ça vous crisse ben, et pis ça vous achale pas.

Morceaux choisis

"Plus rien, jamais, n'a été pareil.
Ma vie a été tranchée en deux - il y a avant et après la mort de Sylvain. Avant et après le 26 avril 2000.
Parfois, j'ai l'impression qu'un sabre puissant a fendu mon corps en deux. Chaque partie palpite, mais aucune n'est vraiment vivante."

"A la limite, en profitant du soutien de sa fille, Julie-Lune prouve que les enseignements philosophiques n'ont eu aucune influence sur la pauvre fille et que rien ne saurait la faire évoluer. Elle est une cause désespérée et ne contient rien, comme le pain blanc tranché."

"_Y a rien dit? Rien laissé?
_Rien.
_Hostie d'épais!"


Note finale
5/5
(coup de cœur)

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