lundi 20 juin 2016

Le piano dans l'éducation des jeunes filles, Stéphane Barsacq

Il y a des titres plus prometteurs que d'autres. Celui choisi par Stéphane Barsacq pour son premier roman titille, chatouille, et, finalement, fait franchir le pas. Comme quoi, ce n'est pas toujours si compliqué. 


Le synopsis

Volodia est un professeur d'histoire parisien. Il travaille à la rédaction d'un livre dédié à l'éducation des jeunes filles, guidé en cela par des écrivains qui le traitent en disciples, et bien sûr, par ses propres amours. Mélomane, il est conquis par Sonia, pianiste et forte tête, qui lui donne l'idée d'étudier la relation entre musique et éducation. A mesure que ses relations se font et se défont, son cheminement intellectuel progresse, tout comme sa conception de l'amour.


Mon avis

Voilà qui est un drôle de roman!

Le nom des protagonistes donne le la dès les premières pages, et nous projette dans une histoire que l'on croirait d'un autre temps, dans un cadre très romanesque : exit les Eric, Valentine, Jean-Louis et Françoise : ici sont Volodia, Hérode, ou encore Anténor. Les hommes ne nomment par leur patronyme, qui a immanquablement des accents de Grèce et de Rome antiques. Ils sont des hommes de caractère, au tempérament prononcé, qui impressionnent et font bien peu de cas des plus faibles ou des moins indécis autour d'eux.

Volodia est le narrateur, notre point d'ancrage dans le roman de Stéphane Barsacq, et il est in fine un personnage en demi-teinte : sa quête, absolue quant à elle, captive, et les femmes qu'il rencontre sont entières, à commencer par Sonia, si sûre de tout, aussi sarcastique que narcissique, que l'on adore détester, au point d'attendre une chute tant elle agace, et d'enrager de voir le protagoniste se perdre en amour pour elle. Aux antipodes, Sophie est inaccessible, elle est pur esprit, un être cérébral et musical, et l'ordre physique n'a pour elle que peu de matière et peu d'existence. Sophie est la passion, absorbée par son art qui la définit toute. Entre les deux, Asma, amie et soutien indéfectible d'Hérode, demeure distante, et c'est bien dommage, car elle était à mon sens la plus prometteuse.

De leur côté, Anténor et Hérode ouvrent les portes d'un monde littéraire auto-centré, qui vivote de l'auto-congratulation et du conflit entre les écrivains en vue qui y cultivent un entre-soi déconcertant, où tout est prétexte à l'altercation, et partant, au scandale.

En filigranes, le sujet du livre de Volodia est toujours présent, et les expériences personnelles du protagoniste y sont liées : les réflexions avancées sont stimulantes, sur ce qui longtemps a été attendu des femmes et donc inséré dans le programme d'éducation des jeunes filles, sur le rôle des modèles véhiculés par la littérature, de la Princesse de Clèves, faite d'abnégation, de renoncement et de discipline de ses sentiments, à Emma Bovary, qui ne demande qu'à vivre, ne déguise pas ce que lui inspire son époux et les hommes auxquels elle s'attache, mais échoue à être heureuse. Ces passages, qui développent les thèses de Volodia, sont particulièrement intéressants.

Le livre est par ailleurs parsemé de références, à la musique et à la littérature principalement, tant et si bien que les citations peuvent accabler le lecteur par leur nombre, et freiner la lecture; à tout le moins, ils concourent à la rendre exigeante.
De par sa vivacité et son rythme, la langue est riche, le style foisonnant; un sentiment que j'avais ressenti à la lecture d'Un jeune homme prometteur de Gautier Battistella également. Il y a cette verve, ce goût des mots qui peut perdre par moment, qui déborde, mais qui charme aussi.

Pour finir, j'ai l'impression d'avoir lu un roman qui accapare, qui questionne, et si les pérégrinations du protagoniste n'ont rien que de très commun dans leurs grandes lignes - sa romance avec Sonia, son ennui dans sa vie de professeur, ses questionnements sur l'amour -, elles se singularisent par la façon dont sa vie baigne dans son oeuvre, dont les deux se lient.


Pour vous si...
  • Vous êtes d'emblée intéressé par un roman qui prend pour cadre le milieu intellectuel/littéraire/artistique européen
  • La Rotonde est votre QG

Morceaux choisis

"L'amitié n'est souvent que le partage du temps enfui et le désir de le retenir au vol."

"_C'est d'un vulgaire! Je déteste Grosmouton, il est toujours à fouiller entre la chemise, les fesses et les cuisses. On eût peut-être fait un grand poète de ce monstre si on l'avait fouetté dûment entre quinze et vingt ans."

"_Vous voulez vous venger? Soyez heureux. Rien ne fait plus enrager vos ennemis que votre bonheur. Qu'il soit insolent. Qu'il s'étende à tout ce que vous faites. Soyez heureux : toutes les femmes voudront coucher avec vous."

"Je ne quittai pas Sophie Baxter des yeux. Il faut dire que sa scandaleuse beauté la désignait d'emblée à l'attention. Je songeai que si elle était belle, Sophie Baxter l'était comme seuls les poètes le sont, par l'aveu de leur vie profonde."

"Rome a la vertu de la beauté. Elle balaie comme un grand vent tous les nuages qui embrouillent l'esprit. Ce miracle opéra dès que je débarquai à l'aéroport de Fiumicino, dans la lumière abondante et voluptueuse de la ville qui ne se compare à nulle autre."


Note finale
4/5
(très bon)

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