mercredi 29 juin 2016

Le ravissement de Lol V. Stein, Marguerite Duras

La résolution d'injecter un peu plus de "classiques" dans mes lectures se renforce avec l'arrivée en grande pompe de Marguerite Duras, qui m'a beaucoup troublée adolescente avec Un barrage contre le Pacifique, Les petits chevaux de Tarquinia, La pluie d'été ou encore, bien sûr, L'amant. Le titre du roman m'intriguait, et en attendant de lire prochainement Le marin de Gibraltar, je me suis lancée dans l'histoire de Lola Valérie Stein. 


Le synopsis

Lola Valérie Stein revient à T.Beach, dix ans après le bal qui a altéré sa vie, au cours duquel son fiancé l'a quittée pour une autre femme.
Depuis, Lol s'est mariée et a eu des enfants.
A l'occasion de son retour, elle croise son ancienne amie, Tatiana, qui lui présente son époux et son amant, Jacques Hold, lequel s'entiche alors de Lol, et est le narrateur du récit.
A partir des informations qu'il a pu glaner, il tâche de reconstruire l'histoire de cette femme insaisissable. 

Mon avis

Le ravissement de Lol V. Stein m'a fait découvrir une Marguerite Duras dont je n'avais pas souvenir.

Le procédé qui fonde le roman est captivant, dans la mesure où le narrateur, amant de Tatiana et épris de Lol, va précéder le réel, combler les vides en laissant son imagination faire diversion, et proposer une histoire de Lol alors même qu'il n'en connaît factuellement que des bribes.

Cette approche génère une complexité qui nécessite une attention entière : Jacques Hold est parfois "je", parfois "il", et le fait que Lol revisite les lieux de son passé crée par moment la confusion sur la temporalité des événements relatés. Ainsi, en dépit (ou pas!) des apparences, le roman est exigeant.

Les deux personnages féminins principaux, Lol et Tatiana, attisent la curiosité, de même que leur amitié, qui est tout à fait particulière : leur relation s'est évanouie au lendemain du bal de T.Beach, et pourtant, lors de leurs retrouvailles, une sorte d'émulsion a lieu, et il semblerait soudain vital pour Lol que Tatiana accepte de la revoir et de passer du temps avec elle.

Car c'est bien de Lol qu'il est question, et si elle polarise l'attention, elle est aussi incroyablement mystérieuse, comme vaporeuse. Les sentiments qui l'ont ébranlée lors du bal se font jour peu à peu, le temps aidant, levant le voile sur un épisode qu'on peut d'abord interpréter faussement, car la personnalité et les émotions de Lol ne sont en rien transparentes ou simples. Et pour cause : Lol n'a jamais directement la parole, ses mots sont retranscrits, de sorte qu'il est difficile, si ce n'est impossible, d'accéder à ses pensées intimes.

On ne peut dès lors que s'interroger, prolonger parfois la pensée de Jacques Hold, ou aller là où il nous emmène avec son regard alangui, mû aussi par la passion que Lol fait naître : est-ce la folie? Est-ce la détresse? Qui est véritablement Lol? Que reste-t-il de l'ancienne flamme pour Tatiana, et qu'est-ce qui est donc désormais possible, entre les deux femmes? 

Il ne s'agit sans doute pas du roman de Duras qui m'ait le plus bouleversée, cependant Le ravissement de Lol V. Stein constitue une expérience de lecture singulière.

Pour vous si...
  • Vous êtes amateur de constructions narratives ambivalentes
  • Vous ne vous formalisez pas si le récit que l'on vous sert ne relève pas exclusivement des faits objectifs
  • La perspective d'une protagoniste nommée Lol vous revigore (et oui, c'est à cela que l'on mesure que le roman est daté...)

Morceaux choisis

"La nuit avançant, il paraissait que les chances qu'aurait eues Lol de souffrir s'étaient encore raréfiées, que la souffrance n'avait pas trouvé en elle où se glisser, qu'elle avait oublié la vieille algèbre des peines d'amour."

"_Pourquoi Tatiana?
_Quelle question Lol." (ma petite soeur qui parle swag aurait pu dire cette phrase.)

"La seule nouveauté pour Tatiana trahie, ce soir, depuis des années, c'est de souffrir. J'invente que cette nouveauté vrille le coeur, ouvre des vannes de sueur dans l'épaisseur de la somptueuse chevelure, prive le regard de sa désolation superbe, le rétrécit, fait chanceler le pessimisme d'hier : qui sait? peut-être, l'étendard blanc des amants du premier voyage passera-t-il très près de ma maison."

"_C'est difficile. Lol V. Stein n'est pour ainsi dire personne de conséquent." (ah bah sympa.)



Note finale
2/5
(pas mal)

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