vendredi 10 juin 2016

Les petites filles, Julie Ewa

Après Une allure folle et La déposition, je me suis plongée dans l'un des polars présenté dans la sélection du Grand Prix des Lectrices de Elle, Les petites filles de Julie Ewa.
Rien que d'y penser, j'en ai encore des frissons.



Le synopsis

En 1991, dans une Chine où fait rage la politique de l'enfant unique tandis que la mafia s'adonne à des trafics souterrains crapuleux, Sun Tang, enceinte de huit mois, recherche désespérément sa fille de six ans disparue sans explication, Chi-Ni.

En 2013, Lina, jeune étudiante qui séjourne en Chine pour mener à bien une mission confiée par une ONG, mène l'enquête pour comprendre ce qui est arrivé à Sun Tang, introuvable depuis vingt-deux ans.


Mon avis

Les petites filles est un thriller absolument terrassant (et je pèse mes mots).
Un thriller qui me hante, depuis que je l'ai terminé, tant il s'est révélé dur, toxique, impossible à relativiser.

Il faut dire que le cadre est bien choisi : les nombreux faits qui sont rapportés relatifs à la Chine des années 1990 et plus précisément aux ravages de la politique de l'enfant unique, m'ont bien sûr rappelée immédiatement le roman coup de poing de Ma Jian, La route sombre.
Je pense naturellement au sort réservé aux petites filles, redoutées par chaque famille, car éduquer une fille revient, ainsi qu'un personnage l'explique, à arroser le champ du voisin (les filles sont mariées et rejoignent la famille de leur époux, elles n'apportent donc rien à leur propre famille).
Dès lors, les couples n'étant autorisés à élever qu'un enfant, on conçoit les dérives qui en ont découlé: les enfants non déclarés, les petites filles tuées à la naissance, vendues, abandonnées, tout cela alimentant un odieux trafic, et sans parler bien sûr des pratiques du planning familial en matière de contrôle des naissances.

Le roman de Julie Ewa bénéficie d'une structure efficace, et d'une construction qui m'a paru à la fois originale et bien pensée : les chapitres dédiés à Sun Tang et à Lina s'alternent, ce qui rend l'intrigue attrayante et captivante. Parfois, les personnages que vient de croiser Sun Tang se retrouvent sur la route de Lina dans le chapitre suivant, à vingt-deux ans d'intervalle.

Les mystères à résoudre captent directement l'attention du lecteur : la disparition de Chi-Ni se produit rapidement, installant de fait l'intrigue première, prenant Sun Tang pour protagoniste, tandis que l'arrivée de Lina en Chine précise rapidement l'affaire sur laquelle elle va travailler, à savoir la disparition de Sun Tang. Cette construction en écho est astucieuse, car l'on s'inquiète et l'on s'interroge sur le sort de Sun Tang à mesure que l'on s'attache à elle et au combat qu'elle mène, et dont on veut croire coûte que coûte qu'il n'est pas perdu d'avance.

L'évolution des deux intrigues est habilement ficelée, et l'issue est redoutable, de celles qui s'impriment durablement dans une mémoire de lecteur.

Les petites filles est un roman puissant et nocif à la fois dans les enseignements durs qu'il véhicule en lien avec l'histoire récente de la Chine ; j'ai cependant été refroidie par les fins de chapitre destinées à créer systématiquement un suspense, et qui m'ont fatiguée à la longue, ainsi que par certains passages dans lesquels j'ai ressenti une sorte de volonté de plaire au lecteur en servant des ingrédients faciles (la scène de sexe de Lina, etc) qui, à mon sens, a plutôt eu pour effet de desservir le récit qui se suffisait par ailleurs.

J'ai néanmoins été convaincue par cette lecture qui laisse des séquelles.


Pour vous si...
  • Vous avez le cœur bien accroché
  • La route sombre vous a bouleversé, et l'idée de retrouver le même cadre dans un roman noir n'est pas pour vous déplaire

Morceaux choisis

"La vieille se pencha en avant, se boucha une narine avec l'index et souffla de toutes ses forces. Une morve jaunâtre gicla sur le plancher, à côté d'autres taches suspectes.
Horrifiée, Lina l'observa se vider le deuxième orifice, dont la garniture n'avait rien à envier au premier. La Chine avait-elle prohibé les mouchoirs?" (Charmant)

"Le coeur de Yao-Shi se serra en pensant aux ravages de la Révolution culturelle. Au milieu des années 60, Mao Zedong avait semé les prémices de la fameuse indifférence chinoise. Pourquoi aider les autres? Les autres ne vous aideront jamais! Pendant dix ans, les Chinois avaient enduré le spectacle des tortures en pleine rue. La cruauté des Gardes rouges avait ankylosé les esprits et plongé la population dans la désillusion et l'insensibilité générale."

"Car Chi-Ni serait adoptée par une famille complètement étrangère à sa culture et à sa vie passée. Une famille qui allait la pousser à renier ses propres racines... Pensaient -ils être de meilleurs parents? Avaient-ils seulement conscience d'adopter des fillettes arrachées à leurs mères désespérées?"


Note finale
3/5
(cool)

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