lundi 4 juillet 2016

Illettré, Cécile Ladjali

Je rattrape mon retard, avec un roman évoqué dans la Grande Librairie il y a déjà quelques mois, mais dont la présentation ne m'avait pas expressément marquée.
Il faut dire que le sujet me faisait redouter un traitement teinté d'un fond de condescendance ou de misérabilisme.
C'est fou, j'ai vraiment des préjugés sur tout.



Le synopsis

Leo a été élevé par sa grand-mère après la disparition de ses parents au mode de vie un peu marginal.
A treize ans, il quitte l'école pour travailler dans un atelier d'imprimerie, et à mesure que les années défilent, grandit un secret qu'il dissimule à tous : il ne sais plus lire ni écrire.
Devenu adulte, il rencontre Sibylle, une infirmière qui est aussi une jeune maman et vit dans le même immeuble que lui, et dont il tombe amoureux. Avec bienveillance, elle le soutient et l'aide à apprendre à lire. Mais ce qui semble si naturel pour la petite fille de Sibylle se révèle être un chemin de croix pour le jeune homme qu'est Léo, perclus de honte à la seule pensée de ses lacunes.

Mon avis

Comme mentionné plus haut, j'ai donc entamé le roman armée de toute ma *bienveillante* suspicion, m'attendant à trouver un discours un peu bien-pensant et professoral sur le sujet de l'illettrisme, au moyen de ce qui s'apparenterait à une étude de cas vraisemblablement inspirée de faits plus ou moins contestables.

Et bien, que nenni! Illettré est bien davantage que ce que je m'étais représenté, c'est au contraire un roman remarquable, qui débute sous de modestes atours, et se révèle au fur et à mesure de la lecture véritablement puissant.

L'auteur parvient habilement à déjouer les réflexes de pensée ordinaire, notamment lors d'une scène qui recèle une certaine violence symbolique, où l'on voit la grand-mère de Léo expliquer le contexte familial de son petit-fils à son institutrice chargée de lui apprendre à lire. Il est édifiant de voir l'institutrice se rengorger à l'écoute de la singularité de ce contexte, identifier là les causes de l'échec programmé de Léo, déclarer forfait dès lors qu'une explication surgit qui pourra la dédouaner de n'avoir pas davantage obtempéré, de n'avoir pas accompagné suffisamment l'enfant.

Une fois que Léo est adulte, le regard qu'il porte sur lui-même, et celui que portent sur lui les autres, est appréhendé, et véhicule de nouveau une violence foudroyante : l'attitude de l'enseignante bénévole semble réaliste, et est néanmoins révoltante; de la même façon, les mots qu'emploie Sibylle sous le coup de la colère sont durs, d'une cruauté inouïe.
A cet égard, Léo est d'une vulnérabilité effrayante, et difficile à saisir, tant la lecture et l'écriture sont des procédés intériorisés par une majorité de gens et dont on pourrait croire qu'ils sont partagés par tous.

L'auteur parvient à nous faire ressentir la douleur de cette exclusion-là, la stigmatisation suprême qui en découle, ainsi que la détresse qu'elle peut créer.

Ses personnages sont imparfaits, parfois déçus, parfois jaloux, parfois indécis, parfois honteux, ils n'ont pas toujours le courage que l'on voudrait croire que l'on a forcément, certaines de leurs failles sont là, sous nos yeux, exposées, et s'y confronter n'a rien de facile. Car peut-on être certain qu'il n'y a rien en nous de la faiblesse de Susan Mars, l'enseignante, ou même de Sibylle?

Illettré a le mérite de sensibiliser à un sujet dont on pourrait parfois penser qu'il est tabou, mais c'est bien davantage encore ; c'est un roman intelligent et fulgurant, qui distille une étrange amertume dont on garde le goût bien après la lecture.


Pour vous si...
  • Vous avez envie de lire un roman ambitieux, qui traite, avec une grande finesse, d'un sujet habituellement passé sous silence

Morceaux choisis

"Léo avait parfois cette violence calamiteuse des êtres qui ont honte."

"Sibylle n'est pas en mesure de patienter quand il s'agit de sujets aussi impérieux, alors elle enchaîne - Le Bonheur c'est être aimée, puis aimer en retour, c'est-à-dire être en mesure d'aimer. Le Bonheur, c'est bien la tâche la plus ardue."

"Il lève les yeux pour voir les scarifications blanches qu'infligent les avions au ciel."

"De toute façon, il est en quête d'autre chose. D'un principe situé en dehors de cette pièce où stagne un air rance, vicié. Ses yeux, aux cils collés de pus, hésitent entre le cadre de la télévision et celui de la fenêtre pour enfin choisir de se jeter dans le ciel. Il y discerne encore le halo rouge du bougainvillier, puis un nuage de la forme d'un centaure, avant que les ombres de la tour ne les chasse."


Note finale
4/5
(excellent)

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