mercredi 6 juillet 2016

Perdu, le jour où nous n'avons pas dansé, Caroline Deyns

Voilà une couverture qui m'a tout à fait charmée... Lorsque le titre d'un roman recèle une poésie propre, il est difficile de résister (et je ne parle pas, bien entendu, de titres ridicules évoquant le fait que quelqu'un vous attend, que les écureuils ont des émotions ou que la vie est facile).
Trouver un bon titre n'est pas une mince affaire, il faut donc récompenser dûment ceux qui y parviennent! (en les lisant, donc, pour ceux qui ont suivi)



Le synopsis

L'histoire d'Isadora Duncan, issue d'une famille bohème et désargentée, élevée avec ses trois frères et sœurs par une mère célibataire mélomane, qui a parcouru le monde et est devenue une danseuse internationalement reconnue, tout autant qu'une femme entière et passionnée. 

Mon avis

Quelle découverte!

A l'origine du livre, il y a une femme, que le récit sublime et fait vivre avec une fougue incroyable, toute femme je crois rêverait de se voir au prisme de ces yeux-là : en somme, Isadora peut remercier Caroline!

Figure inconnue pour moi, Isadora se montre sous de multiple facettes, chacune explorée avec un lyrisme délicat, on rencontre la jeune fille pure et dévouée à sa danse, asexuée comme les anges, on rencontre la fille et la sœur bien sûr, car les Duncan, on le comprend bien vite, sont un clan et ses membres se définissent avant tout par leur appartenance.
On rencontre la danseuse fiévreuse et qui se réinvente, la femme et l'amoureuse, la mère endeuillée, l'altruiste, la femme de nombreux projets, l'insouciante et l'amère...
Isadora abrite tant de femmes, chacune aperçue et esquissée par l'auteur, qui lui rend donc un somptueux hommage.

La narration est riche, car la narratrice se substitue volontiers à Isadora, et explore à loisir le spectre de ses émotions et de ses sentiments, offrant ainsi une introspection imaginée qui contribue à donner corps à Isadora, à la rendre à la fois paradoxale et crédible.

La langue est par ailleurs flamboyante, particulièrement vive et imagée, elle crée du relief et se révèle foisonnante, si bien que les passages littéraires et savoureux ne manquent pas, que l'on relit avec plaisir en ouvrant le roman au hasard.
Elle rend superbement la singularité du clan Duncan, la possessivité de la mère, la fantaisie des enfants qui débordent de créativité et de résilience, habitués à autant de fortunes que d'infortunes, à vivre dans le dénuement ou dans le luxe et l'opulence, qui construisent des projets aux allures dantesques, et s'opiniâtrent à les mener envers et contre tout.
Elle rend aussi le charme d'Isadora, son innocence et sa ténacité, et nous fait voyager en peignant Moscou, la Grèce, l'Angleterre, les Etats-Unis et bien sûr la France.

La chute est terrible, extravagante, grotesque, comme ne peut l'être que la vie même.

Vous l'avez compris, Perdu, le jour où nous n'avons pas dansé s'est révélée une lecture aussi brillante qu'inattendue, et je ne peux que me féliciter d'en savoir plus à présent sur la mythique Isadora Duncan.


Pour vous si...
  • Vous avez le moindre intérêt pour la danse et/ou pour les femmes de talent et de démesure
  • Vous savez au plus profond de vous-mêmes que les écharpes, étoles et autres foulards sont des instruments de Satan

Morceaux choisis

"Mary Dora avait raison. Il suffisait de la rencontre improbable d'un journal abandonné et d'une gamine rivalisant avec Dieu au cœur d'un cimetière pour les tirer d'affaire."

"Si ces hommes-là la désirent, derrière leurs mots savants, c'est par curiosité. Car que peut donner sous les baisers une telle femme, si jeune, saine et vive, une femme qui récite de tête des poèmes entiers de Walt Whitman et refuse de porter le corset, qui dit avoir dansé pour le prince de Galles et cherché certains jours dans les poubelles de quoi se nourrir, qui débarque d'Amérique et ne tarit pas sur la Grèce antique, qui danse en tunique transparente, pieds nus et couronnée de fleurs, parcourue d'ondulations frissonnantes comme une vague prête à mourir à leurs pieds, comme une prêtresse hellène ayant traversé les âges, une femme qui paraît tout à la fois singulièrement candide et héritière de savoirs séculaires, une femme si peu commune, si peu classable?"

"Car la liberté selon Isadora, c'est, mon cher Paris, de pouvoir danser sur scène, de se déplier et de bondir, se replier et se renverser dans une envolée confuse de gazes, en exagérant la saillie de son ventre devant un parterre médusé."

Note finale
4/5
(excellent)

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