vendredi 5 août 2016

Bianca, Loulou Robert

Bianca  est le premier roman d'une jeune fille de 22 ans, Loulou Robert, habituellement présentée comme "fille de", ce dont elle doit être ravie.
L'auteur était intervenue dans La grande librairie il y a quelque temps, et son intervention ne m'avait pas particulièrement appâtée. Par le plus grand des hasards, je me suis tout de même retrouvée avec son livre entre les mains. 

Un merveilleux scone de M&S et Bianca, soit un grand combo, et le sens de l'à-propos.

Le synopsis

Bianca vient d'être internée aux Primevères, un hôpital psychiatrique.
A 17 ans, elle n'a plus envie de vivre, et une relation atypique avec l'alimentation, puisqu'elle refuse de se nourrir.
Alors que ses anciens camarades s'ébrouent joyeusement au lycée, son quotidien est fait de ses interactions avec Edith, l'aide-soignante fantasque, Angélique, chef des infirmières, rigide et sérieuse, le docteur Richard, dont elle ne connaît même pas le prénom, et dont les appréciations se basent en partie sur l'évolution de la pesée quotidienne, mais aussi les autres patients, parmi lesquels Simon, Clara et Jeff, un vieux monsieur qui a perdu sa fille. 

Mon avis

Bianca est un premier roman époustouflant, quand on pense que son auteur n'a que 22 ans.

L'unité de lieu fonctionne très bien : l'intrigue se déroule dans un hôpital psychiatrique, les Primevères, et permet ainsi de créer un huit clos des plus intéressants, dans la mesure où les protagonistes sont surtout des patients. Ici, ce sont les autres, les médecins et les infirmières, qui sont scrutés avec l’œil suspicieux de Bianca, et les patients ne sont pas les fous, mais ceux qui voient clair.

De manière générale, de très beaux passages sont consacrés à la situation des internés, et ce depuis l'intérieur, puisqu'ils sont relatés depuis le point de vue de Bianca. Le mal-être est ainsi analysé, tout comme la cause de la tristesse, et le fait qu'elle puisse ne pas tenir à ce que les soignants recherchent frénétiquement : un viol, un inceste, une violence, etc.
Il est également très intéressant de voir le regard porté par les internés sur ceux qui incarnent la norme, Angélique par exemple, regard critique qui force le recul et dévoile un dégoût de l'image d'Epinal du bonheur, que le lecteur appréhende ainsi, et qui fait réfléchir : ces voies parfaites, mariage/maison/enfants/emploi, sont-elles les seules possibles vers le bonheur pour chacun?
Dans une langue très vivante et ironique, l'auteur nous mène vers des réflexions cruciales.

Par ailleurs, certaines scènes sont très visuelles, et arrivent à point dans l'intrigue, comme par l'exemple l'épisode relatif à Juliette, qui donne le ton d'entrée de jeu, ou la journée passée au bord du lac. Il y a ici une virtuosité, une intuition très juste de l'auteur, qui densifie son récit.

Le point qui pourrait selon moi être amélioré concerne les relations entre les personnages, parfois traitées un peu maladroitement à mon goût.
Il m'a semblé notamment que le personnage de Jeff, dont on pressent dès son apparition qu'il va être important et dans quelle mesure, intervient d'abord trop peu. Il est beaucoup plus présent à la fin car c'est l'intrigue le motive, mais le lecteur n'a pas forcément eu le temps de créer quant à lui un lien particulier avec Jeff. Jeff est, dans la première partie, une figure trop occasionnelle.
A l'inverse, les interactions entre les adolescents prennent parfois trop de place, apparentant le récit à un roman pour ado ou young adult, alors qu'il ne l'est pas par ailleurs : le personnage de Raphaël se révèle finalement peu intéressant, était-il vraiment nécessaire? Egalement, le retour de Simon reste surprenant et suspect, l'explication fournie est d'ailleurs peu convaincante. Ce passage aurait pu être un peu plus travaillé.

Cependant, au-delà de cette réserve, le roman reste très bon. Le final est notamment très intelligent, et voit les possibles s'ouvrir de nouveau. Le choix retenu par Bianca est intéressant, car il ne verse pas dans la facilité, ce qui le distingue de beaucoup d'autres, et le rapproche, je pense, de la réalité.

Il y a donc une grande maturité dans ce premier roman impressionnant, dont on attend avec impatience les petits frères et sœurs.


Pour vous si...
  • Vous n'êtes pas convaincu que la représentation sociale la plus répandue du bonheur/de la réussite soit si épanouissante, et comprenez le sentiment d'exclusion/de tristesse que cela peut procurer 
  • Vous n'êtes par ailleurs pas hermétique à l'idée que la tristesse ne s'explique pas toujours

Morceaux choisis

"Aux Primevères, l'unité psychiatrique pour adolescents de l'hôpital de ma ville, ils pensent que ce n'est pas normal de vouloir mourir à seize ans. Alors ils nous font faire de l'équitation, de la pâtisserie, du théâtre. Comme si monter sur un poney pouvait résoudre quoi que ce soit."

"Aujourd'hui, je me rends compte que ce n'est pas nous qui sommes fous, c'est le monde qui est fou. Et si on est abîmés, c'est parce qu'on s'en est aperçus."

"Angélique sourit. Elle garde le contrôle. Elle aime sa vie, son mari, sa maison, son travail. Foutaises. Sourire congelé, vie figée. Angélique n'est pas heureuse, elle fait semblant. Tout le monde fait semblant. Le mensonge comme instinct de survie. Certains dérogent à la règle de l'illusion. Ils sont montrés du doigt. Ils dérangent le beau, le normal, le rond, le simple. Déprimés, dépressifs, malades, perturbés. Moi je crois qu'ils sont simplement lucides."

"Il n'y a rien de plus triste qu'un amour usé. Vous avez sûrement déjà entendu cette histoire, celle de vos parents, des parents de vos amis, la vôtre... Les détails changent, mais l'histoire reste. Le temps abîme plus qu'il ne guérit. On oublie souvent de le dire."

"Pourquoi se marier? lls aiment ce qui est clair, ce qui se voit, ce qui se dit. La bague, la cérémonie, les beaux-parents, le carré, le banal. Je trouve ça con."

"Pourquoi vouloir toujours chercher une raison à la tristesse. Justement, ce qui est triste, vraiment triste avec elle, c'est quand elle ne vient de nulle part. Elle existe, c'est tout."


Note finale
3/5
(cool)

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