mardi 2 août 2016

Kinderzimmer, Valentine Goby

Voilà un roman qui me courtisait de longue date : avec un titre qui laisse peu de place à la méprise, il promettait un voyage dans les camps, en bref, une saine et divertissante lecture pour les vacances.


Le synopsis

En 1944, Suzanne/Mila est déportée au camp de Ravensbrück.
Elle est enceinte.
Pendant les premiers mois, elle doute de son état, jusqu'à ce que la grossesse se confirme, qu'elle fait tout pour dissimuler. Dans le camp, il n'y a pas d'enfants, aucun.
L'enfant naît, et Mila découvre alors l'existence, dans le camp de la mort, de la Kinderzimmer, une pièce dédiée aux nourrissons. Son fils devient bientôt sa seule raison de survivre. 

Mon avis

Comme il m'est sans doute déjà arrivé de le dire, je suis devenue de plus en plus hermétique aux récits relatifs à la Seconde Guerre Mondiale : ils sont si nombreux qu'ils deviennent étouffants, et il est difficile de faire la part de ceux qui œuvrent en faveur d'un travail de mémoire, et ceux qui ont l'époque pour cadre pour le sérieux que cela confère.
En somme, il faut donc qu'un récit soit particulièrement bon pour avoir grâce à mes yeux, lorsque l'on en vient à ces années tant présentes. Ainsi, Today we live était parvenu à sortir du lot, mais même Toute la lumière que nous ne pouvons voir, qui avait pourtant recueilli de nombreux suffrages, en particulier outre-Atlantique, ne m'avait guère convaincue.

Kinderzimmer, c'est encore autre chose. C'est le camp de Ravensbrück. Les camps, dont a si bien parlé Primo Levi, l'un des rescapés les plus tristement célèbres, dont on a lu nombre de témoignages, et qui ont même fait l'objet de romans satiriques, à l'instar de Martin Amis, qui a publié l'an dernier La zone d'intérêt, où il était question du camp depuis le point de vue des soldats allemands, avec un regard décalé et inédit.
Le roman de Valentine Goby ne fait pas, quant à lui, dans la légèreté.

Le roman se tisse à partir d'un fil rouge : le fait que les camps ne soient pas "résumables" ou "racontables" de manière universelle, mais qu'ils recouvrent la somme des expériences individuelles. L'Histoire, ensuite, est venue nommer ce que les déportés y ont vécu, s'y superposer, l'incarner et le faire entrer dans le langage commun. Mais leur histoire à eux est, avant tout, intime, personnelle. Cela est très bien illustré à travers la question posée à Suzanne par l'élève dans la classe dans laquelle elle intervient, et qui engendre cette réflexion : Ravensbrück est un nom qui n'a été connu qu'à la Libération, sans savoir quand précisément, et Mila en y survivant n'avait pas connaissance de l'endroit où elle se trouvait, du camp où elle était prisonnière.

L'histoire de Mila lie le camp à sa grossesse, et adopte donc un prisme particulier, peu évoqué alors même que le sujet des camps a fait l'objet d'une multitude d'écrits.
Les femmes que l'on suit sont des déportées politiques, et l'on ne saura donc que leur quotidien, il n'est guère question des hommes, car la séparation est nette, et les femmes vivent toujours entre elles.

Il y a dans le vécu de Mila ce que l'on a pu lire ailleurs, sur les conditions de la détention, sur le travail, sur la faim, sur les blessures et les morts, sur le gaz, qui n'est d'abord qu'une rumeur glaçante, et qui devient tangible lorsque les corps s'amoncellent.
La première partie du roman se consacre aux premiers mois passés par Mila dans le camp, les mois de sa grossesse.
La deuxième partie raconte l'accouchement, la découverte de la Kinderzimmer, et jusqu'au départ de Mila, accompagnée d'autres femmes, dans une ferme allemande où elles vont travailler jusqu'à la Libération.

Le roman est dense, l'écriture est belle, l'émotion prend souvent à la gorge.

Kinderzimmer est un hommage poignant aux déportés, survivants ou non, qui parvient à exprimer l'indicible, et restitue la décence au cœur de l'horreur la plus noire.
A lire, quoi qu'il en coûte.

Pour vous si...
  • Ce n'est pas déjà fait.

Morceaux choisis

"Le camp est une régression vers le rien, le néant, tout est à réapprendre, tout est à oublier."

"Si elle a bien compté, le terme est dans un mois, à la fin de septembre. Elle se demande de quoi elle accouchera vu sa minceur : un bébé chat? une salamandre? un petit singe? Comment savoir si ce qui vient est un vrai enfant ou un produit de Ravensbrück, une masse pas regardable couverte de pus, de plaies, d’œdèmes, une chose sans gras?"

"Les autres ne feront pas le chemin inverse, se départir du quotidien qui reprend ses droits avec la paix, mois après mois, pour entrer sur ses terres à elle, dans sa nuit. Elle sait qu'elle va porter Ravensbrück comme elle a porté son enfant : seule, et en secret."


Note finale
4/5
(excellent)

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