lundi 1 août 2016

L'homme qui voulait être heureux, Laurent Gounelle

Cet été est celui de toutes les folies, j'ai donc pris mon courage à deux mains et me suis de nouveau confrontée à Gounelle.
Le souvenir que m'avait laissé Les dieux voyagent toujours incognito n'était pas des plus reluisants, mais il faut savoir donner une deuxième chance, n'est-ce pas?


Le synopsis

Le narrateur, en congés à Bali, profite de son séjour pour rencontrer maître Samtyang, et bénéficier de ses enseignements.
En quelques jours, ces entrevues altèrent sa conception de la vie, en faisant la lumière sur le rôle fondamental joué par ses propres croyances dans son quotidien et dans ses comportements. 

Mon avis

Well, well, well...
Après la lecture de L'homme qui voulait être heureux, j'ai laissé reposer quelques jours pour que mon sentiment se distille, un moyen éprouvé pour percevoir son jugement plus clairement.

Le roman de Gounelle, c'est incontestable, se fait d'abord le véhicule d'une théorie, d'apprentissages à caractère philosophique, et c'est sans doute ce qui est assez neuf dans le paysage littéraire : il y a eu des essais, des romans à portée philosophique comme ceux de Kundera, mais Gounelle opte pour un roman plus ludique et proche d'un large public, en utilisant des personnages auxquels il est facile de s'identifier pour beaucoup.

Ce roman-ci défend la thèse suivante : nos croyances personnelles ont un impact majeur sur nos vies, et peuvent même définir notre trajectoire et notre comportement.
Ces croyances ont par exemple trait à la façon dont chacun de nous se perçoit, ce que nous avons intériorisé à notre sujet depuis notre plus jeune âge, notamment concernant la perception que les autres ont de nous. Ces croyances affectent ce que nous pensons pouvoir faire ou pas, et sont donc de ce fait limitantes.
Un individu ayant été fortement encouragé et peu brimé par ses parents aura plus de chances de croire que tout est à sa portée, et sera ainsi plus enclin à faire ce qu'il veut : les croyances en question définissent donc pour partie notre propre liberté, alors qu'elles sont de notre chef.

Comme dans le précédent roman que j'avais lu de Gounelle, l'expérimentation est au cœur du processus d'apprentissage, car le protagoniste apprend en même temps que le lecteur, et fait par lui-même l'expérience de sa liberté en allant à contre-courant, par exemple de ses croyances, afin de constater par lui-même que ce qu'il pensait impossible ne l'était que parce qu'il l'avait ainsi défini.

L'idée que Gounelle cherche à démontrer, et qui est donc au cœur du récit, est donc que l'homme est sans limite, et n'a que les limites qu'il se fixe.
Si mes souvenirs sont bons, c'est peu ou proue ce qui fondait également Les dieux voyagent toujours incognito.

Et comme pour ce dernier roman, il m'a semblé que l'intention était bonne, et je vois très distinctement en quoi l'ouvrage peut constituer un apport pour certains lecteurs.
Cependant, certains points sont à mon sens imparfaits, et mériteraient d'être repensés pour donner au roman une portée selon moi supérieure :

  • Les personnages sont souvent assez peu consistants voire stéréotypés, et donnent le sentiment d'exister uniquement pour tester la théorie qui sous-tend le roman. Le procédé est assez évident pour Hans et Claudia, les voisins du narrateur, ainsi que pour le petit groupe d'adolescents rencontrés au hasard et dont le narrateur tâche de "lire" les comportements : ils ont pour vocation de provoquer chez le lecteur des réactions/pensées clairement identifiées, et ne contribuent pas à l'intrigue au-delà de cela. C'est un peu frustrant : finalement, tout tourne autour du narrateur, assez commun, et le maître Samtyang, une sorte de Socrate qui mènerait le narrateur vers la compréhension de lui-même et l'appréhension de la vérité, mais qui n'est là qu'en tant que professeur en quelque sorte, et n'a pas d'autre visage. A cet égard, seuls comptent les enseignements que l'auteur veut transmettre, et c'est à mon sens un peu dommage. Kundera, dans les écrits duquel l'histoire de quelques personnages donne souvent lieu à des réflexions philosophiques, parvient par exemple à éviter cet écueil, en créant des personnages plus élaborés et denses. Sans consistance, difficile de s'intéresser réellement au sort d'un personnage, d'autant plus si les traits de son caractère sont grossis / caricaturés (cf la réflexion de l'enseignant qui tient à ses vacances, c'est cousu de fil blanc)
  • Certaines réflexions gagneraient à être plus poussées : l'analyse faite sur la nécessité du sacrifice peut sans doute avoir quelque valeur pour des adolescents ayant peine à croire qu'il faille renoncer à certaines choses dans la vie, mais pour un adulte, c'est léger. Il aurait été plus intéressant de chercher à comprendre pourquoi certains sacrifices semblent si insoutenables, si le rêve a toujours vocation a être réalisé, ou s'il n'a de sens que rêve, ou encore, comment faire pour accepter des vérités sur soi qui ne s'accordent pas avec la vision que l'on a de soi-même? En l'état, l'idée de départ présente donc assez de matière pour être passionnante, mais le traitement regorge - toujours selon moi - de lieux communs, à travers le profil type de l'enseignant, les croyances et le carcan familial, le regard critique porté par le narrateur sur ses voisins et les individus rencontrés alors qu'il n'est pas lui-même exactement transcendant... En ce sens, il aurait été plus riche de se fixer sur un narrateur permettant de développer la réflexion, plus atypique peut-être, moins "facile".
  • Certaines scènes sont superflues : le final est emblématique en ce sens, très convenu et peu élaboré. Il y a dans certains raisonnements un oubli visiblement typique chez Gounelle, qui se plait à croire et à véhiculer que tout est possible pour chacun, en négligeant les contingences évidentes qui frappent certains plus que d'autres. En d'autres termes : ses enseignements sont certainement pertinents pour la jeunesse dorée des pays développés, de jeunes gens oisifs qui s'ennuient et s'enlisent dans un quotidien morne, alors qu'ils peuvent concrètement faire de leur vie ce qu'ils en veulent. L'auteur écarte délibérément certaines chaînes qui affublent encore aujourd'hui une très large partie de la population, et qui bien entendu viendraient mettre à mal ses positions. Au risque de décevoir, l'environnement reste déterminant dans le parcours de certains, comme Zola a pu, il y a longtemps, le montrer. Il est un peu dur de représenter le narrateur allant dire à une petite fille d'un pays "pauvre" qu'elle peut faire ce qu'elle veut de sa vie : en cas d'échec, ira-t-il la consoler, ou considérera-t-il que c'est donc sa faute? C'est cela que je reproche à la philosophie de Gounelle : rendre les gens responsables de leur bonheur, soit, mais cela revient in fine à considérer que ceux qui ne parviennent pas à s'extraire de leur pauvre condition par exemple, afin de pouvoir réaliser leur rêve (être capitaine de navire, dans le cas présent) ne pourront s'en prendre qu'à eux-mêmes. 
  • Enfin, la langue : elle est assez pauvre de bout en bout, ce qui m'attriste infiniment. Gounelle est en cela un théoricien, il a des idées qui je pense peuvent marquer les lecteurs et les intéresser, mais il n'a pas la voix d'un écrivain. 

J'ai donc retrouvé de nombreux éléments qui m'avaient gênés à la lecture de son précédent roman, ce qui me conforte dans l'idée que je ne me retrouve pas dans le lectorat ciblé.
Cela dit, soyons honnêtes, cela ne m'afflige pas vraiment.


Pour vous si...
  • Vos vacances sont sacrées, et vous n'y renonceriez pour rien au monde
  • Gounelle vous est sympathique

Morceaux choisis

"Quand on croit quelque chose sur soi, que ce soit en positif ou en négatif, on se comporte d'une manière qui reflète cette chose. On la démontre aux autres en permanence, et même si c'était à l'origine une création de l'esprit, cela devient la réalité pour les autres, puis pour soi."

"Ce que l'on croit de la réalité, du monde environnant, agit comme un filtre, comme une paire de lunettes sélective qui nous amène à surtout voir les détails allant dans le sens de ce que nous croyons... Si bien que cela renforce nos croyances. La boucle est bouclée."

"Je relus en boucle ce passage de l'Evangile selon Matthieu. C'était incroyable. Comment Jésus pouvait-il savoir ce qu'au XXIe siècle pratiquement personne ne connaissait? Comment pouvait-il à ce point comprendre le fonctionnement des êtres humains au plus profond d'eux-mêmes?" (je vous laisse savoureux ce moment d'anthologie)

"Je veux réaliser mon rêve, mais j'aurais du mal à me passer de mes vacances!" (voilà le niveau du débat, là aussi, je vous laisse apprécier)

"Si vous ne renoncez à rien, vous vous abstenez de choisir. Et quand on s'abstient de choisir, on s'abstient de vivre la vie que l'on voudrait."


Note finale
2/5

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