mardi 13 septembre 2016

L'équilibre du monde, Rohinton Mistry

Un cadeau de Nombre Premier!
Je me souviens qu'elle le lisait, il y a des années. Il est étrange de se croiser dans les livres à quelques années d'intervalle. Un gouffre temporel, et si peu de choses en fin de compte.



Le synopsis

Le roman relate l'histoire de deux tailleurs issus de la caste des "intouchables", Omprakash et son oncle Ishvar, qui travaillent pour Dina, une veuve qui héberge Maneck, un jeune étudiant qui a fui la résidence où il était logé. Au contact les uns des autres, et en dépit des bagages qu'ils transportent dans un contexte social agité, ils nouent ensemble une relation qui les enjoint à dépasser les préjugés de leur appartenance. 

Mon avis

L'Equilibre du monde incarne le roman indien dans toute sa splendeur.

Les personnages sont emblématiques de leur condition, et en viennent à l'incarner : Omprakash et Ishvar sont tous deux intouchables, et l'on découvre à travers leur parcours ce qui fait le quotidien de cette caste, habituée à un ordre des choses dans lequel elle est indigne et inspire la plus grande défiance. Si Omprakash, que sa jeunesse porte, démontre une impatience, une disposition à l'action qui pourrait lui permettre d'accéder à un meilleur état, on observe dans les traits de son oncle une sérénité, une résignation forgées par des années de désillusion.

Ces deux personnages ne sont pas les seuls à donner du relief au récit : Dina est elle aussi très intéressante. Sa relation avec son frère, en particulier, qui la révèle indépendante et insolente, déterminée à choisir son époux et à ne pas laisser son frère dicter le moindre de ses choix.

Les autres personnages gravitent autour de ce noyau central, et forment ensemble une fresque foisonnante et vivante. Le roman s'attache à décrire le quotidien, les obstacles rencontrés, la façon dont les castes cohabitent, et dont elles s'appréhendent les unes et les autres, et les mesures gouvernementales prises à l'encontre de certaines, et dont Omprakash et Ishvar seront victimes. A cet égard, certains passages m'ont rappelé les romans de Ma Jian, traitant de la Chine, et qui évoquait également certaines des violences perpétrées sur les citoyens, au nom du gouvernement ou du parti.

Ainsi, L'Equilibre du monde s'est apparenté pour moi à un grand roman social, à l'ambition pouvant rappeler celle, en France, de Zola ou de Balzac dans leur approche réaliste/naturaliste, et qui n'hésitaient pas à dire la réalité des petites gens, y compris des miséreux, des indigents.

On ne perd jamais de vue qu'il existe toujours de plus malchanceux que nos protagonistes, notamment les Mendiants qui constituent un personnage à part entière dans l'intrigue, néanmoins le plus frappant est encore la philosophie qui est la leur : en dépit des malheurs et des terribles coups du sort qu'ils subissent, Omprakash comme Ishvar acceptent ce qui leur arrive, sans plainte, sans désespoir, et s'échinent à poursuivre leur chemin cahin caha, avec ce qu'il leur reste de forces et de courage.
Un stoïcisme et une acceptation particulièrement déroutants pour un esprit occidental, c'est du moins ce qu'il m'a semblé.


Pour vous si...
  • Vous avez un crush pour les romans fleuves
  • Le contexte indien années 1970/1980 vous intéresse

Morceaux choisis

"Omprakash regarda par la fenêtre, essayant de repérer l'endroit. Au-delà du parapet, des cahutes s'étiraient le long d'un égout à ciel ouvert. Des enfants s'amusaient avec des bâtons et des pierres, tandis qu'un chiot excité bondissait autour d'eux, tâchant d'entrer dans le jeu. Tout près, un homme torse nu trayait une vache. Un spectacle que l'on pouvait voir n'importe où."

"Il avait appris que la dignité ne s'acquiert pas à coups d'accoutrements et d'accessoires ; elle arrivait sans qu'on la réclame, grandissait en fonction des capacités de chacun à supporter l'adversité."

"Outre le tannage et le travail du cuir, Dukhi apprit ce que signifiait être un Chamaar, un intouchable, dans une société villageoise. Cette partie de son éducation ne nécessita pas d'instruction particulière. Comme la puanteur des animaux morts qui les imprégnait lui et son père, la morale du système des castes maculait tout. Et, au cas où cela n'aurait pas suffi, le bavardage des adultes, les conversations entre son père et sa mère comblaient les vides de sa connaissance du monde."

"Les boucles et les tresses sont coupées. C'est comme vouloir extraire des cristaux de sucre d'une tasse de thé."

"Deux clous, une longueur de ficelle, et la séparation symbolique fut en place. Elle recula, observa son rideau. La vie des pauvres était riche de symboles, conclut-elle."


Note finale
3/5
(cool)

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