mardi 27 septembre 2016

Les demeurées, Jeanne Benameur

Depuis la lecture, l'an passé, d'Otages intimes, je m'étais promis de faire mieux connaissance avec Jeanne Benameur et son oeuvre. Pour cela, mon dévolu s'est jeté sur Les demeurées, dont le thème me semblait tout à fait digne d'intérêt. 



Le synopsis

La Varienne et sa fille Luce vivent en bordure d'un petit village. Pour tous, elles sont abruties, retardées, les idiotes du village.
Pourtant, leur amour indéfectible est visible pour quiconque et intimide.
Lorsque l'institutrice décide d'enseigner la lecture à Luce, elle devient une menace pour le foyer, et introduit le vers dans la pomme. 

Mon avis

L'écriture de Jeanne Benameur est tout aussi pure et poignante que ce que j'avais pu percevoir à la lecture d'Otages intimes.
Elle épie, traque et tâche de capturer sur le vif les émotions dès qu'elles se forment, si bien que le récit qui est fait ne relate que peu l'action somme toute limitée qui agite le village ; la transformation opérée est toute intérieure.

L'art de Benameur consiste à aller au-delà de l'évidence, de la croyance ancrée dans les mœurs, pour donner à voir avec un œil neuf ce que l'on voyait autrement. L'accent mis sur l'amour qui unit la Varienne à Luce est d'une grande justesse, et l’ambiguïté de cette relation absolue, fusionnelle, est admirablement rendue, alors que l'on aurait pu ne pas s'attarder sur ces deux personnages habituellement relégués aux seconds rôles, aux places de figurants, avec pour seule vocation éventuelle d'apporter du comique.
C'est le grotesque cher à Hugo que j'ai vu dans ces lignes : une réalité sociale usuellement tournée en dérision, le bossu ou le bouffon, qui prend soudain une envergure nouvelle, et se hisse au niveau du sublime par une force qui dépasse le commun des mortels, et lui restitue paradoxalement toute son humanité.

Le personnage de l'institutrice, Mademoiselle Solange, ne manque pas lui non plus d'intérêt, composant un pendant évident avec la Varienne et Luce, drapé de savoirs qui ne la garde pas d'une dévorante solitude, et l'entraîne dans une quête que d'aucuns auraient pu croire vaine, et dont si peu sauront qu'elle ne l'était pas.

Les demeurées a donc le mérite de traiter sous un angle intelligent un sujet habituellement délaissé de la littérature "populaire". Comme dans Otages intimes, je referme le roman en restant quelque peu sur ma faim, sur une fin un peu abrupte et le regret que cela n'ait pas donné lieu à un récit plus étoffé encore, plus ambitieux peut-être, car la matière est d'or, et l'auteur a une belle prose, toute en finesse.


Pour vous si...
  • Le sujet, peu commun, vous semble mériter que l'on s'y intéresse.
  • Vous êtes adepte des styles littéraires qui s'attachent à retranscrire les sentiments et les sensations.

Morceaux choisis

"La petite se tient à la place exacte du mot lancé tout à l'heure dans l'air.
De l'abrutie, elle a le front étroit et l'angle trop large du coude avec l'épaule, un espace entre la main et chaque chose qui ne se comble pas.
A l'abrutie, il manque de joindre.
Rien n'est assez puissant pour faire aller le geste jusqu'à l'objet, l'esprit jusqu'à l'image. Le temps n'y fera rien. La mère et la fille, l'une dedans, l'autre dehors, sont des disjointes du monde."

"Elle, elle ne connaîtra jamais leur plénitude.
A elle, il faudra toujours et des mots et des livres et nommer les choses ne la délivrera pas.
Mademoiselle Solange mesure sa solitude.
Elle mesure qu'elle est et restera seule, celle par qui le savoir arrive."


Note finale
2/5
(pas mal)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire