mardi 11 octobre 2016

Sortie parc, gare d'Ueno, Yu Miri

Un roman dont la couverture reproduit une forêt de cerisiers en fleurs ne peut pas être foncièrement mauvais.
Voilà une règle essentielle à laquelle accorder la place qu'elle mérite dans votre vie de lecteur.
Vous verrez, vous me remercierez.


Le synopsis

Dans le parc d'Ueno, un homme vivant sous une tente se souvient de son passé, de son histoire, des faits erratiques qui l'ont conduit dans la rue. Autour de lui, il observe la nature, les promeneurs, écoute leurs conversations, qui le rappellent à lui-même, à ce qu'il était jadis, et à ceux qu'il aimait. 

Mon avis

Quelle merveille que de voir l'hypothèse robuste, la théorie vérifiée à l'épreuve du réel, et la littérature nous éblouir.

Fort de sa sublime couverture, le roman de Yu Miri est de ceux qui démangent, qui troublent, qui nous rendent à une certaine humanité trop souvent oubliée.

Le protagoniste est un homme qui a tout perdu. Non pas parce qu'il le mérite, parce qu'il est paresseux ou simplement marginal.
Il se dit juste malchanceux, l'histoire qui est la sienne regorge d'accidents à la fois terribles, et néanmoins presque communs. Il a subi la perte, à plusieurs reprises, et l'étau peu à peu s'est refermé sur lui. Son ton humble et sincère nous déshabille, dès les premiers mots, des préjugés qui pourraient nous entraver et nous éloigner de lui.

Car pourtant, en dépit de ce drame qu'il porte intimement, il nous ressemble aussi. Sa sensibilité au monde alentour est comme décuplée, il voit ce que les citadins pressés manquent, la nature qui tantôt offre un cocon réparateur, tantôt frappe sans émotion, au moyen d'un tsunami par exemple.
Il écoute. Il ne juge pas, jamais.
Les bribes de discussions qu'il capte sont autant de liens tenus qui le raccrochent à ces autres qui l'ignorent et qu'il ne verra jamais plus, mais qui représentent cette altérité proche, seule incarnation de la société pour celui qu'elle a rejeté.

L'écriture porte somptueusement le récit, plus lyrique que celle rencontrée habituellement dans les romans japonais, sans toutefois verser dans un épanchement qui manquerait de pudeur.

Sortie parc, gare d'Ueno est un roman à la fois dur et tendre, qui dit la beauté depuis les yeux d'un homme dépossédé, et cette poésie qui l'exprime est d'une extrême finesse. 

Pour vous si...
  • Vous êtes sensible à la poésie toute propre à la littérature japonaise, cette façon de décrire les choses simples en les rendant soudain douces et essentielles
  • Vous vous laisseriez tenter par une version japonaise de la très belle Fable d'amour de l'italien Antonio Moresco

Morceaux choisis

"Je croyais que la vie était comme un livre, on l'ouvrait à la première page, on passait à la deuxième, on continuait et on arrivait bientôt à la dernière, mais la vie n'a rien à voir avec ce que racontent les livres. Les lettres s'enchaînent, il y a des numéros de page, mais cela n'a ni queue ni tête. Même au-delà de la fin, il n'y a pas de fin.
Quelque chose demeure."

"Rosa Multiflora carnea, rosier multiflore à fleurs carnées... Des groupes de fleurs rondes et roses qui courbent l'échine sous leur propre poids, semblables aux clochettes que font tinter les enfants dans les auditions de musique..."

"La pluie...
Ce jour-là, il avait plu toute la nuit.
A l'aube, ça tombait plus dru, le tambourinement sur la bâche m'a réveillé.
Le froid s'était infiltré jusque dans mes chaussettes, je ne sentais plus mes pieds.
Je n'avais pas besoin de miroir pour savoir que mon visage était gonflé et mes yeux injectés.
J'étais épuisé après ces cinq ans passés dans le parc d'Ueno où j'étais venu attendre la mort.
L'hiver y est rude.
La nuit, il fait tellement froid qu'on a du mal à dormir et on passe les journées dehors à chercher une flaque de soleil où s'assoupir comme un chat. C'était si pénible que j'en oubliais presque qu'autrefois j'avais eu une famille.
Et ce matin-là était particulièrement dur, continuer à vivre me paraissait insupportable."


Note finale
4/5
(très bon)

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