vendredi 4 novembre 2016

Beaux rivages, Nina Bouraoui

J'ai découvert Nina Bouraoui il y a quelques mois, grâce à son roman La vie heureuse, dans lequel j'avais découvert un style très lyrique, et un romantisme exacerbé. Nina Bouraoui parle d'amour en virtuose ; dans Beaux rivages, elle se propose de nous en dire la fin. 


Le synopsis

La narratrice est A., et son monde s'effondre lorsque Adrian la quitte, après huit ans d'un amour sans nuage, pour une autre femme. Pas plus jeune, juste différente.
Le roman raconte cet après, l'absence qui grandit, l'évidence obscène qui se fait, l'impossibilité physique de rompre le contact, et la condition des éconduits de notre époque, lorsque la rupture rencontre pour obstacles les réseaux sociaux, qui maintiennent le lien, l'existence de cet autre qui nous a délaissé, et exposent aux yeux de tous sa renaissance dans un nouveau couple.
L'histoire d'A. est universelle, elle raconte la fin d'un amour. 

Mon avis

Il y a peu, le chroniqueur Yann Moix évoquait les artistes ayant pour talent de donner envie de vivre, et ceux ayant celui de donner envie de mourir.

En matière de littérature, les frontières sont, à mon sens, parfois très floues.
Prenez le roman de Nina Bouraoui : il est, sans l'ombre d'un doute, d'une tristesse absolue, d'une très grande beauté d'ailleurs, mais s'il vous donne le sentiment de vouloir mourir tout au long de la longue convalescence de la narratrice, une fois venu le temps de le refermer, ce n'est pas cette envie-là qui prime, car le lecteur s'est comme délesté d'un fardeau en conjurant avec A. tous ses chagrins d'amour.

Les mots de Nina Bouraoui, pour dire l'abandon, la dépendance et le vide, le vertige face à l'absence, sont intemporels.  Avec le même talent que celui qui portait La vie heureuse, elle transforme ce qui aurait pu faire figure d'anecdote et l'érige en emblème de la condition humaine, elle sait dire précisément cet état insoutenable de l'être démuni, impuissant, face à l'amour qui passe, et face à l'amour mort.

Le récit, cependant, est ancré dans l'actualité de par la place accordée aux réseaux sociaux, à travers le blog de l'Autre, que la narratrice suit sans parvenir à s'en empêcher, et qui lui livre au quotidien le spectacle du bonheur de celui qu'elle aime encore, l'apparente et déconcertante facilité avec laquelle elle semble avoir sombré dans l'oubli, qui la rend obsolète, spectre de son passé. Cette dimension, sur laquelle insistait l'auteur lors de son passage dans La Grande Librairie en Septembre, a l'intérêt de mettre en valeur le rôle joué par les outils modernes dans les histoires d'amour, où l'image sociale est sublimée et rend l'éloignement si difficile, car tout est à portée de main, à portée de clic. Ainsi, le drame vécu par A. est à la fois universel et très moderne, dans la façon dont il se déroule, et dans les vicissitudes qu'elle rencontre alors qu'elle fait le deuil de cet amour encore présent dans tant d'aspects de sa vie.

L'écriture donne l'impression de la simplicité et de la franchise, favorisant l'émergence d'un lien entre le lecteur et A., qui apparaît dans toute sa vulnérabilité, et dissèque ses états d'âme, sa vie intérieure bouleversée.

C'est un très beau récit, languissant, qui résonne comme une morne plainte, et dont on sait que la narratrice renaîtra, car il en va ainsi. Aussi profondes que soient ces blessures-là, notre époque n'est pas de celles où l'on peut mourir d'amour.


Pour vous si...
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Morceaux choisis

"Je ne crois pas que l'on puisse mourir d'amour, mais sa perte nous éteint et nous devenons sans lui des pierres sèches, grises."

"On se dit toujours que quelqu'un nous sauvera alors qu'il serait plus juste de se sauver soi avant de profiter d'un triomphe qui viendrait des autres."

"Adrian détestait, comme beaucoup d'entre nous, se sentir en faute. Il m'avait pourtant tout repris, du jour au lendemain, toute la panoplie amoureuse et sentimentale que l'on revêt pour assurer l'autre de son attachements, lettres, messages, appels, fleurs, surprises. J'avançais les mains nues et le cœur prisonnier."

"Je crois qu'en revanche la solitude existe, elle, vraiment, et quand je dis "solitude" je n'évoque pas seulement les gens seuls mais les autres, surtout les autres d'ailleurs, car c'est la pire des solitudes celle que l'on ressent alors que l'on est accompagné ; on sera toujours seuls, quoi qu'il arrive, c'est ainsi, c'est le destin de tous les humains, au départ comme à l'arrivée, c'est pour cette raison que l'on a inventé l'amour, tantôt comme une distraction, tantôt comme un graal à conquérir. Ce n'est que cela l'amour, une petite chose pour faire oublier la grande."

"Quand je t'ai rencontré, j'ai su que ce n'était pas comme d'habitude. J'avais toute ma raison. Je veux dire par là que je savais ce que je faisais. Que pour la première fois je choisissais, et ne subissais plus, et quand je dis subir, ce n'est pas des autres dont il est question, mais de moi et de moi seule, m'ayant fait subir bien plus de désagréments qu'aucun homme n'aurait pu m'en faire subir, tant ma cruauté envers moi-même fut parfois sans limite."

"Passé la quarantaine les choses changent, on n'est pas plus sage, on manque d'illusion, c'est ça la vraie vieillesse, ce ne sont ni la peau changée ni les rides, c'est de ne plus croire."


Note finale
4/5
(très beau)

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