lundi 28 novembre 2016

Tout n'est pas perdu, Wendy Walker

Je termine la sélection de novembre du Grand Prix des Lectrices de Elle par la lecture d'un thriller, Tout n'est pas perdu. Un peu refroidie par Station Eleven, j'ai tâché de mettre de côté mes a priori comme le gras dans le bourguignon, ce qui n'est pas toujours chose aisée. Mais je sais m'entêter, vous savez, quand les circonstances l'exigent!


Le synopsis

A quinze ans, Jenny Kramer subit un viol extrêmement brutal dans la petite ville de Fairview, où elle vit avec sa famille. Afin de diminuer le choc, on lui administre un traitement visant à affecter sa mémoire. Mais si les souvenirs précis lui échappent, Jenny se montre émotionnellement fragile et marquée. Un thérapeute de renom, Alan Forrester, qui est aussi le narrateur, relate le travail fait avec Jenny, tandis que l'émoi qui règne dans la ville des mois après l'agression, et l'acharnement de certains à vouloir démasquer le coupable. 

Mon avis

Tout n'est pas perdu se distingue ostensiblement d'un thriller classique, et c'est certainement ce qui me l'a rendu captivant.

Dans les romans noirs, le scénario est souvent similaire : un ou plusieurs meurtres sont commis, et tout l'enjeu du récit est de conduire à l'identification du meurtrier, du "méchant". Le sel réside en général dans les efforts déployés par le narrateur pour amener le lecteur sur de fausses pistes, tout en maintenant une crédibilité de l'issue, de sorte qu'en y parvenant, le lecteur soit frappé par son évidence.

Ici, le mystère lié à l'identité de l'agresseur plane, bien sûr, néanmoins, l'approche est moins standardisée, car les découvertes faites en chemin ont finalement plus d'intérêt que de savoir qui a violé Jenny. La personnalité du narrateur dévoile bientôt tout ce qu'elle a d'inquiétant et d'inhabituel, qui nous porte à douter de ce qui est analysé depuis cet angle : quel est véritablement le but d'Alan Forrester? Quelle est la nature de la relation qui le lie à Jenny? Quelle est l'éthique à laquelle il se range?

Par ailleurs, tout au long du roman, la description et les évocations du viol initial ont le mérite d'échapper à une vision véhiculée par les thrillers, la littérature (coucou Philippe Djian) ou le cinéma qui l'apparente à un fantasme présent dans l'imaginaire collectif. Le récit insiste sur les séquelles physiques et mentales, sur le déchirement de la famille, la solitude de Jenny, et interroge la légitimité du traitement que les parents de Jenny ont choisi de lui faire administrer. Est-il juste de retirer à Jenny ses souvenirs de ce moment traumatique sans égal? Quelle est l'intention derrière cette décision, et quelle est la part d'intérêt personnel? Est-il acceptable de tenter de supprimer le problème au lieu de soigner Jenny, faut-il y voir une tentative de nier le viol et prétendre qu'il n'est jamais arrivé?

Le suspense noue l'intrigue, grâce à des personnages secondaires qui rendent le récit dense et nous projettent dans une situation réaliste : contrairement à ce que l'on voit beaucoup dans les policiers, il est possible que l'agresseur ne soit pas un proche de la victime, même si les statistiques (ah, les statistiques, que ferait-on sans elle... Sans doute un peu moins de sondages bidons... Qui a dit ça??) n'ont de cesse de rappeler que le coupable est souvent à chercher dans l'entourage de la victime.

J'ai apprécié de réfléchir à un sujet grave grâce à ce livre qui ne payait pas de mine, et qui tient néanmoins les promesses inhérentes à tout roman noir. 

Pour vous si...
  • Vous vous laisseriez tenter par un roman policier au style un peu novateur
  • Vous êtes exaspéré de voir comment le viol est abordé dans la littérature, objet de tabou ou de fantasme, souvent loin de sa sinistre réalité

Morceaux choisis

"Cette enfant parfaite, son corps profané, violé. Sa vertu volée. Son élan brisé. J'ai l'air mélodramatique. Cliché. Mais cet homme s'est introduit dans son corps avec une telle violence qu'elle a dû être opérée. Pensez-y."

"Même une fois le traitement administré, chaque rêve romantique de sa première fois, chaque histoire d'amour qui aurait flotté dans sa tête et l'aurait fait sourire en songeant qu'elle était adorée par quelqu'un comme nulle autre au monde. Ces choses avaient probablement disparu pour toujours. Et alors que resterait-il à cette jeune fille quand elle deviendrait une femme? Ces choses qui font battre notre cœur pendant l'essentiel de notre vie pouvaient bien être définitivement perdues pour elle."

"Aucune relation ne peut survivre à la vérité pure, à la vérité absolue. Non. Une fois que les membres d'un couple ont confessé leurs véritables sentiments envers l'autre, que ce soit en privé ou lors d'une thérapie de couple, ou même auprès d'amis à la langue bien pendue, la partie est finie. Ne le voyez-vous pas? Ne le savez-vous pas en votre for intérieur? Nous aimons les gens pour ce qu'ils sont et ce qu'ils nous font ressentir. Nous pouvons d'ordinaire tolérer leurs défauts et les passer sous silence. Mais une fois que nous voyons dans leurs yeux le moindre reflet de nous-mêmes qui n'est pas celui que nous voulons voir, celui que nous avons besoin de voir pour nous sentir bien, le pilier de l'amour est brisé."

"J'aime ma femme. Ça semble malhonnête d'utiliser cette expression après avoir tellement insisté sur l'aspect nébuleux de l'amour. Sur le fait qu'il ne signifie rien hormis dans le contexte de la personne qui le "ressent". Sur le fait qu'il signifie quelque chose de différent pour chacun d'entre nous et ne veut donc à certains égards rien dire."

Note finale
3/5
(cool)

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