vendredi 23 décembre 2016

Première ligne, Jean-Marie Laclavetine

Une personne de confiance m'a recommandée chaudement la lecture de Première ligne. Ne nous voilons pas la face, nous savons tous que la lecture, comme l'achat d'un Thermomix, marche à 90% par bouche à oreille. Donc, quand des proches dont vous estimez les goûts vous gratifient de quelques idées, il faudrait être tordu pour ne pas les suivre. 
En plus, c'est financièrement beaucoup moins engageant que l'achat d'un Thermomix.


Le synopsis

Cyril Cordouan dirige les éditions Fulmen, qui se distinguent dans le monde de l'édition par les convictions qu'elles défendent et leur refus de toute compromission. Un jour, après avoir expliqué avec quelque véhémence les raisons de son rejet à un auteur dont le manuscrit n'avait pas été retenu, ce dernier se suicide devant lui. Affecté par l'événement, Cyril Cordouan décide bientôt de mettre en place une structure visant à rassembler les auteurs non édités et à les aider à vaincre leur addiction à l'écriture, en se confrontant à la triste vérité, à savoir, leur manque affligeant de talent. Néanmoins, c'est sans compter sur quelques personnalités bien trempées dont il va croiser la route. 

Mon avis

Truculent, sarcastique à souhait, et à la limite de l'insolence, j'applaudis des deux mains!

Première ligne est un grand roman, bourré de second degré et de recul sur le monde de l'édition, qui a le mérite de poser des questions intéressantes sur le rapport des écrivains (y compris wannabe) à l'écriture. Comme vous l'imaginez, il y avait donc des ingrédients de choix, de sorte que le roman ne pouvait que me plaire!

Le personnage de Cyril Cordouan est absolument génial, animé de certitudes que rien ne semble ébranler, jusqu'à sa rencontre avec Martin Réal, cet écrivain qui l'admire et se suicide devant lui après la sentence rendue par Cyril au sujet du manuscrit qu'il lui a soumis. L'homme impétueux se révèle bientôt en proie à de nombreux doutes, concernant sa compagne Anita qu'il sent parfois distante, concernant la mission qu'il voudrait accomplir, son rôle auprès des écrivains, bref, il constitue un terrain formidable pour que tout dérape et prenne des proportions inattendues.

L'intrigue imaginée par l'auteur est pavée de faux semblants, de rebondissements, si bien que je ne me suis guère ennuyée, et ai été surprise par les commentaires moins enthousiastes laissés par d'autres lecteurs sur la fiche du livre sur le site Babélio. Certes, le récit n'est pas toujours réaliste, mais il ne promet jamais de l'être, et à ce compte, nous devrions nous contenter d'une poignée de romans seulement parmi tous ceux qui sont publiés chaque année.

J'ai le sentiment que la critique et le lectorat se sont parfois montrés acerbes du fait que l'auteur est lui-même éditeur au sein d'une grande maison d'édition, et qu'à ce titre, non seulement les attentes sont d'un niveau d'exigence exagéré (voire inatteignable), mais encore, il lui serait reproché de traiter du sujet de l'écriture et de la déception des écrivains avec humour.

C'est une posture que je déplore, car je trouve au contraire audacieux et drôle de se frotter à cette thématique en prenant du recul, c'est à mon sens une prise de risque importante qui mérite d'être saluée.

D'ailleurs, il m'a semblé que l'auteur était relativement précurseur, dans la mesure où le sujet a été récemment abordé dans Le mystère Henri Pick ou Au paradis des manuscrits refusés (quoique sous un angle un peu différent), il fait écrire et il fait lire, car il interroge sur la pertinence qu'il y a à proposer son oeuvre à la publication, ainsi que sur la pertinence des refus, et sur le rôle de l'écriture dans la vie de ceux qui écrivent.

Pour ma part, donc, Première ligne est un très bon roman, hybride, original, terriblement ironique, croyez-moi, je n'ai pas l'ombre d'un regret.


Pour vous si...
  • Vous aussi, vous êtes addict. Et vous ne comprenez pas pourquoi Gallimard ne veut pas de votre chef d'oeuvre, Josette et les phasmes en folie
  • D'ailleurs, vous êtes tellement camé que vous cherchez activement comment corrompre un éditeur, et êtes prêt à toutes les vilenies pour ce faire. 

Morceaux choisis

"Fulmen vivote au gré de chiches subventions, de critiques dédaigneuses ou distraites, de ventes anémiques, puisque dans ce pays tout le monde écrit mais personne ne lit."

"Je vous ai lu, tout simplement. J'ai lu Zoroastre et les maîtres nageurs.
Et c'est mauvais, n'est-ce pas? demande Martin comme on tente son va-tout en demandant au médecin si c'est bien un cancer, avec l'idée qu'il ne pourra que démentir.
Ce n'est pas mauvais! explose Cyril. C'est absurde! Tout en écrivant, vous vous regardez dans un miroir, et vous vous trouvez beau! Le livre trempe dans cette molle satisfaction : rien de vital là-dedans, pas de révolte, pas de conscience de l'enjeu!"

"Cyril comprend à quel point il s'est trompé. Il ne suffit pas de distinguer, dans la marée des manuscrits, ceux qui méritent d'être défendus, publiés. Il faut aussi repêcher, à l'autre extrême, ceux dont les auteurs sont en danger, les intoxiqués du Waterman, les aliénés du clavier, aveuglés par leurs propres jets d'encre, ceux qui creusent d'infimes et insalubres galeries souterraines à coups de stylo plume, sans comprendre qu'elles ne déboucheront jamais à l'air libre, que la lumière dont ils rêvent d'inonder l'univers n'est qu'une loupiote anémique tout juste susceptible d'enflammer le grisou qui les ratatinera. Refuser les manuscrits? Trop facile. On peut supprimer sa bouteille à l'ivrogne : il devient, simplement, un ivrogne malheureux."

"Voilà un bel échantillon d'humanité bouillante et scribouillante. Ils y croient, oh, comme ils y croient! Chassés de partout, refoulés, ignorés, raillés parfois par leurs proches, ils continuent d'y croire - peut-être simplement pour ne pas avoir à en mourir.
Intelligents, pourtant, bons lecteurs pour la plupart, fins goûteurs d'encre, ils sauront repérer immédiatement chez les autres les tares dont ils se croient exempts."

Note finale
3/5
(cool)

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