jeudi 1 décembre 2016

Retiens ma nuit, Denis Tillinac

Petite pause dans la rentrée littéraire d'octobre, je vous propose aujourd'hui la chronique d'un roman publié en 2015, au titre romanesque et à la couverture délicieusement désuète...


Le synopsis

La soixantaine passée, François et Hélène vivent une seconde jeunesse grâce à la passion puissante qui les lie. Lui est médecin, marié à Claire, une femme exemplaire et admirée, et Hélène est mariée à Franck, envers qui François nourrit bientôt une jalousie sans bornes. Entre Blois et Cahors, leur idylle inespérée se décline toute en douceur. 

Mon avis

Retiens ma nuit est un remarquable roman, pour l'excellente raison qu'on s'y promène en terre lotoise, et entre Cahors et Gramat, c'est tout à fait inédit dans la littérature!

Cependant, il y a davantage : l'écriture est somptueuse, exquise, sa poésie et son rythme transportent le lecteur, donnent la sensation d'un bavardage en hiver blotti au chaud, d'une rêverie douce et langoureuse, c'est savoureux, et c'est ce que je retiendrai avant tout du roman, et qui attise ma curiosité pour l'oeuvre de Denis Tillinac (vous voyez, le Lot n'a rien à voir avec tout ça, c'est bien la preuve que je suis impartiale. Quoique, quand on y pense, c'est sans doute une muse autant qu'une terre, tant elle est de nature à inspirer les poètes... Saviez-vous que c'est à elle que fait référence la chanson de Nino Ferrer, Le Sud? - c'est en tout cas ce que m'a dit ma maman, et elle a toujours raison- Et oui, mes amis, le Lot, c'est mythique!).

Le sujet, il faut le dire, se prête à cela : raviver la fougue et la tendresse entre deux êtres qui croyaient ces extravagances derrière eux, c'est touchant, le lecteur se laisse attendrir au gré des pages et des sentiments qui s'y déclinent.
François est pétri de contradictions, c'est sans doute ce qui le rend à la fois agaçant et si humain : lui qui se fait une fierté d'avoir Claire pour épouse, cette femme que tous estiment y compris Hélène, il n'est pas si bien disposé à l'égard de Franck, le mari d'Hélène, et lui voue bientôt un mépris et une jalousie sans bornes. Là où il n'est pas question que lui fasse des concessions, il en exige toujours de plus grandes d'Hélène, réclamant qu'elle ne fasse plus l'amour avec son mari, quand lui se garde bien de ne plus toucher Claire. Il se montre injuste, excessif, incontrôlable, amoureux en somme.
Hélène a aussi des côtés adolescents, dans la façon dont elle exprime son amour à François. Elle est plus distante toutefois, on peine parfois à la cerner, elle échappe à François et n'attend pourtant que lui.

Un récit tendre, empreint d'une désuétude enchanteresse, qui accompagne à merveille une soirée de décembre. 

Pour vous si...
  • Vous êtes avide de lectures délicates, loin du tourment parisien et de ses frivoles appâts

Morceaux choisis

"Nous avons rêvé d'une évasion dans un endroit vierge de nos passés, une île au trésor, un ciel étoilé sous les tropiques. Ou Cahors, la ville d'Hélène, que j'ai poétisée sans la connaître."

"Passé la soixantaine, les élans romantiques ne sont plus de saison. Le moteur a des ratés, la carrosserie des éraflures. On compte ses abattis et ses points de retraite. On commence à pressentir que l'escale ici-bas connaîtra une fin sous une dalle ou dans une urne, au choix."

"J'ai pris sa succession par indolence, j'ai épousé sa fille parce qu'elle était belle, désirable, de bon aloi, et me promettait les conforts d'une épouse à la mode de ma mère ou de mes grands-mères. Bourgeoise sans ostentation, catho sans en faire étalage, aimante avec délicatesse et n'ambitionnant que de reproduire, en plus gai, le parcours de sa propre mère, un mari, des enfants, un train de maison. Reproduire, c'est encore le biais le plus sûr pour tromper le temps."

"Si au moins j'étais sûr qu'elle est aussi désemparée que moi! Aussi tentée de composer mon numéro sur son portable. Aussi fébrile à chaque sonnerie! Si au moins j'étais sûr qu'elle souffre!"

" "Tu es heureux, chéri?" La première fois que le "chéri" lui a échappé, Hélène a mordillé ses lèvres en hochant la tête. "Puisqu'on en est là, autant tout te dire. Je t'aime. Et toi?" On manque d'imagination dans ces moments, j'ai dû bafouiller "moi aussi", mais je l'ai appelée de ma voiture et là, une salve de "je t'aime" jusqu'à Chaumont."

" "_Hélène ne jure que par toi.
_Parce qu'on a les mêmes goûts en peinture. Je me suis découvert cette passion. Au fait, elle va bien?
_Toujours ses migraines et ses maux de ventre. Elle vieillit, comme nous tous."
Elle vieillit peut-être, ai-je pensé avec une délectation de fin gourmet, mais pas plus tard qu'hier après-midi, pliée, écartelée sur la banquette arrière de mon cabriolet, infiniment plus nue que nous ne l'étions dans ce sauna, elle avait oublié ses migraines et le reste." (ah, cette chose que l'ego masculin...)

Note finale
3/5
(cool)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire