lundi 6 février 2017

Chroniques de l'oiseau à ressort, Haruki Murakami

Je pourrais dire que la lecture des Chroniques de l'oiseau à ressort est à considérer comme la lecture d'un classique, tant l'oeuvre a été encensée unanimement depuis sa parution en France en 2001 (soit 7 ans après la publication au Japon. Et oui, c'est long de traduire). C'est bon pour mes comptes, en plus, vu que j'ai vaguement souvenir de m'être engagée sur un classique par mois.
Boah, en période de promesses électorales à foison dont nous savons pertinemment qu'elles ne verront jamais le jour, vous seriez un peu gonflé de m'en tenir rigueur, non?


Libres pensées...

Étrange roman que celui-là, qui n'est pas sans rappeler le style très singulier de Murakami déjà appréhendé dans 1Q84 notamment (pour le coup, Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil se distingue ostensiblement à mon sens, sans parler de L'autoportrait de l'auteur en coureur de fond - je ne vous parle que de ceux-là car les autres sont encore à lire).

Comme dans 1Q84, le monde dans lequel on pénètre est à la fois familier et étranger, tant certains éléments semblent totalement nous échapper, ainsi qu'ils échappent au narrateur.
Ici, il s'agit de ces éléments extérieurs qui se manifestent dès les débuts du roman, et semblent annonciateurs : une femme se met à appeler au domicile du protagoniste, Toru Okada, et entretient avec lui un échange érotique ; il fait la rencontre d'une jeune fille vivant dans une maison voisine, May Kasahara, qui prend des bains de soleil dans son jardin en séchant les cours ; le chat disparaît mystérieusement, et ne reparaît pas en dépit des recherches de Toru dans le voisinage, si bien que sa femme lui demande de consulter une voyante, Malta Kano, aidée par sa sœur Creta Kano qui le trouble.

Signes qui convergent vers un événement central : le départ de la femme de Toru, qui disparaît à son tour sans laisser de traces, ni d'explication.
Le seul recours de Toru est alors son beau-frère, homme qu'il n'apprécie guère, et dont sa femme était peu proche bien qu'étant sa femme, Noburu Wataya, qui l'informe que sa femme Kumiko l'a quittée parce qu'elle avait une liaison avec un autre homme.

En parallèle, le lieutenant Mamiya fait irruption dans sa vie, et lui raconte un épisode de vie remontant à la guerre de Mandchourie, au cours duquel il avait été laissé pour mort au fond d'un puits, expérience qui marque intellectuellement Toru au point de le conduire à la reproduire, en allant de lui-même au fond du puits voisin pendant toute une journée, à l'issue de laquelle il passe au travers du mur : la touche fantastique propre à Murakami s'exprime en particulier dans ce passage singulier.

Le roman devient une quête de Kumiko et une quête de sens. Ce passage d'un monde réel au monde fantastique n'est pas sans évoquer la frontière tangible que l'on découvrira au cœur de l'intrigue de Q184 (la saga étant postérieure à l'écriture et la publication des Chroniques de l'oiseau à ressort), et nourrit à la fois l'imaginaire et les interrogations : qu'est-il advenu de Kumiko, dans quel monde se cache-t-elle? Quelles sont les ressources de Toru pour la retrouver? Quels sont ses amis et ses ennemis?
Le rêve correspond avec la réalité, participant de ce sentiment d'onirisme et de flou dans lequel est pris Toru Okada.
Le récit s'apparente en cela, à mon sens, à un récit initiatique, à cela près que le héros, plongé dans les affres de l'incertitude et impuissant face à ce qui lui arrive, a trente ans, et non quatorze, comme c'est souvent le cas dans les récits de cet ordre. J'ai lu que c'était également une perception que l'on pouvait avoir à la lecture de Kafka sur le rivage, qui a contribué à la renommée de l'auteur, il faudra donc que je m'y attelle aussi.
Les romans de Murakami, si le mystère y est prégnant, ne "fonctionnent" pas comme des thrillers où chaque élément a été disposé à dessein, et sert une finalité. L'atmosphère qui y règne est unique, il n'y a pas une réponse factuelle et rationnelle à un fait inexpliqué. Il faut être capable de s'extraire d'une situation et de faire parler les indices intangibles qui parsèment les tribulations des personnages, souvent loin de figures héroïques, et, pour cette raison, dont on se sent incroyablement proche.

Le protagoniste, aux prises avec l'absurde du monde, ne peut trouver de solution qui viendrait restituer la routine de son existence, cet avant avec lequel il est franchement en rupture, et dont il est nostalgique, ce qui s'exprime à travers son attachement à sa femme, et sa volonté de la retrouver pour comprendre, pour remettre de l'ordre dans sa vie.

Chronqiues de l'oiseau à ressort est un roman complexe, un entrelacs de réflexions sur la vérité, la solitude, la recherche de sens face à l'empire de l'absurde, dont on ressort plus perdu qu'en y entrant, plus empli de doutes, plus mélancolique aussi.
A vous de voir si vous préférez prendre la pilule rouge.


Pour vous si...
  • Vous goûtez les traductions françaises des romans japonais, dans lesquelles on retrouve invariablement des expressions comme "à fond" assez impropres. 
  • Vous n'aimez rien tant que vous perdre dans des romans touffus (oui, oui, touffus, absolument) où vos repères ordinaires n'ont pas prise. 

Morceaux choisis

"Mais dix minutes représentent parfois beaucoup plus que dix minutes. Le temps peut s'allonger ou rétrécir, je le savais par expérience."

"Est-il possible pour un être humain d'en connaître un autre à fond? Connaître vraiment quelqu'un nécessite du temps et des efforts sincères, mais jusqu'à quel point peut-on approcher l'essence de cette personne? Savons-nous le plus important sur ceux dont nous sommes persuadés d'être les intimes?"

"_Je n'ai pas très envie d'en parler pour le moment. Il y a des choses, tu sais, qui deviennent fausses dès qu'on en parle. Tu comprends ça, Oiseau-à-ressort?"

"Ce fut pour moi une grande surprise d'apprendre que vous étiez descendu dans un puits. Car je continue moi aussi à éprouver une forte attirance pour les puits. On comprendrait mieux que je ne veuille plus en entendre parler après avoir vécu un tel danger, mais ce n'est pas le cas, encore maintenant, dès que j'en vois un, je ne peux m'empêcher de regarder à l'intérieur. Pour peu qu'il soit à sec, j'ai alors envie de descendre. Je cherche probablement à rencontrer quelque chose en bas. En y allant, et en attendant au fond, j'aurais sans doute l'espoir d'y trouver ce que je cherche. Je ne pense pas que cela pourrait réparer ma vie. Je suis trop âgé pour espérer cela. Ce que je cherche, c'est la signification de ma vie perdue. Pourquoi, et à cause de quoi a-t-elle été perdue?"


Note finale
3/5
(cool)

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