vendredi 21 avril 2017

L'administrateur provisoire, Alexandre Seurat

Souvenez-vous, je vous parlais d'Alexandre Seurat il y a un peu plus d'un an, c'était ici
Il faut dire que son premier roman, La maladroite, n'était pas passé inaperçu, et m'avait personnellement complètement ébranlée.
Ce sentiment en mémoire, j'ai naturellement ressenti la plus vive curiosité à l'égard de son deuxième roman, L'administrateur provisoire.


Libres pensées...

L'auteur entreprend d'explorer son histoire familiale, et de se pencher sur un sujet tabou : l'activité d'administrateur provisoire exercée par son arrière-grand-père durant la guerre. Une activité indigne, qui a attiré l'opprobre sur la famille qui la tait depuis, puisque cela consistait à "administrer" (comprendre : confisquer) les biens des personnes juives, et à agir dans ce cadre en "bon père de famille". Les familles juives, ainsi dépossédées, se retrouvaient par suite sans ressources, et souvent déportées. Retraçant les faits et gestes de son arrière-grand-père, le narrateur identifie sa responsabilité dans la déportation de plusieurs juifs, et indirectement, dans leur mort dans les camps.

Le sujet choisi par l'auteur n'est pas dénué d'intérêt. Il faut dire que tant de choses ont été écrites sur la dernière guerre mondiale qu'il faut sacrément se creuser la tête pour trouver du neuf. A cet égard, le récit d'Alexandre Seurat souffre, pour moi, de se pencher, comme de nombreux autres, sur cette période dont il semblerait qu'on n'aura jamais fini de la dépouiller, de la fouiller, en vue d'un petit quelque chose à dire. C'est assez naturellement, en outre, que les auteurs désireux de se plonger dans l'histoire de leur famille s'arrêtent sur cette époque-là, et et racontent un aïeul qu'ils ont à peine connu, mais qui a pu avoir une influence sur leurs parents, par exemple.

L'histoire d'un administrateur provisoire se distingue donc, dans le magma des récits sur ces années-là, car si les résistants ont fait l'objet de nombreuses recherches, il apparaît que ceux qui ont collaboré (et qui étaient, dans les années 1940, une majorité, soulignons-le) ont suscité moins d'enthousiasme de la part des écrivains, et qu'à la faveur du temps passant, ils commencent à sortir de l'ombre, à mesure que de nouveaux auteurs exhument ces figures qui ont été poussées dans l'oubli.

Ici, le cas est saisissant : Raoul H, l'arrière-grand-père en question, a montré une grande implication dans la mission qui lui avait été confiée, et a sciemment œuvré à l'expropriation des juifs, allant parfois au-delà de ce que réclamaient ses fonctions. Il est intéressant de voir à quels obstacles se heurte le narrateur fouillant le passé, dressé en premier lieu par sa famille peu désireuse d'en savoir plus sur le rôle joué par Raoul.

En outre, le récit conduit à s'interroger sur l'impact de telles découvertes sur les descendants, y compris sur plusieurs générations, car l'indignité est un fardeau qui se transmet; néanmoins, et paradoxalement, mettre fin aux silences en mettant en lumière les agissements de Raoul peut également permettre une libération. Le récit est donc sous-tendu par une intégrité et une honnêteté essentielles, mais dont on devine qu'elles peuvent coûter à leur auteur, car dévoiler et assumer un ancêtre collaborateur et indirectement responsable de plusieurs morts n'a rien d'aisé, en particulier quand la lecture historique qui est faite de la guerre est celle du peuple français opprimé et résistant, plus que celle de ceux, au sein du peuple, qui ont accepté l'occupation et se sont employés à y trouver leur avantage, fermant les yeux sur les conséquences certaines de leurs actes.

Malheureusement, la lecture est freinée par une construction qui m'a paru complexe, des allers et retours entre les différents temps du récit, qui peuvent finalement perdre le lecteur et le décourager.

Mon sentiment est donc mitigé, surtout lorsque je compare cette lecture à celle de La maladroite, qui m'avait absolument bouleversée. Alexandre Seurat confirme néanmoins qu'il est un auteur à suivre!


Pour vous si...
  • Vous n'êtes pas dupe, et en avez assez que l'on vous raconte l'Histoire depuis un angle indûment favorable pour la France.
  • Vous avez aussi une ou deux casseroles dans votre propre généalogie.

Morceaux choisis

"Qu'est-ce qu'un Juif?
_Celui ou celle, appartenant ou non à une confession quelconque, qui est issu d'au moins trois grands-parents de race juive, ou de deux seulement si son conjoint est lui-même issu de deux grands-parents de race juive.
_Qu'est-ce que la race juive?
Est regardé comme étant de race juive le grand-parent ayant appartenu à la religion juive.
_Le critère de définition est-il la race ou la religion?
La loi française ne fait nullement reposer la définition juridique du Juif sur le critère religieux. Elle se contente de l'utiliser ainsi que le font les lois étrangères, comme élément de discrimination lorsque l'élément racial n'est pas déterminant."

"En conséquence de quoi et puisque vous êtes déjà mort et qu'aucune réparation n'est plus possible de votre part, le tribunal vous condamne à la peine posthume maximale.
L'indignité.
La séance est levée."

Note finale
2/5
(pas mal)

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