lundi 1 mai 2017

Danser au bord de l'abîme, Grégoire Delacourt

De Grégoire Delacourt, je n'avais plus rien lu, depuis son touchant La liste de mes envies
Je me souviens avoir été sensible à la douceur, à la simplicité, mais aussi à la dureté qui en émanait, tout cela offrant une lecture aigre-douce invitant à réfléchir au bonheur.
Et puis, par hasard, je me suis trouvée nez à nez avec son dernier roman, et ai eu l'envie d'y faire un tour. 

Voici la réunion heureuse de deux productions comparables en qualité. 

Libres pensées

Avant de me livrer à l'analyse rigoureuse et impartiale de l'oeuvre (ce blog ployant sous le poids de critiques analogues), commençons par une petite mise en situation.

Emmanuelle, dite Emma, a la quarantaine, un mari aimant, Olivier, avec lequel elle a eu trois enfants relativement banals, tout ce petit monde vivant à Bondues (une commune du Nord dans laquelle le FN a récolté moins de 10% des suffrages exprimés, voilà qui se salue! C'est néanmoins aussi la ville d'origine de Philippot, donc mesurons notre enthousiasme...).
Un jour, Emma croise la route d'Alexandre dans la brasserie André (dans le Nord, me direz-vous, il est assez commun de se croiser dans un bar), et tombe amoureuse de lui.
Mais le sort n'est pas favorable à Emma, et si elle échappe de justesse à la sélection annuelle des Hunger Games, il n'en reste pas moins que lorsque elle décide de quitter sa famille et de partir recommencer sa vie avec lui, et bien, patatras, l'improbable se manifeste, et fiche ses plans à l'eau (je ne vous dis pas tout, sinon il n'y aura strictement plus aucune raison de lire ce livre).
Elle échoue donc lamentablement dans un camping, et ce n'est pas beau à voir.
L'auteur en profite pour intégrer de nouveaux personnages à l'intrigue, qui patine sec dans la semoule, mais c'est insuffisant pour donner de l'âme au roman.
Le temps passe, Olivier se maque avec une de ses collègues qui a vingt ans, et découvre, ô malheur, qu'il est atteint d'une maladie terrible, faisant fuir la jeune dame (évidemment qu'à vingt ans on n'a forcément aucune résilience face à la maladie, alors qu'à quarante, quand on a tout quitté pour aller s'établir dans un camping moisi, et bien, on est prêt à affronter ça), et ramenant Emma dans les parages, qui, grâce à son sens de l'à-propos, parvient même un beau jour à sauver Olivier qui se meurt (n'allez pas trop creuser, ce passage est absurde), ce qui lui rend l'image d'une compagne acceptable, et justifie qu'elle retrouve une place dans la vie de famille, qui a bien changé depuis le début du livre, tout comme vous, puisque vous sortez abîmé et certainement désespéré de cette lecture dont vous vous seriez bien passé.

A présent, dois-je vraiment déverser le fiel que ces deux heures de trop passées à lire Danser au bord de l'abîme ont fait immanquablement naître?
Ce serait dommage de s'en priver, non?
Alors, tout au long du roman, figurez-vous qu'un parallèle grossier est établi avec l'histoire de la chèvre de Monsieur Seguin. Histoire chère à mon cœur, comme celle de la petite fille aux allumettes, je vous laisse donc imaginer mon désarroi et mon courroux lorsque j'ai compris que cette adorable Blanquette devenait une représentation d'Emma.

Par ailleurs, contrairement à La liste de mes envies où le ton m'avait semblé simple et fluide, j'ai eu le sentiment en lisant que l'auteur s'écoutait écrire, friand de petites phrases dont on croit deviner qu'il les a considérées bien senties, balancées à la volée, en guise de paragraphe. Beaucoup de lieux communs agrémentent le récit, fortement imprégné par ailleurs d'un pathos un peu trop dégoulinant, qui agace légèrement d'abord, et finit par irriter au plus haut point.

Et puis, comme dirait ma petite sœur, elle est coucouille, Emmanuelle, couillonne, bref, toute la panoplie peut y passer, le constat est bien là : l'auteur avait sans doute en tête de créer un personnage qui suscite l'empathie, dans lequel nombre de femmes pourraient se reconnaître (et peut-être est-ce le cas?...), mais en ce qui me concerne, ce personnage multiplie les pensées creuses, est en proie à des démons somme toute très courants et déjà abordés mille fois dans la littérature, elle n'a guère de profondeur (elle passe quand même une grande partie du bouquin soit à se morfondre, soit à décrire combien il est plaisant de voir son ego reboosté à coups d’œillades pas discrètes dans le bistrot du coin, visiblement disposée à prendre des décisions inconsidérées, faisant mine d'assumer mais d'en souffrir, bref, elle est atrocement prévisible, et abominablement rasoir. C'est la bonne copine que vous vous forcez à voir une fois par mois, n'ayant pas le cœur à mettre fin à cette amitié que vous traînez comme un boulet depuis des années, parce qu'il fut un temps où vous étiez peu éclairé en matière de choix d'amis, et que vous en payez encore aujourd'hui les pots cassés).

Pour résumer, l'histoire ne casse pas trois pattes à un canard et souffre d'un pathos exacerbé, les personnages sont des stéréotypes, l'écriture se veut poétique et ne véhicule in fine pas grand chose, en clair, on a le sentiment que Grégoire Delacourt surfe sur son succès, mais que les bonnes idées qui faisaient le sel de certains de ses anciens romans l'ont momentanément déserté. Dommage!


Pour vous si...
  • Vous avez en horreur les œuvres d'imagination (ou tout simplement de qualité), et vous complaisez dans une littérature qui vous lobotomise un poil (-> je précise : "un poil" a ici valeur d'adverbe et non de COD, c'est à entendre comme "qui vous lobotomise un peu", il n'est bien sûr pas question de voir un poil lobotomisé, ce serait infiniment déroutant. Je ne sais même pas comment il faudrait s'y prendre pour mener la tâche à bien). 
  • Les personnages un peu martyrs vous attirent irrépressiblement, je pense par exemple à la Bénédicte du regrettable L'amour et les forêts. Tiens, un autre dont on clamait la proximité avec Flaubert, et qui n'a finalement fait que produire un roman de comptoir bourré de clichés et totalement dispensable. 

Morceaux choisis

"Je ne voulais pas d'un amant. Je voulais un vertige."

"Plus tard, ses mots sont précis. Vos abîmes m'attirent, me sont nécessaires.
Ma mélancolie.
Sa bouche sourit encore, et je quitte la brasserie, légère. Je me sens gourmande, et appétissante. Je me sens jolie.
Il y a des hommes qui vous trouvent jolie et d'autres qui vous rendent jolie.
Et plus loin, dans la rue, je me mets à danser."

"Puis elle s'était remise au bridge. Elle avait organisé une tournante avec quelques amies." (ah ben il y en a qui savent s'amuser...)


Note finale
1/5
(flop)

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