vendredi 19 mai 2017

Winter is coming, Pierre Jourde

Comme beaucoup d'entre vous, le titre du roman de Pierre Jourde m'a d'abord fait penser à ce leitmotiv désormais bien connu de Game of Thrones. 
Et bien, détrompez-vous braves gens, il n'y a là pas le moindre rapport (j'entends d'ici gronder les rumeurs de déception).
Le titre est celui d'une chanson, que vous trouverez facilement sur youtube, créée par un certain Kid Atlaas. Qui n'est pas étranger au récit, puisque Pierre Jourde, l'auteur, est son père. Et que le roman relate sa maladie, et sa lente agonie jusqu'à la mort, alors qu'il avait 19 ans. 


Libres pensées...

J'imagine qu'après cette entrée en matière, j'ai désormais toute votre attention.
Dans Winter is coming, Pierre Jourde évoque la mort de son fils Gabriel, auquel on découvre une maladie rare, qui le ronge une année durant, avant de l'emporter.

Le roman s'inscrit dans la lignée de ceux qui disent la plus grande douleur, cette perte insurmontable d'un enfant qui choque par son injustice et le sentiment qu'elle n'est pas dans l'ordre des choses.
On retrouve bien sûr des similarités avec L'été d'Agathe, de Didier Pourquery, Nuit de septembre, d'Angélique Villeneuve, ou encore le sublime Camille, mon envolée, de Sophie Daull.
La démarche de Pierre Jourde est, ainsi, à la fois intime et universelle, sous-tendue par une peur largement partagée par tous les parents du monde (hormis peut-être quelques-uns qui jouent les rebelles), qu'il tâche d'ailleurs d'appréhender dans son roman, mettant en exergue ce sentiment, cette crainte indicible qu'il avait déjà conçue lorsque ses enfants étaient très jeunes, et qu'il est tenté de revisiter comme une sinistre prémonition.

Gazou est un bel enfant, rieur, joueur, devenu un adolescent créatif, un artiste de talent. Sa maladie se déclare, et l'on a le sentiment qu'elle n'est guère qu'un obstacle à franchir, une lutte à mener, dont assurément Gazou sortira vainqueur, lui qui déborde de vie, qui a tant à accomplir.
A travers le récit de la dernière année de la vie de Gabriel, l'auteur relate la relation ambiguë aux professionnels de santé, détaille leurs comportements, qu'il s'emploie à décrypter pour comprendre ce qui va advenir, car la parole ne dit jamais vraiment la réalité, soit parce que la réalité est prête à bousculer d'un instant à l'autre, les médecins ne sachant pas vraiment quelle sera l'issue jusqu'à la toute fin, soit parce qu'ils suivent une ligne de conduite qui leur dicte, pour certains, de toujours se montrer optimistes, y compris lorsque l'état de santé du patient se dégrade irrémissiblement, pour d'autres, de se montrer au contraire pessimistes, si bien que les événements tendent à leur donner raison.

Cette relation aux médecins avait été abordée dans Camille, mon envolée, mais sous un angle un peu différent, puisqu'il s'agissait là de soignants qui, aux urgences, n'avaient pas détecté le véritable mal qui était sur le point de provoquer la mort de l'adolescente. Ici, la relation s'étend sur plusieurs mois, elle se noue, avec les parents comme avec le patient, Gabriel, mettant en cause une confiance singulière qui s'établit au-delà du rapport purement professionnel.

Le roman est imprégné de tendresse et de nostalgie, il touche le lecteur au cœur, bien sûr, comme les autres romans évoquant ce sujet.
Le plus marquant de tous restera pour moi celui de Sophie Daull, en partie parce que c'est le premier lu. La douleur des parents, somme toute, se ressemble, et ce livre terrible, qui dit une épreuve parmi les plus redoutées, se raconte à l'infini, décrit la même peine. Elle inspire une déférence silencieuse envers ceux qui y sont confrontés, prend en otage en quelque sorte, néanmoins, à mon sens, la question de la valeur littéraire du roman reste ouverte.
Winter is coming est ainsi, à mes yeux, et comme les autres romans évoqués, un témoignage avant toute chose. D'ailleurs, la plus grande touche artistique réside dans la chanson de Gazou en elle-même.

Pour vous si...
  • Vous n'espérez pas trouver un préquel à votre série TV favorite ;
  • Le sujet vous taraude. 

Morceaux choisis

"L'avoir toujours redouté. L'avoir vécu plusieurs fois avant de le vivre.
L'avoir toujours su, au fond, disait, après que tout eut été accompli, une voix de la conscience.
L'avoir toujours su?
Non, dans la suite tranquille des jours, on ne sait pas ces choses-là. Mais la nuit, parfois, lorsque l'insomnie amène le cortège des angoisses, toutes les images du jour se métamorphosent, et paraissent révéler une vérité hideuse qu'elles tenaient cachée. Alors la vision ressemble à une connaissance."

"On peut se battre sans attendre de victoire. Et toutes ces histoires de progrès de la médecine, de réussir à maintenir en vie pendant quelques années, jusqu'à ce qu'on trouve quelque chose... juste de quoi tenir un peu mentalement jusqu'à l'issue.
Peut-être n'attendaient-ils pas qu'on y croie, mais simplement qu'on joue la pièce avec eux, dans une sorte de connivence. Peut-être aspiraient-ils simplement, pour eux et pour nous, à une sorte de suspension du réel pendant le traitement. Faire comme si... Il y a eu, pourtant, ce n'est pas une reconstruction a posteriori, le "vous êtes guéri". Comment peut-on être guéri si la maladie ne répond pas à la chimiothérapie? Est-ce que les acteurs se sont pris à un moment à leur propre jeu? Est-ce qu'ils ont, eux aussi, voulu croire à l'illusion qu'ils avaient mise en place?"

"Ce sera ton dernier don, Gazou, ce sourire que tu étais, en lequel toute ta personne semblait affluer et s'embraser en un don pur, sans restriction, sans réserve. Ton dernier don qui nous brûle aussi. La certitude tranquille de ta présence nous avait fait oublier, pendant ta vie, qu'elle tenait du miracle, comme toute présence humaine dans son énigmatique individualité. Et c'est ta mort qui nous renvoie au miracle que tu étais, il faut ton absence pour que ta présence nous saisisse, nous prenne à la gorge, nous étrangle parce qu'elle n'est plus que l'accomplissement de ton absence éternelle."


Note finale
3/5

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