vendredi 30 juin 2017

La plume, Virginie Roels

Premier roman au bandeau aguicheur (rien moins que : "Le secret du prochain président de la République"!), La plume me faisait de l’œil depuis un moment. Les 68 me donnent l'occasion de m'y plonger, ô joie!


Libres pensées...

Une journaliste qui vient de perdre son emploi décide de trouver un scoop qui lui permettra de se remettre en selle. Interpellée par la vidéo de l'émission télévisée au cours de laquelle le précédent président a "perdu les pédales" et a perdu la course à la présidentielle, elle note un détail qui n'a jamais été mentionné, la présence au premier rang d'un jeune homme au sourire de Joconde, à la vue duquel le président perd ses moyens.
Forte de son intuition, elle décide de creuser la piste, et de comprendre quels mécanismes ont conduit à la déchéance d'un homme qui était en posture confortable pour remporter un deuxième mandat, avant cette soirée fatidique.

Depuis L'insouciance, je n'avais plus eu l'occasion de me frotter à un roman abordant le milieu de la politique. Un peu comme les romans d'entreprise, le parti pris est épineux et peut rebuter certains lecteurs. Ce serait bien dommage, car ce premier roman est époustouflant.

Et pour cause : la trame est savamment maîtrisée, elle progresse à bon rythme sans pour autant perdre le lecteur, elle est crédible, et évoque un thème tout à fait actuel à travers le scandale politique détricoté par la protagoniste, bien que la nature du scandale soit distincte de ce que l'on peut trouver ces derniers temps dans l'actualité.

Les personnages sont, quant à eux, ambigus à souhait, depuis le président lui-même - mais c'est attendu -, à la protagoniste en personne, en passant par le flot des ministres et sous-fifres, jusqu'à l'étudiant au sourire de Joconde, Julien Le Dantec, qui est sans doute celui dont on jurerait le plus de la probité, et se révèle à son tour équivoque dans ses intérêts et comportements.

De bout en bout, le suspense maintient le lecteur en haleine, alors même que l'issue est dévoilée dès les premières pages : la fameuse scène de l'émission télé, au cours de laquelle le président se compromet. A mesure que la protagoniste rencontre les acteurs de cet épisode, les pièces du puzzle s'assemblent, et l'on prend la mesure des conséquences de chaque acte de ces personnages. Le monde de la politique apparaît comme une toile d'araignée, ou une rangée de dominos, la chute d'une seule pièce pouvant entraîner celle de nombreuses autres que l'on ne soupçonnait pas.

Virginie Roels livre un premier roman intelligent et prenant, qui ne conforte pas notre foi en la politique, mais au contraire s'emploie à la démystifier, rappelant combien les hommes de pouvoir sont avant tout guidés par une ambition dévorante, qui peut à tout instant prendre le pas sur les convictions qu'ils défendent.  

Pour vous si...
  • Vous vous laisseriez bien tenter par un roman politique, dévoilant les rouages et les compromissions des hommes et des femmes intervenant dans un domaine où l'amoralité semble de mise.

Morceaux choisis

"En tirant la chasse, il se rend compte qu'il a très souvent pris de bonnes résolutions en pissant, parfois aussi en se brossant les dents, également sous la douche, à bien y réfléchir. C'est à se demander si la mécanique sanitaire n'a pas un effet salvateur sur son cortex pré-frontal ou quelque chose dans le genre."

"Je trouvai la solution un matin, après avoir checké ma boîte mails, toujours, désespérément, vide. Alors que j'analysais l'impact de cette vexation quotidienne sur mes comportements futurs envers autrui - l'humiliation ne fait jamais rire, on en garde quelque chose d'un peu brun, qui vient encrasser la mémoire, se métastase en mépris -, je songeai au calvaire de Phèdre sous la plume de Racine."

"Les étudiants que je croise à la fac croient en la politique, mais exècrent ceux qui la représentent, un bouillon de haine qui ne demande qu'à se déchaîner, explique-t-il, exposant son âme, avouant son imposture, sans qu'ils n'en devinent rien. Invitez-les aux meetings, aux débats, créez des états généraux de la jeunesse, laissez-les penser que ce pouvoir leur revient de droit. Que leur tour est venu de l'exercer. Désignez vos adversaires comme l'unique obstacle entre eux et l'accomplissement de leurs ambitions. Sur les réseaux, ils n'en feront  qu'une bouchée. Maintenez-les dans cet état de croyance et de dépendance. Ce n'est plus vous qui avez besoin d'eux, mais eux qui, sans vous, ne pourront plus rêver. Bien sûr, si vous les trahissez, il faudra les convaincre que vous avez cru à vos propres mensonges."

Note finale
4/5
(excellent)

jeudi 29 juin 2017

Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, Salman Rushdie

Voilà longtemps que je m'étais promis de lire Salman Rushdie, dont je n'ai pas encore touché aux Versets sataniques qui attendent sagement dans ma bibliothèque. L'attrait de la nouveauté est tel que je me suis pourtant trouvé le temps de découvrir son dernier roman, au titre évocateur, Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, ce qui, nous pourrons en convenir, représente pas moins de mille et une nuits. Ah ah, quel petit facétieux, ce Salman!


Libres pensées...

L'auteur entreprend de raconter l'histoire des jinns dans le monde des hommes, à travers la vie de Dunia, jennia qui s'éprit d'un homme, Ibn Rushd, auquel elle donna une pléthore de descendants, tous porteurs de l'ADN des jinns.

Le récit se déroule comme une fresque mythologique, où interviennent des personnages majestueux et aux intentions pas toujours louables (les jinns étant loin d'être bienveillants).

Salman Rushdie pare son récit d'atours somptueux, en particulier grâce à un style varié, pouvant se faire tantôt très littéraire, tantôt presque oral, mêlant des références ancestrales et des références très actuelles, à l'instar de Ghostbuster ou de Sigourney Weaver. On y trouve des thèmes graves, de l'humour, de la poésie. Sous les yeux de son lecteur, l'auteur enchante le monde grâce à la figure des jinns, à leurs pouvoirs destructeurs, à leur malice.

Pour ma part, en dépit de ce tableau engageant, je n'ai pas été très sensible à ce déploiement de magie, mais salue l'originalité et l'audace dans le mélange des genres, qui dépoussière les récits habituellement dédiés aux mythes.

Et, surtout, je me promets de lire très vite les versets sataniques, qui ont je crois une envergure différente et une audace toute différente...


Pour vous si...
  • Vous n'êtes pas contre un peu de magie en littérature (des idées qui ont du génie, assurément)
  • Vous en avez marre de l'autofiction, et vous tourneriez bien vers un authentique récit d'imagination.

Morceaux choisis

"Ce que l'on peut dire c'est que les jinns, lorsqu'ils interviennent dans les affaires humaines, sont joyeusement partisans, qu'ils dressent les hommes les uns contre les autres, font la fortune d'untel, transforment tel autre en âne, prennent possession des gens et les rendent fous de l'intérieur de leur esprit, facilitant ou entravant les voies du véritable amour mais se tenant toujours à l'écart de toute véritable camaraderie avec les hommes, sauf quand ils se retrouvent piégés dans une lampe magique, dans ce cas, c'est manifestement contre leur gré."

"Fichez le camp, dit-il. Je suis ici chez moi. C'est mon château et je le défendrai avec des canons et de l'huile bouillante.
_Est-ce là une menace de violences, monsieur?
_C'est une putain de figure de style." (*_* claaaaaaasse!!!)


Note finale
2/5
(pas mal)

mercredi 28 juin 2017

Sous la vague, Anne Percin

J'ai découvert l'existence d'Anne Percin par hasard, s'il m'en souvient bien, et ses précédents romans, destinés à des publics tantôt adulte, tantôt adolescent, m'ont souvent beaucoup enthousiasmée (mention spéciale au Premier été qui m'avait éblouie). Elle revient avec Sous la vague, un titre aussi énigmatique que la couverture, qui titille la curiosité...


Libres pensées...

En 2011, Bertrand Berger-Lafitte possède une propriété dans le cognac qui est sur le point de lui échapper, la faute à de piètres résultats, à l'acharnement du conseil d'administration à vouloir délocaliser, avec en première ligne, son ex-femme Marjorie, et à son actionnaire majoritaire, Bernard, qui menace de vendre ses parts à un acquéreur étranger.
Alors que le monde est secoué par la catastrophe nucléaire qui frappe le Japon, Bertrand perd peu à peu le contrôle de sa vie, perturbé par des rêves qui l'assaillent depuis qu'il a renversé une biche sur la route, et par les événements qui le touchent personnellement, notamment l'annonce de la grossesse d'Olivia, sa fille de 16 ans. Auprès de lui, Eddy, son chauffeur et homme de main, agit mystérieusement, et est bientôt le seul auquel Bertrand se fie.

Sous la vague est une sorte de chronique sociale dans les lignes de laquelle on se laisse emporter très rapidement. Au coeur du récit, les rêves et hallucinations de Bertrand, ses relations parfois tumultueuses avec son entourage, et la figure énigmatique de Eddy, qui est insaisissable.
En toile de fond, l'agitation sociale et les craintes des ouvriers travaillant à l'usine dont Bertrand est à la tête, qui craignent de voir leurs emplois transférés à l'étranger, et le choc de Fukushima. La période est suffisamment récente pour que le récit semble au lecteur très actuel, tout comme les problématique qu'il aborde au travers de la famille Berger-Lafitte, qui porte dessus un point de vue particulier, puisqu'ils ont beaucoup à perdre, mais sont toutefois à l'abri du besoin.

L'auteur entretient habilement le flou entre les rêveries de Bertrand et les scènes réellement vécues, celles de la biche, de la corneille, et les échos qu'elles trouvent dans le quotidien de Bertrand. Bien que l'intrigue soit centrée sur le personnage de Bertrand, les personnages qui l'entourent sont nuancés, y compris ceux avec lesquels il est parfois en franche opposition, comme Marjorie, d'abord présentée par une opportuniste manipulatrice, et qui peu à peu laisse entrevoir son attachement à Bertrand.
Par ailleurs, à mesure que l'intrigue avance, on comprend l'importance du personnage d'Eddy, d'apparence flegmatique et dont on sait peu de choses, mais dont on devine des agissements en secret.
Parvenue à la fin du roman, je suis toutefois restée sur ma faim, sans sentiment d'achèvement ou de satiété, et c'est là un bémol que j'apporte à mon appréciation de l'oeuvre.

Anne Percin prouve cependant une fois de plus sa maîtrise du récit et sa compréhension des états d'âme humains, dans un récit somme toute assez prenant. 

Pour vous si...
  • Vous êtes un grand amateur de la rubrique des chiens écrasés.
  • Vous pensez d'ailleurs qu'il faut sauver Bambi.

Morceaux choisis

"C'était curieux, se dit-il, qu'on assimile le célibat à la liberté. Pour lui, il avait plus de ressemblance avec la prison."

"Il n'était pas encore prêt, ce n'était pas la bonne personne. C'était probable... bien qu'à son sens, plus vrai encore était le fait qu'il n'existât probablement pas de bonne personne. Ni pour lui, ni pour quiconque. Il n'existait que de belles erreurs, qui parfois duraient des années. Des illusions, des rêves, des mensonges, des espoirs montés les uns sur les autres en piles hasardeuses, hautes comme des pièces montées, qui un beau jour s'écroulaient parce que le caramel avait fondu et qu'on avait cessé d'y croire."

Note finale
2/5
(pas mal)

mardi 27 juin 2017

Mon ciel et ma terre, Aure Atika

Je ne vous présente pas Aure Atika, ou alors très brièvement, puisque vous avez sans doute déjà croisé son regard de braise et son sourire communicatif dans un film, depuis La vérité si je mens! jusqu'à OSS 117, en passant par Comme t'y es belle ou De battre mon cœur s'est arrêté.
La belle Aure se lance en littérature, et nous raconte sa mère, une femme tout aussi passionnante. 


Libres pensées...

Dans ce roman, la narratrice tâche de saisir Ode, Odette, une femme multiple, vive et impulsive, aventureuse, indépendante, anti-conformiste. Une mère peu banale, qui lui a appris à regarder le monde autrement, en dépit des défauts qu'elle lui trouvait adolescente.

Un bon roman est un roman où l'on ne s'ennuie pas. On pourrait argumenter des heures sur tout un tas d'autres critères, mais je pense que nous pourrons néanmoins nous accorder sur celui-ci (quoique, il m'est arrivé de lire des livres où je m'ennuyais ferme, et de leur trouver après coup un charme fou. Coucou Frédéric Moreau et Marie Arnoux).
Et bien, je ne me suis pas ennuyée une seconde dans le roman d'Aure Atika.
Il s'agit pourtant d'un écrit intime, où l'on pourrait craindre de se sentir voyeur, de se sentir de trop, ou de ne voir aucun intérêt à une histoire avant tout familiale.
Ces pensées-là, qui sont souvent venues m'interrompre à la lecture de romans partageant la thématique de la biographie d'un proche, ne m'ont pas traversée une seule fois.

En cause? Le style, je pense, direct, mêlant l'anecdotique et l'introspection, et une franchise de la narratrice, qui se traduit par exemple dans son appréhension à l'égard de la réception qui sera faite au personnage de sa mère. Préoccupation largement partagée par les écrivains, mais qu'il est d'usage de ne jamais laisser transparaître ni d'évoquer. Ici, Aure Atika livre cela : elle redoute que le lecteur enferme sa mère dans une catégorie (celle de "junkie" en particulier), elle redoute de ne pas parvenir à lui rendre hommage comme elle voudrait le faire, elle redoute de n'être pas à la hauteur et de ne pas restituer la richesse de cette mère tant aimée. Et c'est cette inquiétude toute humaine qui se charge le mieux d'établir une connivence entre l'auteur et le lecteur, et garantit la bienveillance à l'égard de sa protagoniste.

Des pages de Mon ciel et ma terre se dégage un amour tendre et fou, une extrême douceur, une révolte aussi par moment, la volonté de réconcilier la femme rebelle qu'était sa mère et celle qu'elle est elle-même, à une autre époque, à travers des choix différents, mais si les chemins se sont éloignés, les voix se répondent.

Le récit d'Aure Atika nous oblige à nous défaire de ces préjugés hâtifs que l'on peut avoir à l'encontre des personnages de romans, lorsqu'en une phrase on se fait une idée de leurs rêves, de leur avenir, de leurs pensées et de leurs limites. Le lecteur est sommé de ne pas enfermer Ode dans la case à laquelle toute sa vie durant, elle a tâché d'échapper, demeurant insaisissable, plurielle, libre.

Ce premier roman m'a touchée, j'ai songé qu'il n'était sans doute pas une mère qui ne serait bouleversée de lire un tel témoignage d'amour adressé par sa fille. A découvrir!


Pour vous si...
  • Vous avez / êtes aussi une mère pas très conventionnelle (ou alors, vous en rêvez)
  • Vous vous demandez comment on pouvait ramener de l'opium d'Inde, dans le bon vieux temps.

Morceaux choisis

"Elle a tellement de poupées Barbie. Moi, j'en ai deux, deux Barbie et deux Playmobil. A l'une des Barbie, il manque une jambe, et à l'un des Playmobil, il manque son casque de cheveux. Je ne leur fais jamais sentir leur handicap. Ma poupée a exactement les mêmes activités que sa copine et même un amoureux, le valet de pique de mon jeu de cartes."

"J'aurais aimé comprendre pourquoi tant d'attachement à sa liberté sentimentale tout en cherchant un compagnon. Comprendre pourquoi elle n'avait jamais réussi à rester plus de quelques mois avec un homme."

"Le regard des gens m'avait imposé une place, j'accentue le trait pour leur imposer la mienne. Désormais, j'enfile un pantalon noir, des tee-shirts de couleur vive, moulants, et des bottes de moto. Les cheveux lâchés, un trait d'eye-liner, je fais avancer mes pieds et non le contraire.
[...] Oui, j'ai de gros seins, et des bottes de moto aussi. En cuir noir. Oui, j'ai une grosse bouche, mais qui ne sourit pas, et un regard noir aussi. Je suis cette adolescente qui t'en veut. A toi et au monde."

Note finale
3/5
(cool)

lundi 26 juin 2017

La jeune fille et la guerre, Sara Novic

Alors celui-là, je ne sais pas, mais alors pas du tout, comment il m'a atterri entre les mains. Sans doute la ressemblance avec le nom du quatuor à cordes de Schubert (la mort, la guerre, on est quand même dans le même thème). Merci Franzounet de m'avoir aléatoirement si bien orientée. 


Libres pensées...

Ana est une jeune femme d'apparence normale, vivant dans le New Jersey avec ses parents et sa sœur Rachel.
Mais en réalité, l'histoire d'Ana n'est pas celle de tout un chacun. Sa soeur Rachel et elle ont été adoptées, après avoir perdu leurs parents pendant la guerre de Yougoslavie, au début des années 1990. Devenue adulte, Ana décide de retourner en Croatie, à Zagreb, où elle a grandi jusqu'à cette période qui a marqué sa vie.

Visiblement, La jeune fille et la mort est un premier roman.
J'en suis sidérée, tant le style est affirmé, la trame maîtrisée, et le sujet grave.

En premier lieu, le roman a présenté pour moi un intérêt de "vulgarisation historique" : je n'avais pas en tête l'implication de la Croatie dans les guerres qui ont fait imploser la Yougoslavie, persuadée que seules étaient engagées la Serbie et la Bosnie Herzégovine. A cet égard, l'histoire d'Ana et de sa famille lève le voile sur cet angle moins connu de la guerre.

Par ailleurs, l'auteur touche le lecteur à travers le personnage d'Ana, qui voit ses parents tués sous ses yeux (scène racontée sans pathos dégoulinant, il ne s'agit pas de faire pleurer dans les chaumières, c'est sans doute pour cela que le récit est poignant), qui reste déchirée par des sentiments ambivalents, à l'égard de ses parents adoptifs, de sa sœur, de son ami Luka, de Petar et Marina, qui, après l'épisode où elle était enfant soldat, l'ont aidée à rejoindre les Etats-Unis. Tâchant elle-même d'analyser et de comprendre ses pensées et ses comportements, elle pointe ce qui est pour elle de l'égoïsme, les nombreux questionnements identitaires qui l'occupent, les questions restées sans réponse en Croatie, le jour où elle en est partie.

En outre, une grande partie du roman véhicule le regard porté par la petite fille sur les événements au milieu desquels elle se retrouve prise. Ce choix de l'auteur limite nécessairement la compréhension de ce qui se passe réellement, mais a pour intérêt de traduire sans filtre la réalité. Certaines considérations, comme la façon dont les adultes s'adresseront à elle par la suite, dont les journalistes se comportent au cœur de la guerre civile, dont les gens meurent ou survivent, glacent d'effroi. Pourtant, il n'y a là aucun sensationnalisme, on croit véritablement aux mots que l'auteur place dans la bouche d'Ana.

 J'ai donc pour ma part été impressionnée par ce premier roman sans concessions, et guetterai avidement l'actualité de son auteur...


Pour vous si...
  • Vous êtes aussi naze que moi en matière de guerres de Yougoslavie (si vous êtes un expert, en revanche, le récit vous laissera sans doute frustré, car il s'agit d'un récit rapporté tel que vécu par une fillette).

Morceaux choisis

"Au début, les adultes - partagés entre intérêt et voyeurisme - m'avaient interrogée sur la guerre, et j'avais raconté sans fard ce que j'avais vu. Cependant, mes récits étaient souvent accueillis par des regards fuyants, comme s'ils s'attendaient à ce que je remballe ma marchandise en affirmant qu'une guerre ou un génocide, après tout, ce n'était pas si grave. Ils me présentaient leurs condoléances, comme il convenait de le faire, avant de s'enliser poliment quelques instants pour enfin trouver une excuse mettant fin à la conversation."

"[...] un journaliste, une espère que je ne parvenais toujours pas à comprendre. Des étrangers, chantres de la morale, qui restaient toutefois en retrait et immortalisaient les gamins ensanglantés qu'ils croisaient sur leur chemin."

"_Certains affirment que les Balkans sont intrinsèquement violents. Que tous les cinquante ans, on se sent obligés de faire la guerre.
_J'espère que c'est faux."

Note finale
5/5
(coup de cœur)

vendredi 23 juin 2017

Continuer, Laurent Mauvignier

En 2014, Autour du monde m'avait fait la plus forte impression. J'ai un peu traîné la patte pour lire le dernier roman de Laurent Mauvignier, mais son heure a fini par venir. 


Libres pensées...

Sibylle vit avec son fils Samuel, et est séparée du père de ce dernier.
Lorsque son fils se retrouve impliqué dans une agression sexuelle, Sibylle décide de partir plusieurs mois avec lui au Kirghizistan, traverser le pays à cheval, l'aider à renouer avec une passion qu'il avait enfant, et ainsi, espère-t-elle, lui permettre de se retrouver face à lui-même et de trouver une voie pour devenir adulte. Mais le périple se révèle plus dangereux qu'elle ne l'imaginait.

Le topo de départ, admettons-le, fait froid dans le dos : en mettant sa protagoniste dans la peau d'une mère qui apprend que son fils a assisté à une agression sans intervenir, Laurent Mauvignier se place d'entrée de jeu du côté des auteurs qui prennent des risques, qui vont se confronter à une réalité dont on ne peut parler qu'en prenant mille précautions.
J'ai immédiatement pensé à Lionel Shriver, et son foudroyant Il faut qu'on parle de Kevin. Néanmoins, il ne s'agit pour Mauvignier que d'un point de départ : le récit est rapidement transporté dans les montagnes du Kirghizistan. Et c'est au tour d'une autre situation complexe de prendre le relais; car le projet de Sibylle, s'il est surprenant, n'est pas sans faire écho à une certaine folie du voyage qui s'est développée depuis quelques décennies, le voyage devenant un gage d'ouverture et d'altruisme, un marqueur social aussi bien sûr, un choix attestant d'une dimension spirituelle supérieure. Le voyage devient une réponse au mal-être, quel qu'il soit, il touche, je pense, de plus en plus de gens, mais reste - à mes yeux du moins - entaché d'un certain snobisme, car ne voyage pas qui veut, néanmoins il est devenu commun d'agir comme si tel était le cas. Dans certains milieux, il n'est pas rare de croiser des étudiants qui, las de leurs études et peu emballés à l'idée d'amorcer leur vie professionnelle, partent plusieurs mois, jusqu'à un an, faire un tour du monde. Normal. Une fois engagés dans la vie active, le voyage devient ce rendez-vous au moins annuel, il prend des proportions impressionnantes, car les destinations sont souvent les US, le Pérou, la Thaïlande, Bali... On ne parle plus de Barcelone ou d'Ibiza, qui sont réservées aux petits joueurs.
Bref, je n'ai rien contre les voyages, il est au contraire formidable de pouvoir voyager, mais suis toujours épatée par le côté naturel que cela peut revêtir parmi les Cadres, en particulier.
Tout ça pour dire, Mauvignier, revisite le mythe du voyage en lui rendant figure humaine, en soulignant les risques auxquels des Européens un peu naïfs et longtemps préservés sont capables de s'exposer, et le poids des désillusions.

Finalement, épiphanie il y a, puisque Samuel ressort transformé du périple. Mais pas pour les raisons que l'on peut s'imaginer.

Continuer est un roman audacieux, qui repose sur des voix divergentes, révélant les différentes facettes d'une situation, et toutes ses vérités. Si l'issue du roman semble se diriger vers un certain manichéisme, l'écueil est évité tout au long de l'intrigue, invitant le lecteur à ne pas se ranger derrière des réflexes de pensée banals, et à envisager que nous n'avons toujours, à chaque moment, accès qu'à une vision très partielle des choses.


Pour vous si...
  • Vous lâcheriez bien tout pour aller faire du poney en Norvège.
  • Vous ne savez pas quoi faire de votre ado.

Morceaux choisis

"Il avait été furieux de se sentir en danger, de se sentir démuni, vulnérable, de voir que sa mère avait sympathisé et ri avec Djamila, comme si à chaque fois que sa mère avait un moment où elle pouvait ne pas être uniquement sa mère, il devenait furieux."

"On n'est pas un autre. On n'est que ce corps, on n'est que ce désir bordé de limites, cet espoir ceinturé. Alors il faut apprendre à s'en rendre compte et à vivre à la hauteur de sa médiocrité, apprendre à s'amputer de nos rêves de grandeur, vivre au calme, à l'abri de nos rêves.
[...] Le plus souvent elle oublie, mais parfois ça revient : une bouffée de honte. Elle n'éprouve même pas un vague sentiment de tendresse, de pitié amusée, de reconnaissance pour la jeune femme qu'elle a été, qui avait cru qu'on peut vivre et accomplir des choses plus grandes que nous."

"On ne fait pas de projet d'avenir - les projets, c'est pour ceux qui n'ont pas de présent. Quand le présent vous comble, pourquoi aller chercher demain ce qui s'accomplit pleinement chaque jour?"


Note finale
3/5
(cool)

jeudi 22 juin 2017

Hiver à Sokcho, Elisa Shua Dusapin

Comme j'ai le sens de l'actualité, je vous emmène cette semaine en Corée, mais non pas du côté de la bruyante et vivante Séoul, non non, plutôt dans un coin un peu paumé du nord-est de la Corée du Sud. C'est trop facile de ne faire que dans les paillettes, moi Monsieur, je m'intéresse à la vérité vraie des autochtones, comme toute touriste qui se respecte. 


Libres pensées...

A Sokcho, une jeune fille travaille dans une pension en rêvant d'ailleurs. Elle fait un jour la rencontre de Yann Kerrand, auteur de bandes dessinées originaire de Normandie, de passage en Corée. Délicatement, de leur rencontre naît une connivence inattendue.

Hiver à Sokcho est à lire absolument.
Tout d'abord, parce qu'il me semble malaisé de retranscrire précisément l'émotion qu'il véhicule, qui le distingue des romans tablant sur des recettes éprouvées. En plein cœur de l'hiver, à Sokcho, on découvre un tout petit bout de culture coréenne, sa confrontation avec la culture française incarnée par Kerrand, le poids de l'immobilité, d'une certaine solitude, de rêves qui semblent hors de portée, parce que le monde est loin.

L'auteur excelle à décrire les rituels quotidiens, ce qui la rapproche des auteurs coréens mais aussi japonais, à mon sens (n'ayant lu que trois auteurs coréens, il est un peu léger de ma part de me prononcer sur la littérature coréenne dans son ensemble, mais comme je me dis que les trois personnes qui liront cet article n'en auront peut-être pas lu davantage, je tente le tout pour le tout).

Ainsi, sans jamais que ne se déroule une action excentrique ou sortant simplement de l'ordinaire (bien que le passage du normand joue le rôle d'élément perturbateur et vienne bousculer la routine de la protagoniste), ces petites choses de tous les jours donnent bientôt forme à une sensualité exacerbée. Par ces détails se dessine une conscience aiguë des corps, qui s'accompagne d'un sentiment étrange, à mi-chemin entre l'étouffement, nourri par ces mille possibilités qui existent soudain en dehors de Sokcho mais paraissent inaccessibles, et l'ataraxie, car ce calme qui règne imprègne, berce, fait verser dans la contemplation, dans une attente dont le but est mal défini.

La lecture de ce premier roman est donc une aventure en elle-même, qui mérite que l'on s'y attarde.


Pour vous si...
  • Vous cherchez la destination de vos prochaines vacances (spoiler alert : ce ne sera sans doute pas Sokcho)
  • Vous êtes un amoureux de la littérature asiatique, notamment japonaise, et raffolez de ses phrases succinctes et descriptives, propices à laisser se déchaîner votre imagination effrénée. 

Morceaux choisis

"_Alors vous êtes français.
_De Normandie.
J'ai baissé le menton en signe d'entendement.
_Vous connaissez? a-t-il demandé.
_J'ai lu Maupassant...
Il s'est tourné vers moi.
_Vous la voyez comment?
J'ai réfléchi.
_Belle...Un peu triste.
_Ma Normandie n'est plus celle de Maupassant.
_Peut-être. Mais c'est comme Sokcho.
Kerrand n'a pas répondu. Il ne connaîtrait jamais Sokcho comme moi. On ne pouvait pas prétendre la connaître sans y être né, sans y vivre l'hiver, les odeurs, le poulpe. La solitude."

Note finale
4/5
(très bon)

mercredi 21 juin 2017

Principe de suspension, Vanessa Bamberger

La ronde des premiers romans se poursuit... 
L'auteur est journaliste, et vit à Paris.
A défaut de pouvoir vous en dire plus à son sujet, je vais donc vous raconter son livre...


Libres pensées...

Thomas est chef d'entreprise, et sa société, Packinter, ne se porte pas bien.
Il s'escrime à rassurer ses ouvriers, à obtenir des engagements de son client, à trouver des idées innovantes pour ne pas être dépassé par les marchés émergents. Mais un jour, il se retrouve dans le coma, sa femme Olivia à son chevet, tâchant de comprendre ce qui l'a conduit là.

Paraît-il que les maisons d'édition n'en raffolent pas, mais je dois vous confesser que, pour ma part, je suis assez fan de romans d'entreprise. Parce qu'on a beau raconter par le menu nos histoires d'amour, de famille, de voisinage, c'est tout de même au travail que nous passons le plus clair de notre temps, et donc, pour une proportion non négligeable de la population française, en entreprise.

Le roman de Vanessa Bamberger aborde des thématiques très actuelles, à travers le quotidien des salariés et patrons de petites entreprises, les menaces en provenance de marchés lointains et néanmoins agressifs, les enjeux du maintien de l'emploi local, et pour cela, la course à l'innovation.

L'entreprise est un lieu ambigu, à cet égard, car si pour Thomas il est question de loyauté et de rapports humains (rappelons qu'il voit les choses depuis le point de vue du patron), pour certains salariés, le lieu ne se prête pas à la moralité et en est complètement dépourvu, au point que seul l'argent semble parfois régner en maître, et décider des mouvements des uns et des autres. C'est toute l'ambivalence de la chose : des relations humaines se nouent entre ceux qui travaillent pour l'entreprise, néanmoins, c'est le motif alimentaire qui justifie la présence de nombre des salariés, si bien que lorsque se présente une opportunité de gagner davantage à conditions de travail équivalentes (ou presque), la loyauté que la direction attend des salariés se dissout. On pourrait d'ailleurs interroger cette notion de loyauté, dans la mesure où les "avantages" octroyés constituent la rétribution d'un travail, et qu'il n'y a donc pas de magnanimité de la part du patron à les distribuer, car s'il le fait, c'est qu'il y a intérêt.

Bien entendu, en réalité, ces questionnements sont plus complexes, car les gens ne sont pas des agents économiques purs comme en sont peuplés les livres de sociologie des organisations ou de théorie économique, et il existe des "patrons bienveillants", des salariés sans vergogne, des salariés dont la vergogne pèse sur leurs possibilités d'évolution (les gentils ne sont pas toujours ceux qui réussissent le mieux, quand bien même ils seraient les plus compétents), des patrons qui voudraient bien faire mais qui s'y prennent mal (des salariés aussi), bref, tout une panoplie de gens très humains, qui font de leur mieux dans la machine économique qui prône l'accumulation sans fin du capital.

On peut percevoir ces nuances dans Principe de suspension, bien que le personnage de Thomas soit in fine assez lisse de par la bienveillance qui le caractérise. Le personnage de Loïc, solaire et ambivalent, est pour sa part bien plus intéressant, et ce sont ses motifs que l'on cherche à saisir, lui qui s'est vu offrir une place de choix au sein de Packinter, dont l'avenir repose en partie sur ses épaules, et qui se fait convoiter par la concurrence.

En creux, le personnage d'Olivia attise lui aussi la curiosité, et l'on en prend la mesure au fur et à mesure de la lecture.

J'ai apprécié le dénouement sans concessions, le fait que l'auteur ne cherche pas à nous offrir une fin qui ne ressemblerait pas à la réalité, une solution sortie du chapeau sans crédibilité.
Pour ces raisons, Principe de suspension m'a beaucoup plu, et je ne manquerai pas de suivre l'actualité de son auteur...

Pour vous si...
  • Les compromissions du monde du travail ne vous rebutent pas

Morceaux choisis

"Le problème, c'est qu'un patron se crée l'illusion d'une famille. Du coup, si l'un de ses collaborateurs décide de quitter la société, il le vit comme une trahison, alors que s'il était à sa place, il aurait peut-être fait la même chose... L'entreprise, c'est comme le mariage, de nos jours, les gens n'y restent plus toute leur vie..."

"Le couple est une suspension. Un médicament. Un équilibre hétérogène. La dispersion d'un solide insoluble dans un milieu liquide ou gazeux. Au début, les particules restent en suspension. La stabilité est garantie. Mais avec le temps, il faut agiter le médicament pour le préserver. Sinon les particules précipitent au fond du flacon, et se séparent."

Note finale
3/5
(cool)

mardi 20 juin 2017

Maestro, Cécile Balavoine

Le premier roman de la semaine est celui de Cécile Balavoine (aucun rapport avec Daniel, visiblement). 
On y parle musique, c'est chic! (comme les non smoking flights d'Air France).


Libres pensées...

Depuis son plus jeune âge, Cécile est passionnée par Mozart, avec lequel elle entretient un lien aussi singulier que puissant.
Adulte, elle fait la rencontre d'un chef d'orchestre, et noue avec lui une relation amoureuse atypique, persuadée qu'il lui est envoyée par Mozart.

Ce premier roman de Cécile Balavoine est éminemment romantique et lyrique. A mesure que se noue la romance entre la protagoniste et le chef d'orchestre, des incursions dans le passé nous disent comment s'est construite la passion de cette dernière pour Mozart, sa fascination qui l'a conduite à vouloir fouler les lieux qu'il avait foulés, à voir dans sa vie des signes envoyés par lui et témoignant du lien particulier qui s'était créé entre eux, à des siècles d'écart.

La perspective, bien entendu, semble ésotérique, pourtant l'on se laisse bercer par cet amour étrange, aussi profond qu'inexplicable, et qui bientôt trouve corps dans la relation d'abord très platonique entre les deux personnages principaux.

Maestro, à bien des égards, ressemble à un manuscrit intime, à un journal très personnel, fait de pensées et de doutes, sur la vie, sa famille, sa relation à son père en particulier qui interloque, à la musique, dont elle aurait voulu faire sa vie et qu'un échec scolaire a condamné à n'exister pour elle qu'en arrière-plan, du moins l'a-t-elle cru d'abord lorsqu'il lui a fallu chercher une autre voie.

Le roman, qui laisse un souvenir léger et doux, a quelque chose d'un peu mystérieux, dont on ne se défait pas. Une jolie lecture, par ces temps caniculaires!

Pour vous si...
  • Vous êtes un romantique dans l'âme
  • Vous ne jurez que par la petite musique de nuit

Morceaux choisis

"Ce soir-là, à quinze ans, tout s'effondre. Cécile c'est l'ombre, la cécité. Mon père me décille. Cécile sans cils. Il m'ouvre les yeux sur ma propre noirceur devant un homme que je ne connais même pas. Je suis l'obscurité. Et je m'effondre sans que personne ne le devine. Pourtant tout s'éclaire tout à coup. Ce que depuis toujours je pressentais : ma noirceur, sa lumière. Papa ne voit pas sa maladresse, aveuglé par la fierté d'avoir deux filles dont il a fait les génitrices de son propre clair-obscur. La seule question qui bat à mes tympans : pourquoi à moi le noir?"

"J'échoue. J'entre au lycée normal. La vie de musique, les instruments qu'on accorde, le monde entier, les lumières, l'homme en noir et par qui tout arrive, cela n'existe plus. Cela ne sera pas. Jamais. D'un seul coup, il faut faire taire cela, ce désir-là, le désir de cette vie-là. Il faut le tuer, l'étouffer. Cette vie ne m'appartient pas, elle ne m'appartient plus. Il va falloir tout inventer. Mais quoi? Je ne sais pas, je n'y ai jamais pensé. Tout est sombre tout à coup, et j'avance en aveugle. Il va falloir tout inventer et je ne veux pas, je ne peux pas. Quoi d'autre? Quoi d'autre que la musique et que Mozart?"

"Où êtes-vous lorsque j'allume cette bougie qui vous est destinée? Pourquoi les villes qui nous appellent ne nous veulent-elles jamais ensemble?"

Note finale
3/5
(cool)

jeudi 15 juin 2017

Voyages en absurdie, Stéphane De Groodt

J'ai vu De Groodt il y a quelques mois, dans une pièce drôlissime où il donnait la réplique à Bérénice Béjo, Tout ce que vous voulez.
Comme j'ai beaucoup ri, et que j'en ai gardé quelques phrases tout à fait spirituelles ("J'avais l'habitude de décevoir, elle avait l'habitude d'être déçue. On a fini par se mettre d'accord" ou encore "C'est rare de tomber amoureux. On devient pas indispensable à quelqu'un si souvent"), je m'étais naturellement promis de me renseigner sur le monsieur, dont j'avais souvenir d'avoir vu un ouvrage un jour dans les mains d'une collègue. 
Après quelques mois d'amnésie (typique), l'idée m'est revenue, et je me suis donc procurée ses Voyages en absurdie.


Libres pensées...

Quelle merveille, quel régal absolu, quelle impertinence!
En lisant les chroniques de Stéphane De Groodt, je songeais à certaines subtilités qui devaient passer complètement inaperçues à l'oral, et qui font néanmoins le sel de nombreux passages...

Ces voyages en absurdie se savourent, s'apprécient, on y revient le cœur joyeux, pour découvrir des niveaux de lectures que l'on avait manqués la première fois, et rire sans se contenir tant l'humour est multiple et toujours bienveillant (ou presque).

Je pourrais vous faire de longs discours, mais je pense que, dans le cas présent, rien ne parlera mieux que les extraits ci-dessous, auxquels je laisse la charge de vous convaincre.
Soit vous adorerez, soit vous adorerez.

En tout cas, la conclusion qui s'impose est la suivante : un gros point pour l'humour belge.


Pour vous si...
  • Vous avez l'ombre d'un soupçon de bribe de sens de l'humour (belge ou non). 

Morceaux choisis

"[Mitt Romney]
En me voyant, elle (sa femme) me saute au cou, m'embrasse et me serre chaleureusement la main en me disant qu'il faut absolument voter pour son mari car les démocrates sont prêts à tout pour le faire perdre, allant même jusqu'à fabriquer des boules anti-Mitt pour préserver la couverture sociale!
Je lui fais remarquer que ce n'est pas étonnant qu'on lui tape dessus car des deux candidats, le plus nanti c'est Mitt...
[...]
C'est la goutte qui a fait déborder la casserole, il en a marre Mitt!! Il se met alors dans tous ses états, cinquante, quand même, s'excite au point de faire un malaise, et paf, le Mitt s'effondre!
Heureusement, j'ai pris des cours de secourisme avec Adriana Karembeu, donc je déboutonne sa chemise pour lui suçoter le téton, mais rien n'y fait...
A défaut de revenir à lui, je décide de revenir à moi en me barrant vite fait, on the triple vitesse, conscient d'avoir dépassé les bornes in the USA..."

"[Mahmoud Ahmadinejad]
Alors pour bien comprendre l'Iran il faut maîtriser son histoire, du coup j'ai rencontré Reza Pahlavi, le fils de feu le Shah et de la chatte afin de parfaire ma culture iranienne. Reza, qui n'a Pahlavi facile, me parla de cet Iran qu'il ne reconnaît plus et que moi-même je ne reconnaîtrais pas. Ce qui est assez logique puisque je ne le connaissais pas à la base...
Une fois à Téhéran, ou attéhéri comme on dit là-bas, un guide coiffé comme Diana Ross, un guide Suprême... des Dieux, m'emmena jusqu'au palais présidentiel où Mammouth vint m'accueillir avec un sourire radium. En guise de présent, je lui remis le tube de Carla. Non pas "C'est quelqu'un qu'Ahmadi", je l'ai déjà faite, mais plutôt son tube de mascarade... Plus approprié! Vu l'heure, il me propose alors de manger sur le pouce. Je lui réponds que même en Belgique on mange sur des chaises, et qu'il n'est pas question de me mettre un pouce où que ce soit et surtout pas là..."

"[David Beckham]
A peine atterri, un taxi pour Tobrouk fit demi-tour afin de me conduire vers le Palais où je fus accueilli par le fameux Cheikh en blanc. Vu que je n'avais pas dîné, il m'offra deux Doha coupe-faim avant de me meuner, du verbe memeuner, en direction de sa cave à vins : l'Emir Winehouse...où nous attendait la nouvelle recrue du PS-G.
Après deux heures de marche, oui, il voulait passer par le salon, nous descendîmes au soûl-sol Allah rencontre de David, qui nous attendait avec un ballon de rouge et où dans un coin Posh trônait!"

"[Ingrid Betancourt]
Qui dit FARC dit attrapes, j'ai donc rencontré celle qui a partagé leur vie des années durant, sans jamais avoir été nominée une seule fois. Je veux bien sûr parler de la gagnante de "Je suis une célébrité, sortez-moi de là" : Indrig Betancourt."

"[Gérard Depardieu]
Je le rassure et profite de l'avoir sur la main, ça fait mal... pour lui demander quel rôle, à part le sien, l'a le plus marqué dans sa carrière. Jean de Florette? Cyrano? Danton? "Danton quoi?" me demande-t-il."

"[Angela Merkel]
Nous poursuivons sur la culture. Et là voilà qui, pour nous faire chanceler, déballe une liste de personnalités allemandes telles que Goethe, Kant ou une certaine Pina Bausch, qui après le balai s'est reconvertie dans les aspirateurs et les lave-vaisselle. En parlant de balai, j'en profite pour demander à Angela ce que Sarkozy fout là. Elle m'avoue avoir un peu de mal à s'en débarrasser et que surtout elle s'en veut de lui avoir apporté sa gaine en 2012. Je lui précise alors qu'il eût été plus opportun de lui apporter son soutien car où y a de la gaine.. ben, y a pas de plaisir."

"[Nicolas Sarkozy]
Je profitai alors qu'on soit au pied du mur pour demander à Nicolas si je pouvais aborder les questions politiques pendant le repas. Il me dit qu'en Israël c'est très impoli de mettre Likoud sur la table et qu'il serait préférable, voire impératif que je la ferme.
Il avait raison, j'étais à deux doigts de commettre une erreur de genèse.
Pourtant si bref et si-concis d'habitude, je la ferme. Là je n'avais pas le Shoah. Une fois à table, terre promise, terre due, c'est comme ça qu'on dit là-bas, je reste muet comme une carpe, ou comme un carp'accio dans le cas présent, c'est dire si j'ai l'air fin, et me contente d'acquiescer quand on me dit quelque chose."

Note finale
5/5
(coup de cœur)

mercredi 14 juin 2017

Minuit, Montmartre, Julien Delmaire

Un roman publié en mai, au titre intriguant, éveillant tout un mythe...


Libres pensées...

Minuit, Montmartre raconte les vieux jours de Théophile Steinler, peintre anarchiste ayant connu son heure de gloire à la fin du XIXe siècle, et se retranchant chez lui au début du XXe siècle, sur la butte Montmartre.
Un jour, Masséïda, jeune femme africaine, frappe à sa porte et trouve refuge chez lui. Elle devient sa gouvernante, son modèle, sa confidente. Autour d'eux, la ville se transforme au rythme des mutations industrielles, la guerre couve, la Belle Epoque touche déjà à sa fin.

Le nom de Steinler ne m'étant pas familier, j'ai fait mes petites recherches par curiosité, et ai découvert qu'en effet, Théophile Steinler était bel et bien un artiste de la Belle Epoque, qui avait côtoyé les grandes figures d'alors et était connu notamment pour ses dessins de chats. Un détail qui a toute son importance, dans la mesure où les chats, et en premier lieu Vaillant, son loyal ami, jouent dans l'intrigue un rôle essentiel.

Le roman constitue avant tout un très joli tableau de Montmartre à une époque foisonnante. Autour des protagonistes se pressent des badauds et de grands noms, mais c’est bien leur relation insolite qui est au centre du récit. Le lecteur suit les pensées, les émotions de Masséïda, personnage presque mystique qui dégage néanmoins une grande sensualité, et rappelle au peintre des émotions oubliées depuis longtemps, lui offrant une seconde jeunesse.

Le regard de Masséïda se porte sur l’art de Steinler, le ressuscite à son tour, et sur Paris, sur Montmartre, la butte où elle décide de poser bagages, où vient d’être installée l’électricité.
L’intrigue en elle-même présente à mon sens peu de matière, l’intérêt est donc tout entier dans les scènes restituées par l’auteur, qui dépeignent le lieu emblématique au moment où son mythe se crée.
Un doux moment de lecture!

Pour vous si...
  • Vous êtes un amoureux des chats...
  • ...Ou de Montmartre!

Morceaux choisis

"Paris ne pouvait tolérer les arbres sans tuteurs, l'école buissonnière, les filles sans dot ni trousseau, les ruisseaux libres et les fleurs sauvages. Tout devait être méthodiquement cadastré, arasé, haussmannisé.
Steinlen, planté au milieu de la rue, faisait corps avec un paysage à la dérive, une époque qui s'évanouissait à travers des forêts d'échafaudages. Bientôt, le goudron couvrirait la terre, les gueux n'auraient même plus le loisir de faire pousser quelques radis, de reposer leur peine à l'ombre d'un moulin. Bientôt, sonnerait le glas d'un peuple en majesté."

" "Je suis désolée, Théophile. Mais...vos dessins.. ils sont si forts..."
Le peintre, touché par sa sincérité, s'apaisa.
"C'est rien, tout ça. C'est le passé."
Le genre de sentence que Masseïda prononçait lorsqu'on essayait de la percer à jour.
Le peintre alluma sa pipe.
"J'étais tout jeune et j'avais la fièvre et puis Montmartre aussi." "

"Minuit, Montmartre. Une cloche, une autre guerre, en pleine obscurité. Masseïda ouvrit les yeux. Elle tira le rideau de l'unique fenêtre. De hautes flammes ondoyaient, encerclant la Butte. Des cloches battaient à tout rompre. Dans la rue des portes s'ouvraient, planaient des vois confuses, des gémissements. Une odeur d'étoupe, de bûcher, de détresse humaine."

Note finale
3/5
(cool)

mardi 13 juin 2017

Les Mandible, Une famille, 2029-2047, Lionel Shriver

Le grand retour de Lionel Shriver, ba da boum, ta dam, on se jette dessus sans la moindre retenue, à l'attaque, yihaaaa!


Libres pensées...

En 2029, aux Etats-Unis, la famille Mandible se débat pour survivre dans un monde qui a beaucoup changé. Les denrées se font rare, l'eau en premier lieu. Lorsque le président annonce la faillite du pays, les Américains perdent tout l'argent épargné, conduisant beaucoup à la ruine et à la rue.
Florence Mandible se voit contrainte d'accueillir sa sœur et sa famille, sa tante, ses parents et ses grands-parents, qui ont tous perdu leur logis. Commence alors un quotidien dans la promiscuité, fait de privation et d'incertitudes.

Avec Les Mandible, Lionel Shriver s'éloigne de ce qu'elle a écrit auparavant, et investigue un genre nouveau : la dystopie. Le temps est choisi est suffisamment proche pour évoquer un monde qui nous est familier, et lointain pour dépeindre une possibilité qui n'est pas encore une fatalité.
Dans ce monde-là, la consumérisme de masse existe plus que jamais, mais à la technologie se juxtapose, dans le pays incarnant les sociétés les plus développées, la pénurie de denrées élémentaires, comme l'eau et la nourriture.

Les relations familiales changent elles aussi, la suspicion et la rancœur se font peu à peu une place dans un quotidien où tout est mesuré et rationné. Les rapports de force entre pays et ethnies s'inversent, les blancs d'Amérique sont bientôt la lie de la société, découvrent le racisme à leur encontre. Chacun bâtit des hypothèses sur l'avenir du pays et le sien en particulier, les théories économiques s'affrontent, et, à l'épreuve de la réalité, se dissolvent. La déchéance semble sans fin, l'avenir noircit à vue d’œil. L'inconséquence collective a mené à tout cela.

J'ai été bluffée par la dystopie imaginée par Lionel Shriver, que j'ai passionnément aimée dans ses autres œuvres, et dont je salue l'audace en s'engageant dans un domaine éloigné. Comme toujours, ses personnages résonnent, portent des paradoxes confondants de réalisme, ils pourraient incarner des figures de notre propre entourage tant ils semblent humains et réels.

Une grande partie du roman est dédié à l'analyse théorique de ce qui rend le pays exsangue, de ce qui l'a conduit là, de ce qui pourrait encore advenir. Bien entendu, l'accès à ces considérations n'est pas évident, j'ai néanmoins eu le sentiment que l'auteur parvenait à "vulgariser" le sujet sans trop le simplifier, et proposait une lecture intéressante, bien que très angoissante, de l'actualité et des années à venir. Contrairement à d'autres dystopies, celle de Shriver m'a paru reposer sur des mécanismes crédibles, susceptibles de se mettre en place et de provoquer l'état de crise profonde décrite dans le roman (un endettement toujours croissant).

Je retiens donc qu'il est plus urgent que jamais de disposer d'un plan B, à savoir, garder chez soi un sac à dos avec un super kit de survie pour se barrer fissa en cas de besoin, et ne pas accumuler tout son argent à la banque, parce qu'après tout, il pourrait bien disparaître du jour au lendemain. Et oui, le virtuel n'a pas toujours du bon.


Pour vous si...
  • Vous êtes un adepte de dystopies.
  • Vous êtes un adepte de Lionel Shriver.
  • Vous êtes un curieux qui a perdu son chemin. 

Morceaux choisis

"Aussi, quand, à leur tour, les Blancs deviendraient une minorité, ils auraient eux aussi droit à des départements universitaires d'études blanches, où les oeuvres d'Herman Melville pourraient être enseignées ouvertement. Ses enfants bénéficieraient d'une plus grande indulgence dans les tests d'admission à l'université, indépendamment de leurs résultats aux épreuves. Ils pourraient tous alors soutenir qu'être traité de "Blanc" était une insulte, et qu'il faudrait désormais dire "Occidentalo-Européo-Américain", toute la formule alambiquée. Alors que, entre copains, ils n'hésiteraient pas à s'apostropher à grand renfort de "Alors, ça gaze, p'tit Blanc?" - collusion entre initiés -, tout non-Blanc se risquant à employer un terme aussi offensif se ferait allumer sur CNN. Devenir une minorité offrirait la possibilité de se sentir considérablement offensé à la moindre occasion, et il y aurait rebasculement du protocole des appels téléphoniques automatiques."

"D'environ son âge, mince et bien proportionné, le visage allongé aux traits nets, Kurt aurait dû être considéré comme beau. Issu de la classe moyenne, naviguant d'un boulot frustrant et mal payé à un autre comme l'avait fait Florence, plus jeune, il serait passé pour un bosseur charmant et compétent cherchant un poste correct. Mais depuis des années, il avait fait l'impasse sur les soins dentaires. Des caries avaient noirci sa dentition et mué son sourire charmant en gouffre vampirique. Puisqu'il n'avait pas cinquante mille dollars à investir dans des implants, des plombages et des bridges, il serait donc célibataire à vie."

"Je ne crois pas au nationalisme. J'ai toujours considéré le patriotisme comme une variation bête et méchante du cheerleading."

"J'ai été abasourdie par Manhattan, expliqua Nollie en avalant une bonne lampée. Tous ces mendiants. Et très agressifs, en plus. Quand je vivais sur Upper West Side, les clochards étaient fous. Maintenant, ils ne sont pas spécialement dingues, ils sont vindicatifs. Et c'est ce qui m'a surprise : la rancœur est pire que la folie. Les fous sont enfermés dans leur propre monde, et leur énergie tourne en rond, comme dans un mixeur. Mais cette agressivité-là, elle est comme une flèche. Dirigée contre les autres."


Note finale
3/5
(intéressant)

lundi 12 juin 2017

Le pas suspendu de la révolte, Mathieu Belezi

Je ressors les archives : janvier 2016, découverte de Mathieu Belezi grâce au roman Un faux pas dans la vie d'Emma Picard, qui racontait la migration d'une femme avec ses enfants en Algérie, pour reprendre et faire prospérer une ferme, projet qui se transforme peu à peu en échec monumental. J'avais été bluffée par cette aventure effroyable et réaliste (en tout cas, crédible). 
La publication d'un nouveau roman, Le pas suspendu de la révolte, est l'occasion de le retrouver. 



Libres pensées...

Et qui dit retrouvailles, dit online stalking! Comme je n'en suis pas à traquer les écrivains sur les réseaux sociaux, je me suis contentée de consulter la page wikipédia consacrée à Mathieu, et ai eu la surprise de trouver une belle bibliographie à son actif, alors que je m'imaginais un débutant! (idée pêchée je ne sais où, puisque le seul livre de lui que j'avais lu à l'époque n'évoquait en rien une maîtrise perfectible).

Avant tout, Mathieu est Limougeaud, excellente nouvelle car il faut encourager les auteurs du Sud-Ouest (et oui, je l'ai tyranniquement décrété).
Et, autre argument massif, Le pas suspendu de la révolte est un sacré bouquin.

Plusieurs personnages ont voix au chapitre, relatant chacun plusieurs journées s'articulant autour d'un événement commun auquel ils prennent tous part. Chacun peut ainsi livrer sa vision, et prendre la pleine mesure de son rôle, sans se cantonner à n'être qu'un figurant dans la scène dont un autre est le héros, comme ce peut être parfois le cas en littérature.
Le premier personnage est Théo, qui a quitté sa femme Clara et leurs deux enfants, sans autre motif que, soudain, ne plus pouvoir supporter cette vie. Depuis, il erre sur les routes, sans but et seul.
Viennent ensuite Laure, la sœur aînée de Clara, Maurice, son grand-père, Romain, fils de Laure, Clara en personne, et Nicolas, le frère de Laure et Clara.

Au centre, l'anniversaire de Lucie, la fille aînée de Clara et Théo, qui va réunir toute la famille et en confronter les membres. En toile de fond, un tueur rode dans la ville, qui coupe les têtes de ses victimes, de jeunes gens sans histoire. Nicolas, policier, est activement sur ses traces.

Le roman est en premier lieu très original de par sa forme : de longues phrases se succèdent, la ponctuation est minimaliste, les majuscules absentes, traduisant le trouble des personnages qui, chacun à leur façon, traversent un moment de leur vie particulier.

Il est en outre dérangeant, de par les sujets abordés, et la façon dont il les aborde : Clara se voit attribuer un rôle de garde-chiourme, d'emmerdeuse, d'hystérique même, si bien que le lecteur est tenté de lui vouer de l'antipathie, alors qu'elle est avant tout une femme abandonnée en détresse.
Théo est difficile à cerner, s'exprime par sous-entendus qui nous échappent et nous laissent entrevoir le pire. Nico est quant à lui désagréable, violent, misogyne, plus encore que ne l'est Théo à qui il reproche pourtant de l'être. Car il règne dans le récit un malaise et une violence exacerbés.

Pour ma part, si j'ai été désarçonnée par ces personnages impulsifs et bourrés de défauts, j'ai néanmoins été sensible à ce qu'ils expriment de réalisme, car le conflit familial qui se trame est de ceux que l'on peut connaître dans sa propre famille, générant des réactions vives, de la mauvaise foi, des luttes de territoire... Tout cela est finalement très "animal".

Le récit permet donc d'appréhender un même événement au travers les regards de tous ceux qu'il implique, soulignant ainsi le fait qu'il n'existe pas une vérité à son sujet, et sa construction le rend inédit en ce qu'il n'y a pas de "résolution" comme on pourrait en attendre, un suspens demeure qui interroge le lecteur. C'est un peu comme si les incertitudes que l'on rencontre dans la vie s'invitaient dans un livre : on ne maîtrise pas vraiment tout ce qui se passe, plusieurs lectures peuvent être faites, et l'on ne sait jamais si une histoire se terminera, et comment.


Pour vous si...
  • Vous considérez comme de grands naïfs ceux qui se disent en quête de LA vérité.
  • Un livre qui vous met mal à l'aise ne vous déplaît pas pour autant.

Morceaux choisis

"nous avons tour à tour levé nos verres et trinqué aux succès de Lucie Gracques qui était ma fille, l'avais-je oublié? la fille que nous avions programmée Clara et moi en ce mois de septembre sicilien où nous étions restés plus de trois semaines, cheminant sur les routes abandonnées des touristes, entre Taormine et Syracuse, comme deux gyrovagues libérés des soucis de la vie"

"j'ai fini mon pastis d'un coup, je sentais que ça commençait à énerver Marie cette discussion, mais il fallait pourtant que je continue, bon sang mon autorité de père était en jeu ce soir
_ Moi je ne m'en fous pas, et ta mère non plus, et c'est pour ça que je te demande à partir de demain d'enfiler des vêtements décents
_ Des vêtements décents?
_ Tu me comprends très bien, des jupes qui te couvrent décemment le cul et des tee-shirts qui n'invitent pas à fourrer le nez dans tes nichons
_ Nicolas, ça suffit!
s'est exclamée Marie, posant une main nerveuse sur mon bras, mais il était trop tard
_ Vas-y, dis-le moi que ta fille ressemble à une pute! Dis-le moi puisque c'est ce que tu penses!
_ Je te demande de t'habiller avec des vêtements de ton âge
_ Je m'habille comme s'habillent mes copines qui n'ont pas plus envie que moi de se faire sauter!"

"_Nico, tu as retrouvé mon sac?
_Bien sûr
_Comment ça, bien sûr?
_Bien sûr que j'ai retrouvé ton sac, qu'est-ce que tu crois? il n'y a pas que des nazes dans la police
_Mon chéri, tu me sauves, j'ai déprimé toute la journée
_Ca n'en valait pas la peine
_Si, mais tu ne peux pas comprendre, parce que tu ne sais pas ce qu'il y a dans le sac des femmes"
(dois-je vraiment formuler tout le bien que je pense de cette dernière phrase, qui érige le personnage qui la prononce au rang de gigantesque dindon?)

Note finale
3/5
(cool)

vendredi 2 juin 2017

Top de mai

Le mois de mai est toujours propice à la lecture, et celui-ci s'est révélée d'une grande richesse...
Voici les romans qui m'ont fait la plus forte impression ce mois-ci.

5. J'ai longtemps eu peur de la nuit, Yasmine Ghata


Un récit à deux voix d'une grande sensibilité, alternant l'histoire d'un jeune garçon originaire du Rwanda et adopté après le massacre de son village lors de la guerre civile, et celle d'une jeune femme qui peine à faire le deuil de son père et de son enfance. Un livre fort émouvant!

4. La chair, Rosa Montero


Rosa Montero s'invite dans le quotidien et les préoccupations de Soledad, qui, a soixante ans, ne rêve que de vivre aux côtés d'un de ces beaux jeunes hommes auxquels elle trouve tant de charme, et qui a néanmoins cruellement conscience de son inadéquation aux normes sociétales. Impertinent à souhait! 

3. La Secrète, Hector Abad


En Colombie, La Secrète est la ferme familiale dont ont hérité les trois membres d'une fratrie qui se divise et s'éloigne peu à peu. A tour de rôle, ils parlent de leurs souvenirs dans ce lieu si particulier, de leurs choix de vie, et de ce qu'il leur reste du passé. L'auteur construit avec talent une histoire finalement banale, que l'on ne quitte qu'à regret. 

2. Une éducation libertine, Jean-Baptiste Del Amo


Retour sur les débuts stupéfiants de Jean-Baptiste Del Amo, avec un roman historique à la fois audacieux et extrêmement classique. Un mélange qui invite à le débauche! Car l'histoire est celle de Gaspard, un paysan qui gagne la capitale et tâche d'orchestrer une ascension sociale, grâce à ses charmes dont il use auprès des vieux bourgeois.

1. Double nationalité, Nina Yargekov

La première place revient au roman de Nina Yargekov, tellement foisonnant, tellement spécial, tellement incongru, tellement drôle, tellement intelligent et actuel. Je suis encore sous le charme de son écriture vive et personnelle, et n'ai pas fini de vous conter les louanges de Nina...

Quant au flop, et bien oui, il fut lui aussi. Ce mois-ci, il est incarné par le roman de Grégoire Delacourt, à côté duquel je suis vraisemblablement passée. Je souhaite bonne chance à ceux et celles qui auront le courage de s'y attaquer néanmoins.

Bisous à tous, et un doux mois de juin!