lundi 31 juillet 2017

Leur séparation, Sophie Lemp

Je fais mes premiers pas sur la plateforme NetGalley, et débute avec la lecture d'une roman autobiographique, évoquant le divorce des parents de l'auteur. 


Libres pensées...

Sophie a dix ans lorsque ses parents lui annoncent qu'ils se séparent. Elle se réjouit d'abord d'éviter un divorce, avant de comprendre que c'est bien de cela qu'il s'agit. Dans un roman aux accents mélancoliques, elle revient sur cette période qui a marqué sa vie, revisitant les lieux de son enfance, collectant les souvenirs de sa vie à trois avec ses deux parents, avant que tout ne change irrémédiablement.

Le roman de Sophie Lemp tisse des passerelles entre une époque marquée par une rupture franche entre un avant heureux et un après éparpillé, et l'époque actuelle, où, devenue adulte, elle se replonge dans la séparation de ses parents et exhume ses sentiments d'antan, les effets de cet événement sur sa vie et sa vision d'enfant.

Le sujet abordé par l'auteur est délicat : alors que le divorce est aujourd'hui monnaie courante et que près de la moitié des mariages se soldent par un divorce (sans même prendre en compte les couples vivant en concubinage qui se séparent), il reste assez rare de voir, dans la littérature, évoqué le point de vue de l'enfant (notamment lorsqu'il se décline dans le temps), souvent ramené à une question d'égoïsme puéril, là où le divorce est habituellement traité comme une question d'adultes, et l'expression de la liberté individuelle de chacun.

Sophie Lemp ne part pas à l'assaut de ce discours général, mais décrit avec douceur et parfois ce qui ressemblerait à une douleur silencieuse, le deuil du cocon familial, de la famille à trois dont elle a construit rétrospectivement un mythe, et qui a été dissoute le jour où le couple de ses parents n'a plus existé. Il n'y a pas de virulence ou de sentiment revanchard dans son récit; alors que le divorce est le moment des déchirements, de l'abjection, de la colère, elle ne prend pas parti, ne s'engage pas dans la défense de l'un ou l'autre de ses parents, se rappelle tout au plus la menace qu'elle avait faite à ses parents de se montrer odieuse s'ils venaient à se séparer, mais son ton n'est pas accusateur.

Cette pudeur et ce recul apportent au récit une noblesse de sentiments, et beaucoup de sensibilité, face à une situation banalisée dont il est rarement question de dire la souffrance qu'elle peut engendrer en particulier pour les enfants du couple.

En invoquant ses souvenirs, les petits bonheurs pour elle associés pour toujours à une paix révolue, les lieux, les odeurs, les couleurs, les objets, les habitudes, les goûts, la narratrice sort de la position d'impuissance dans laquelle elle s'est retrouvée contre son gré, subissant une douleur contre laquelle elle n'avait pas d'armes. Elle tâche de prendre possession de son histoire, de l'histoire dont elle était exclue - celle du couple - et qui pourtant a eu des répercussions importantes sur sa propre vie. En nommant, comme elle le dit elle-même avec intelligence, elle fait exister ce dont elle est la seule trace restante : l'amour que se sont portés ses parents, la famille qu'ils ont jadis formé ensemble.

La lecture de Leur séparation laisse un froissement au cœur, une mélancolie qui reste, alors même que l'histoire racontée est tristement ordinaire. 

Pour vous si...
  • Vous êtes aussi un enfant de divorcés/séparés, et n'avez jamais réellement pu mettre les mots sur le deuil que la séparation a signifié pour vous.

Morceaux choisis

"Mon enfance m'apparaît comme scindée en deux. Pourtant, une séparation n'est pas une mort brutale. J'avais depuis longtemps conscience des difficultés que rencontraient mes parents et cela faisait quelques semaines qu'ils m'avaient fait part de leur décision. Mais jusqu'à la dernière minute, j'avais espéré. J'étais leur petite fille chérie, leur amour, leur bichette. En sortant de l'école ce jour-là, j'ai compris que cela ne suffisait pas."

"Mais c'est ce qui les [mes parents] rapproche qui m'importe. J'aime qu'ils aient lu le même livre, qu'ils envisagent de faire le même voyage, qu'ils aient la même réaction face à un événement, qu'ils utilisent la même expression. Des années après, quand ils m'envoient pour mon anniversaire deux messages presque identiques ou quand, une veille de départ en vacances, ils me glissent l'un et l'autre Je t'ai fait un petit virement, je ressens une joie profonde." (je comprends, je suis moi aussi toujours très touchée et enthousiasmée par les petits virements)

"Dans ma mémoire, la séparation est ma première douleur, comme si tout ce qui s'était passé avant avait été joyeux."

"Mon père évoquait souvent son enfance. Il me racontait son grand-père, les petites voitures Dinky Toys dont il faisait collection, la maison des Mousseaux, une ancienne ferme où il passait ses étés. Parfois, sa nostalgie m'ennuyait et je ne l'écoutais que d'une oreille."


Note finale
3/5
(un douce lecture)

vendredi 28 juillet 2017

Lonely child, Pascale Roze

Une fois de plus, je me laisse séduire par un titre, soutenue en cela par un synopsis me promettant l'Atlas et la Lorraine (ou presque). De quoi égayer cette fin de mois de juillet!


Libres pensées...

A quatre-vingt-dix ans, Odile Mourtier, qui a hérité de la fortune de sa famille, se voit confrontée à son passé à travers la figure de Tariq, fils de Fatima et petit-fils d'Amamouz, dont Odile, un petit garçon adopté par son grand-père dont elle garde elle-même un souvenir vivace.
Les conditions dans lesquelles son grand-père avait rencontré et recueilli Amamouz sont restées obscures, mais Odile n'a pas oublié l'attachement qui existait entre le vieil homme et cet enfant venu d'ailleurs. A la mort de son aïeul, sa propre mère avait chassé Amamouz, et les relations s'étaient rompues. Plusieurs décennies plus tard, Odile part sur les traces de son grand-père, engagé jadis dans la "pacification" du Maroc après l'émergence de sa réputation en Algérie, et découvre un homme qu'elle ne connaissait guère.

Le roman de Pascale Roze est relativement court, et ne permet de faire qu'une incursion rapide dans la vie d'Odile Mourtier. Le passé de son grand-père, et les relations avec Amamouz, sont au centre du récit, néanmoins des allers et retours sont faits à travers les échanges avec Tariq et Leïla, le quotidien d'Odile qui est à présent une vieille femme, et ses opinions qui oscillent entre le traditionalisme et la remise en question.

Pourtant, l'idée de départ est intéressante, car il s'agit de comprendre dans quelles conditions un homme a-t-il pu adopter un enfant qui a ensuite été repoussé sans vergogne par sa propre fille.
Il m'a semblé que le récit peinait à répondre à cette question, se contentant de réponses ébauchées, le temps passé expliquant l'absence de témoignages plus approfondis, et de preuves.

La lecture de Lonely child ne m'a donc pas particulièrement touchée, en dépit d'un topo prometteur et d'un sujet sur lequel il y avait beaucoup à dire...
Le roman de Pascale Roze m'a finalement semblé un peu timide, ne faisant que survoler une histoire que l'on aurait voulu explorer davantage.


Pour vous si...
  • L'intervention française en Algérie puis au Maroc durant la première partie du XXe siècle vous laisse songeur. 

Morceaux choisis

"En Algérie, la situation était coloniale et carrée : le capitaine Mourtier avait tout le pouvoir. Ici, il s'exerçait au nom du sultan et dès que la France levait trop haut le petit doigt, le concert des nations européennes donnait de la voix."

"Qu'est-ce qu'il entendait par obéir?
J'imagine que mon grand-père, quand il s'est engagé dans l'armée, avait une haute et belle idée de l'obéissance. On ne peut exiger l'obéissance d'un autre aux ordres qu'on lui donne que  si on le fait pour son bien, ou pour un bien qui n'est pas immédiatement le sien mais que celui qui ordonne et celui qui obéit savent être un bien commun. L'ordre donné pour le bien unique de celui qui le donne est une monstruosité. Toute l'armée le sait. On obéit à l'armée et pas à quelqu'un, pour le bien supérieur que sert l'armée et que connaît l'armée, et qui est celui de la patrie. Il peut arriver que l'armée soit seule à connaître ce bien supérieur, c'est pourquoi il est légitime que les ordres soient obéis sans discussion."

Note finale
2/5
(pas mal)

jeudi 27 juillet 2017

La servante écarlate, Margaret Atwood

Le roman de Margaret Atwood, publié en 1985, revient sur le devant de la scène, avec le succès rencontré par la série qui s'en inspire, "The Handmaid's Tale". L'occasion de me plonger dans une dystopie féministe, une opportunité qui se ne refuse pas!


Libres pensées...

La protagoniste, Defred, est servante dans la demeure du Commandant. Dans cette société futuriste nommée Gilead, chacun est confiné à un rôle et se doit de le tenir précisément. Les femmes se répartissent en plusieurs groupes : les épouses des Commandants, ces hommes nantis qui exercent un métier souvent flou aux yeux de la maisonnée dont ils ont la charge ; les servantes, qui s'accouplent selon un calendrier pré-déterminé avec le Commandant pour porter ses enfants et les donner ensuite aux épouses, et les Martha, de vieilles femmes chargées de surveiller une servante qui leur est attribuée.
A la marge de cette société très organisée, on peut trouver des femmes dévolues au bon plaisir des hommes, et, plus loin encore, les Antifemmes, dont on sait peu de choses, sinon qu'elles sont rejetées par un système qu'elles rejettent à leur tour.
Les hommes, quant à eux, sont soit des hommes de pouvoir, comme les Commandants, des hommes d'église, ou des serviteurs, auxquels il est interdit de toucher une femme.
Car la religion a pris une place centrale dans la vie quotidienne, et la moralité est de mise pour toutes les actions menées.

Les cinquante premières pages m'ont paru légèrement abruptes, le récit s'y mettant en place lentement, engageant une acclimatation graduelle aux transformations qui ont affecté la société moderne, et en ont fait le lieu d'une piété renforcée, où le rôle de chacun est délimité.

Cette panoplie de rôles se dessine peu à peu, à mesure que les différents protagonistes entrent en scène : Cora, une Martha qui a la charge de Defred, Deglen, une autre servante, Serena Joy, l'épouse du Commandant, Moira, servante rebelle qui rêve de s'échapper...

Si le monde imaginé par Margaret Atwood est aussi perturbant, c'est qu'une passerelle est faite entre celui que nous connaissons actuellement, et la projection qu'elle en fait. Nombre d'acquis qui nous semblent aujourd'hui indiscutables pourraient peut-être être soudain remis en cause : l'autonomie financière des femmes, leur accès au monde du travail, leur liberté de mouvement... tous ces éléments que Defred a connus plus jeune, et qui ont disparu du jour au lendemain, redéfinissant un nouvel ordre durable.
La lecture du roman permet de prendre conscience du caractère récent de ces transformations, datant principalement du XXe siècle, à l'échelle de l'histoire de l'humanité, et m'a naturellement fait penser à leur relativité et à leur fragilité, dans la mesure où elles sont inexistantes dans certains pays actuellement, et que nous sommes contemporains de millions de femmes qui vivent sous la tutelle d'un homme de leur famille, et sont privées de nombreux droits élémentaires dont la légitimité nous paraît pourtant évidente.

La figure de Defred est multiple, car si elle tient à certains souvenirs et à l'espoir que sa fille vive, elle prend parfois certains risques par ennui, semble-t-il, désireuse de rompre la monotonie d'un quotidien qui l'étouffe.
Certains dialogues sont édifiants, dans lesquels le Commandant, par exemple, justifie le fonctionnement de la société telle qu'elle est devenue, en utilisant des arguments d'efficacité, de sécurité, là où Defred oppose un seul argument, celui de l'amour, qui aurait disparu des rapports humains. Il est étonnant qu'elle n'évoque pas, à ce stade, la simple question de la liberté individuelle, qui a largement déserté l'existence de la plupart des "sujets" qui forment Gilead.

La servante écarlate est un roman original et marquant, en ce qu'il nous oblige à sortir de nos mécanismes de pensée habituels, et à envisager ce qui ne nous paraît pas envisageable, soulignant la fragilité de nos droits fondamentaux, et l'importance pour nous tous de prêter attention à la moindre dérive, pour prévenir l'avènement d'un monde encore plus profondément inégalitaire qu'il ne l'est déjà. 

Pour vous si...
  • Vous ne voyez pas bien à quoi ça peut ressembler, une dystopie féministe
  • Vous vous dites parfois qu'on est sur la bonne voie, en matière d'amélioration de la condition des femmes. Moui, m'enfin, on n'est pas encore rendus non plus. 
Morceaux choisis

"De toute façon, à quoi bon, je ne veux pas d'un homme chez moi, à quoi servent-ils en dehors des dix secondes qu'il faut pour faire la moitié d'un bébé? Un homme, c'est juste une stratégie de femme pour fabriquer d'autres femmes."

"Notre fonction est la reproduction : nous ne sommes pas des concubines, des geishas ni des courtisanes. Au contraire : tout a été fait pour nous éliminer de ces catégories. Rien en nous ne doit séduire, aucune latitude n'est autorisée pour que fleurissent des désirs secrets, nulle faveur particulière ne doit être extorquée par des cajoleries, ni de part ni d'autre ; l'amour ne doit trouver aucune prise. Nous sommes des utérus à deux pattes, un point c'est tout : vase sacrés, calices ambulants."

"Je voudrais ne pas connaître la honte. Je voudrais être éhontée. Je voudrais être ignorante. Alors je ne saurais pas à quel point je suis ignorante."

Note finale
4/5
(excellent)

mardi 25 juillet 2017

Le fou du roi, Mahi Binebine

Un roman choisi par hasard, parce que vous n'êtes pas sans savoir qu'une couverture bleu et jaune a sur moi le plus grand effet, et que je suis incapable d'agir rationnellement face à l'une d'entre elles. 


Libres pensées...

Au Maroc, Mohamed ben Mohamed est l'un des fous du roi.
Doté d'une mémoire prodigieuse, le destin l'a mis un jour sur le chemin de son souverain, qui s'est entiché de lui et l'a fait entrer dans sa cour personnelle, faite de bouffons veillant à l'amuser de toutes sortes de plaisanteries, spirituelle ou terre à terre.
Ces hommes ont accédé à l'intimité du roi, et en contrepartie de leur rhétorique et de leur discrétion, on leur a trouvé une épouse et on leur a concédé un patrimoine. Mais le moindre faux-pas est avisé, et une telle proximité se paie, car ils sont plus exposés que tout autre, et n'existent pas en-dehors de Sidi.

Pour un roman choisi pour les couleurs de sa couverture, quelle merveille!

Le narrateur ne fait que raconter le quotidien de son père Mohamed auprès de Sidi, sa faculté incroyable de retenir la moindre de ses lectures au mot près, la façon dont il a été introduit auprès du roi, les bienfaits dont on l'a couvert, mais aussi, les rivalités entre les fous qui se massent à ses pieds, la nécessité de se distinguer et de s'assurer ses faveurs pour se garantir une place auprès de lui, et il y a dans tout cela une grande délicatesse, et une réflexion intéressante sur le monde des courtisans, quelle que soit l'époque et le roi qu'ils flattent.

Ainsi, Mohamed a dû prendre la femme qu'on avait choisie pour lui, il a dû répudier son fils lorsque celui-ci s'est rendu coupable d'attentat contre le roi, et son existence est celle d'une étrange solitude, car il a dédié sa vie à Sidi, et pourtant il n'est rien, il n'est qu'un fou du roi.

La relation qu'il a tissée avec Sidi semble réelle, mais elle repose sur un rapport de force qui la dilue, en ce qu'elle rend ses fondations biaisées.
Pourtant, Mohamed montre envers Sidi un dévouement dans lequel le lecteur devine un attachement véritable, au-delà d'un comportement intéressé ou opportuniste : entre deux hommes qui se seraient trouvés sur un pied d'égalité, il eut été question d'amitié, mais entre un roi et son fou, de quoi peut-on parler?

Mohamed semble s'accommoder de beaucoup de choses, depuis la femme qui partage sa vie aux inévitables hauts et bas que connaît sa popularité auprès de la cour, liés à l'intérêt que lui montre Sidi. Il a tout d'un sage homme, qui pourtant n'a pas su intercéder en faveur de son fils, et lui éviter la geôle qui lui rendra un inconnu, des années plus tard.

L'écriture de l'auteur restitue avec finesse ces nuances dans les pensées de Mohamed, ses remords et ses sentiments, et son indéfectible loyauté envers Sidi.
J'y ai pour ma part été très sensible, et ne peux que vous encourager à découvrir ce beau récit à votre tour!

Pour vous si...
  • Vous vous laisseriez tenter par une version marocaine - et moins sombre - du Roi s'amuse 
  • Vous avez un faible pour le mariage des couleurs bleu et jaune

Morceaux choisis

"Par moments, on se tournait de mon côté car on attendait bien entendu quelques plaisanteries caustiques de ma part, une manière de sceller définitivement le sort tragicomique du ministre. Je n'en fis rien. Je n'ai jamais su rire des hommes quand ils sont à terre.
[...]
En parlant de dignité, voilà jusqu'où pouvaient tomber certains de mes confrères pour sauver leur place au soleil. Durant toutes ces années passées auprès de Sidi, rien ne me surprend désormais dans le degré d'avilissement et de déshonneur humain."


Note finale
4/5
(très bon)

lundi 24 juillet 2017

De la bombe, Clarisse Gorokhoff

Je termine, un pincement au cœur, le cycle des 68 premières fois, avec un roman au titre explosif, qui me donne envie de découvrir les prochaines pépites que nous réserve la rentrée littéraire qui s'annonce...


Libres pensées...

A Istanbul, Ophélie dépose une bombe dans une cabine près de la piscine d'un hôtel de luxe, et disparaît dans un taxi.
L'attentat auquel elle a participé fait 11 morts. Retranchée dans un appartement, elle repense aux événements, à sa relation avec Sinan, l'amant qu'elle admire et hait tout en même temps, pour son comportement tyrannique envers elle, sa rencontre avec Derya, la femme de chambre kurde qui l'a entraînée dans le projet d'attentat, et elle fait la rencontre d'une vieille femme et de son fils, qui disent connaître Sinan, et semblent prêts à l'aider, mais dont les intentions sont suspectes.

De la bombe est un drôle de roman...
Son plus grand atout, c'est qu'il ne ressemble à aucun autre (à ma connaissance).
Il conjugue à la fois l'introspection (d'Ophélie, qui revisite sa relation avec Sinan, puis avec Derya) et le rythme, à travers les événements qui se succèdent et la tension qui règne dans l'atmosphère d'un bout à l'autre.
Ainsi, la lecture est haletante, mais ménage des moments plus réflexifs, et de nombreuses interrogations au sujet de la protagoniste, car l'ombre demeure sur son passé : qu'est-ce qui l'a menée à Istanbul en premier lieu? Qu'est-ce qui, dans son histoire, a pu faire écho à l'histoire de Derya?

Le sexe et la sensualité sont d'autres "ingrédients" magiques servis au lecteur, qui ont surtout pour effet de faire grandir le halo de mystère autour d'Ophélie : qui est-elle donc?
Car si le ton qu'elle adopte la rend proche du lecteur, elle est avant toute chose un point d'interrogation, et si l'on peut détecter un raisonnement rationnel dans certaines de ses initiatives, l'ensemble convoque néanmoins le sentiment qu'elle est égarée, qu'elle agit sous impulsion avant parfois de démêler ses propres émotions.

La relation qui se tisse avec Ophélie est donc ambiguë, à l'image des liens qu'elle noue autour d'elle avec tous ceux qu'elle croise, et qui sont également, de leur côté, ambivalents, suspects, difficiles à cerner.

Je dois, enfin, vous faire part d'un bémol : la fin du récit m'a laissé un sentiment d'inachevé, que je conserve encore plusieurs jours après avoir refermé le livre. La lecture est intriguante, originale, et laisse le lecteur perplexe, sans trop savoir ce qui lui est arrivé, lorsqu'il parvient à la dernière page. L'expérience vaut donc le détour, mais reste, en ce qui me concerne, difficile à qualifier dans son intégralité. 

Pour vous si...
  • Vous êtes d'un naturel aventureux.
  • Vous ne vous formalisez pas si un roman n'apporte pas toutes les réponses à vos questions. 

Morceaux choisis

"Je n'aime pas vraiment la nuit. J'aime sa couleur, quand elle est blanche ou noire ; j'aime sa fougue et son flegme. La nuit a mille échos que je ne veux pas retenir (car la nuit elle-même n'a aucune importance). Mes souvenirs nocturnes ont tous été torpillés par l'arrivée spectaculaire du jour, l'empereur du monde. Je ne me rappelle guère plus qu'une intonation, un sursaut, une musique d'ascenseur. Ou la tension d'un cuir, la profondeur d'un verre, l'épaisseur d'un matelas. Parfois, c'est l'âpreté d'une langue qui passe furtivement derrière l'oreille. Et la nuit suivante, je remets cela, pour enrichir mon amnésie d'une sensation tendre ou douloureuse. Jusqu'à ce que la nuit, à mes yeux, n'ait plus rien de mystérieux."


Note finale
3/5
(cool)

vendredi 21 juillet 2017

Le coeur à l'aiguille, Claire Gondor

Les 68 premières fois m'emmènent aujourd'hui à la rencontre de Claire Gondor, et de son premier roman Le cœur à l'aiguille...


Libres pensées...

La protagoniste, Leïla, coud jour après jour sa robe de mariée, à partir des lettres que lui a adressées son fiancé Dan, envoyé en mission à l'étranger. A mesure que son ouvrage avance, l'histoire de Dan et Leïla nous est relatée à partir de ses souvenirs, et de ce que contient chaque lettre.

L'écriture de Claire Gondor s'adapte d'une certaine façon au récit qu'elle nous livre : pudique, raffinée, elle décrit les états d'âme de Leïla sans verser dans le larmoyant, et pourtant, ses derniers mots nous serrent le cœur.

Il y a de la douceur, de la tendresse dans ces mots, et l'idée sur laquelle se construit la trame est romantique et romanesque à souhait.
Cependant, il m'a semblé que cette douceur était parfois trop protectrice, qu'elle rendait la douleur et la violence lointaines, qu'elle étouffait les émotions, et que le récit aurait gagné à être plus incisif.

De fait, je redoute de ne pas garder longtemps souvenir de l'histoire de Dan et Leïla, alors que la lecture en a été paisible, et ce malgré la part douloureuse qu'elle porte, et ai l'impression de n'avoir fait que les effleurer, les entrevoir un instant.

Je serai néanmoins curieuse de lire d'autres textes de l'auteur, dont la plume et l'imaginaire sont intriguants.

Pour vous si...
  • Vous trouvez que le tissu, c'est surfait, et que la véritable audace, c'est Lady Gaga avec sa robe de viande

Morceaux choisis

"A bien y réfléchir, ce qui avait tellement touché Leïla, c'était le caractère imprévisible, presque accidentel de cette surprise. Elle n'avait rien réclamé, sa mère avait deviné son désir, et pour une raison inconnue, un attendrissement soudain, un élan d'affection pour sa fille si coquette, y avait cédé. Leïla s'était sentie reconnue, confirmée dans son être, et ce sentiment dépassait la simple satisfaction que l'on éprouve après avoir obtenu l'objet convoité. Ce jour-là, ce qui avait remué en elle quelque chose de l'ordre de la reconnaissance et de la joie tranquille, c'était que sa mère avait pris son émerveillement enfantin devant un bijou de pacotille pour ce qu'il était : une demande d'amour."

"Comment cette idée de se fabriquer une robe de mots était née, Leïla ne saurait le dire. Dès le lendemain, après une nuit de larmes, elle avait su. Su que c'était là la seule manière de panser la béance. De coudre le chagrin. Sans doute avait-il fallu tromper le désespoir. La prostration et le déni n'étaient pas un asile, jamais."

Note finale
2/5
(pas mal)

mercredi 19 juillet 2017

Stabat mater, Tiziano Scarpa

Voici un roman qui m'est arrivé entre les mains par le plus pur des hasards...
L'auteur est italien, et un écrivain rare, à l'oeuvre peu abondante.
Stabat mater est son dernier roman en date, et a reçu le Prix Strega lors de sa publication en 2009.


Libres pensées...

Cécilia, la narratrice, est orpheline, recueillie alors qu'elle était nourrisson par les sœurs de la Pieta de Venise, où elle a grandi.
Dans ce journal, elle écrit à sa mère inconnue, lui dit ses états d'âme, et la place de la musique dans son quotidien. Alors qu'elle a seize ans, un nouveau prêtre intègre l'établissement, et partage avec les jeunes recrues un regard très singulier sur la musique ; il s'agit d'Antonio Vivaldi.

En découvrant l'intrigue de Stabat mater, le roman de Christiana Moreau, découvert un peu plus tôt cette année, m'est immédiatement revenu en mémoire. Dans la sonate oubliée, il était également question de Vivaldi, de son passage à la Pieta de Venise, et d'une jeune fille au goût prononcée pour la musique, Ada.

Le roman de Tiziano Scarpa, s'il présente des similitudes dans son cadre, est néanmoins très différent, de par son ton et sa trame. Cécilia est une enfant, puis une jeune fille, déchirée, souffrant profondément de son abandon à la naissance, dialoguant avec la mort, laquelle est personnifiée à travers une figure aux cheveux de serpent, elle est mélancolique et triste, là où Ada abordait son existence autrement.

La relation entre la protagoniste et sa mère fantôme est au cœur du récit, et le marque d'une langueur, d'une désolation envahissantes.

L'atmosphère qui règne dans la Pieta a quelque chose de sinistre, les bâtiments paraissent hantés, la protagoniste traîne son mal-être et sa solitude entre les murs qui sont ceux d'un cocon et d'une prison tout en même temps.

Dans ce contexte, l'arrivée de Vivaldi donne de l'élan au récit, car elle introduit une nouvelle vitalité dans le quotidien des sœurs, un projet auquel elles contribuent toutes, et qui leur fait oublier ponctuellement la condition à laquelle elles se résignent, en particulier Cécilia.
Vivaldi est donc un personnage secondaire, appréhendé à travers l'expérience de Cécilia, mais son rôle est essentiel pour permettre à Cécilia de grandir, de prendre des risques qu'elle n'aurait jamais pris autrement.

Stabat mater est donc un roman intime et tourmenté, où l'introspection est centrale, donnant à voir au lecteur les souffrances causées par l'abandon, qui se déploient dans le cas de Cécilia durant son adolescence, par le biais d'une écriture sensible et précise.


Pour vous si...
  • Vous parlez tout seul, et aimeriez bien trouver un alibi justifiant vos simagrées entre vous, vous-même et votre personne.
  • Vous appréciez que la littérature parle musique.

Morceaux choisis

"L'accouchement qui m'a mise au monde pour de bon s'est opéré vers l'intérieur, quand le tour de l'Hospice m'a avalée. Vous n'avez pas accouché de moi en m'expulsant de votre corps, mais en m'introduisant dans cet édifice."

"Cette musique est écrite pour des gens qui n'ont plus la force de rien. C'est peut-être ce qui pousse don Giulio à nous choisir pour interprètes, nous qui sommes prisonnières de l'Hospice."

"Nous sommes enterrées vivantes dans un délicat cercueil de musique."

"Pourquoi n'y a-t-il pas de compositrices? Pourquoi les femmes n'écrivent-elles pas de musique? Pourquoi se contentent-elles de la laisser résonner dans leur âme et les tourmenter, corroder leurs pensées? Pourquoi ne s'en libèrent-elles pas en la déployant à l'extérieur? Que se passerait-il si le monte était envahi par les sons nés dans l'âme des femmes?"


Note finale
3/5
(cool)

mardi 18 juillet 2017

Le Guépard, Giuseppe Tomasi di Lampedusa

Après une lecture en demi-teinte, dirigeons-nous vers ce qui pourrait entrer dans la catégorie des classiques, un roman ayant connu un certain rayonnement depuis sa parution, et dont l'adaptation cinématographique fait partie des incontournables : j'ai nommé, Le guépard.
Et contre toute attente, je suis au regret de vous annoncer qu'il n'y est pas question d'animal. 


Libres pensées...

Dans les années 1860, la Sicile connaît des transformations politiques importantes qui ébranlent l'ordre établi sur l'île. La famille Saline fait partie de l'aristocratie locale, et se voit particulièrement affectée par ces changements. Le Prince, Don Fabrizio, est peu à peu dépassé par les événements, et assiste à la fin de son monde, avec l'ascension de don Calogero Sedara, un nouveau riche avec lequel il s'allie à travers le mariage de son neveu, Tancredi Falconeri, avec Angelica Sedara.

Je me suis trouvée désarçonnée par Le guépard, un roman foisonnant aux phrases interminables, qui dit la fin d'un ordre et le début d'autre chose, un peu à la façon de La Cerisaie, mais dans un registre très différent.

L'auteur dresse un tableau fourni de cette noblesse qui se languit et se meurt, face à l'énergie et au sens des affaires de parvenus qu'elle regarde avec une circonspection mêlée de dédain et d'envie. De même que les filles Salina, à un âge avancé, s'imaginent vivre toujours dans un lustre qui ne s'est pas affadi, Salina se sent et se sait appartenir à l'ancien ordre, et verse peu à peu dans une douce nostalgie, loin du monde agité qui pourtant le courtise un temps, et lui offre la possibilité de se maintenir dans sa position de notable, par le biais d'un poste de député.

Les figures de Tancredi et d'Angelina, de par leur beauté, leur vitalité et leur aisance à s'adapter dans ce nouveau monde qui s'offre à eux, celles du Prince et de ses filles tranchent, demeurent en retrait, manquent les opportunités qui se présentent. Le Prince lui-même signe la défaite de sa fille Concetta, que Tancredi convoitait jadis, jugeant le parti représenté par Angelica plus bénéfique pour son neveu.

La prose est à l'image de ces temps révolus, elle s'étend, son raffinement semble suranné au lecteur d'aujourd'hui, sa richesse presque intimidante, car elle rend la lecture exigeante. C'est en tout cas le sentiment qui m'a envahi au fil des pages, celui de jours qui s’égrènent lentement, alors qu'au-dehors, tout s'affole. La demeure et la famille Saline sont figées, immobiles, se parent d'un luxe au charme désuet, et sont incapables de lutter contre les mutations qui s'opèrent autour d'eux.

Le guépard laisse comme une amertume, un sentiment de fatalité, mais peut aussi se lire, à mon sens, comme une satire sociale, une critique d'une classe autrefois dominante qui perd ses privilèges et se referme sur elle-même, désireuse de choyer l'image de sa grandeur d'antan.


Pour vous si...
  • Vous nourrissez une passion virulente pour la science héraldique ;
  • Vous vous délectez des longues phrases un peu proustiennes.

Morceaux choisis

"Ce furent là les plus beaux jours de la vie de Tancredi et d'Angelica, des vies qui allaient être par la suite si variées, si pleines de péchés sur l'inévitable fond de douleur. Mais ils ne savaient pas alors et ils poursuivaient un avenir qu'ils estimaient plus concret bien qu'il se trouvât après coup uniquement fait de vent et de fumée. Quand ils furent devenus vieux et inutilement sages, leurs pensées revenaient à ces jours-là avec un regret insistant : ces jours avaient été ceux du désir toujours présent parce que toujours vaincu, des lits, nombreux, qui s'étaient offerts et qui avaient été repoussés, de l'aiguillon sensuel qui, jugement en raison de son inhibition, s'était, un instant, sublimé en renoncement, c'est-à-dire en véritable amour."

Note finale
2/5
(pas mal)

lundi 17 juillet 2017

Femme au foyer, Jill Alexander Essbaum

J'ai entendu parler de Femme au foyer à plusieurs reprises, premier roman prétendument best-seller aux Etats-Unis.
Naturellement, j'ai souhaité m'enquérir par moi-même de l'intérêt du roman!


Libres pensées...

Je ne suis habituellement pas une grande fan des "histoires de femmes au foyer", comme les décrit la couverture du roman. Ce n'est donc pas sans défiance que j'ai abordé le roman de Jill Alexander Essbaum.

L'histoire est celle d'Anna, américaine proche de la quarantaine, qui a épousé Bruno, un banquier suisse avec lequel elle vit à Zurich, non loin de sa belle-mère Ursula, laquelle l'aide grandement pour l'éducation de ses trois enfants, ses deux fils Charles et Victor, et la petite dernière, Polly Jean (vous me direz, quel nom moisi, et je vous répondrai, mais oui, tout à fait). Relativement désœuvrée, Anna décide d'apprendre l'allemand et s'inscrit à des cours collectifs, durant lesquels elle fait la rencontre d'Archie, un homme plus âgé qui ne tarde pas à devenir son amant.

Une histoire tristement banale, dont on connaît déjà les grandes lignes quand on a lu La condition pavillonnaire, Dans le jardin de l'ogre, ou même l'obscur L'amour et les forêts, à ceci près que ce dernier roman propose un mari pervers-narcissique et une malheureuse épouse dont l'adultère est bien compréhensible (j'ai dit ici tout le bien que je pensais de ce livre).

Comme dans certains de ces romans, la protagoniste devient rapidement antipathique au lecteur, tant elle agit dans la plus parfaite inconséquence, et se trouve surprise que ses actes aient des répercussions, n'ayant plus que ses yeux pour pleurer et ressentant presque cela comme une injustice. Car Anna semble avant tout chercher à fuir l'ennui, et se donne, croirait-on, à qui flatte le mieux son ego. Une poupée égoïste et immature, en somme.

Ses enfants sont une charge dont elle est trop heureuse de s'éloigner, les confiant à sa belle-mère, et ne craignant qu'une chose, que la paternité douteuse de la petite dernière soit exposée au grand jour. Son jugement à l'emporte-pièce se porte aisément sur son entourage, depuis Mary à Edith, en passant par son époux et ses enfants, envers lesquels elle se montre capable d'adopter un comportement indigne - par exemple, lorsque l'un d'eux découvre sa liaison avec un homme qu'il ne connaît pas -, si bien qu'il est bien malaisé pour le lecteur de ressentir à son endroit la moindre compassion.

Pourtant, il aurait été possible d'en créer : Anna vit isolée, loin de son pays d'origine, dans un pays dont elle ne maîtrise pas la langue après y avoir vécu pendant des années, et sa vie ressemble à un beau gâchis, l'auteur insistant sur les frêles sentiments qui la lient à son mari, et ce depuis leur rencontre, et sur le fait qu'elle ait peu d'appuis - Edith passe son temps à relater ses propres frasques adultérines et n'est pas vraiment une bonne amie, comme le dit Anna elle-même, et Mary semble enchaîner les maladresses, mais il faut dire que l'on marche sur des œufs, quand on couche avec ses compagnons de classe ou avec les collègues de son mari. Dresser la liste d'invités en cas de fête n'est pas une tâche des plus aisées.

Bref, Anna est tarte, garce, égocentrique, on aurait envie de lui mettre des baffes, et il faut parvenir au point où son mari le fait réellement pour se souvenir qu'elle est néanmoins une personne humaine et qu'il n'est pas permis de le faire. Finalement, il faut en arriver là pour qu'Anna gagne figure humaine. Avant cela, elle est surtout une personne inintéressante qui joue avec ce qui se présente, sans bien se soucier des conséquences de ses actes, et qui n'assume jamais rien : incapable de se séparer de son mari pour vivre pleinement l'une des aventures qu'elle a engagées, incapable de se préoccuper de ses enfants, incapable de dire son malaise si ce n'est à sa psy, que l'on plaint énormément.

L'auteur fait donc un excellent travail dans l'optique de mettre en scène une anti-héroïne moderne, en revanche si son ambition était autre, elle est proprement manquée.

Pour vous si...
  • Vous admirez les transports urbains suisses pour leur ponctualité.
  • Vous soutenez que les parents choisissant des noms débiles pour leur progéniture devraient être châtiés. 

Morceaux choisis

"Quand il était en colère, elle avait un tremblement métallique intense et hostile. Il s'arrêta après chaque mot pour reprendre une inspiration. Tu. Me. Mens. Anna. Un corset de peur serra Anna et elle se sentit rétrécir. Elle ne comprenait pas pourquoi le jeu avait tourné. (Mais. Qu'elle. Est. Con.)

"Et voilà ; elle s'était trompée. Une erreur déguisée en amour. Une illusion soigneusement cultivée depuis maintenant presque deux ans. Qui savait marcher et faire des phrases complètes. Il est à moi! hurlait-elle. Le partage n'avait jamais été son fort."

Note finale
2/5
(pas mal)

jeudi 13 juillet 2017

Croire au merveilleux, Christophe Ono-dit-Biot

Il y a quelques années, après la parution du roman Plonger, je m'étais mise en tête d'explorer la bibliographie de Christophe Ono-dit-Biot, tant son livre m'avait bouleversée. De fil en aiguille, je me suis frottée à ses premières oeuvres, qui m'avaient semblé plus en retrait, moins profondes, plus maladroites. Son dernier roman, au titre aguicheur, ne pouvait qu'attirer mon attention. 



Libres pensées...

Après la mort de Paz, César sombre peu à peu dans une profonde dépression, dont l'amour de son fils ne parvient à le sortir.
Alors qu'il s'apprête à se suicider, il fait la rencontre de Nana, une jeune voisine grecque intrigante, férue d'antiquité et pleine de vie.

Le synopsis, vous le comprendrez, me faisait craindre le pire : une ressemblance un peu trop prononcée avec Les gens heureux lisent et boivent du café, atrocité commise par Agnès Martin-Lugand qui l'avait, de manière incompréhensible, fait accéder à la notoriété, et dans lequel une femme, après la mort accidentelle de son époux et de leur enfant, trouvait refuge en Irlande et faisait la connaissance d'un mystérieux voisin... Vous voyez venir la suite.

Par bonheur, l'intrigue pensée par Ono-dit-Biot est plus élaborée, et sa prose infiniment plus habile que celle de Martin-Lugand (en particulier à ses débuts).
On ne sombre pas dans une romance à l'eau-de-rose écervelée et déplacée, car César est hanté par Paz, part à sa recherche, et la présence solaire de Nana n'a pour effet que de lui apporter un répit délimité.

Ono-dit-Biot crée un flou dans lequel se mêlent l'Antiquité, la douleur de César, les pulsions contradictoires qui le traversent et l'égarement qui l'habite. Nana, elle, campe une figure étrange, parfois celle d'une jeune fille curieuse et cultivée de son âge, parfois plus insaisissable, et l'intérêt qu'elle manifeste à César est tout aussi surprenant.

L'auteur convoque des références à la mythologie grecque, aux poètes qui l'ont sublimée, parfois avec justesse, parfois plus maladroitement, ce qui rend le ton inégal à mon sens, et en cela, Croire au merveilleux n'égale pas Plonger, dont il ne peut se passer, et qui est ici conforté en roman premier, en origine.

Un roman moins éblouissant que son prédécesseur, qui exploite autant que possible ce qu'il reste de Paz et César, dont la relation orageuse avait fait la puissance de Plonger, et ménage un dénouement inattendu, qui séduira les lecteurs soucieux de mettre un point final. 

Pour vous si...
  • Vous êtes un amoureux de l'Italie et des îles grecques ;
  • Vous n'avez pas vraiment su dire adieu à Paz.

Morceaux choisis

"J'étais heureux pour eux, moi, le veuf, l'inconsolé, le prince à la tour sexuelle abolie." (Alors là, non Christophe, je m'insurge. On ne déforme pas Nerval pour en faire n'importe quoi, quelle idée absurde!)

"Je m'étais mis à l'espionner. Regarder la vie des autres, n'était-ce revivre un peu?"

"Ils sont jeunes, et moi j'ai mille ans. Je me tire."

"_Pina était toute jeune. Elle travaillait dans une galerie d'art qui consacrait précisément une rétrospective à ce John De Andrea. Nikos a acheté l'expo entière. Et il a embarqué Pina avec toutes les statues, dans un grand camion, à la barbe de tout le monde.
_Il l'avait endormie puis déshabillée, alors?
_Je ne sais pas dans quel ordre. C'est leur légende. Mais moi ça me plaît, parfois, de croire au merveilleux." (Hum. Reprenons. Donc, le merveilleux, c'est le prince qui débarque, étale son flouze sur la table et se barre en embarquant la paysanne comme l'une des choses qu'il vient d'acheter?... Je ne sais pas si cette conception très capitaliste et machiste du merveilleux fait vraiment rêver les foules... Pour ma part, je suis à deux doigts de retapisser mon salon d'une bile nerveuse et verdâtre.)

Note finale
2/5
(pas mal)

mercredi 12 juillet 2017

La terre qui les sépare, Hisham Matar

La chronique du jour porte sur un roman choisi par hasard, parce qu'il faut laisser une chance aux outsiders aussi. 
L'auteur, Hisham Matar, de nationalité libyenne et américaine, n'a en réalité rien d'un débutant, et a déjà fait une entrée remarquée sur la scène de la littérature internationale.
Sa dernière oeuvre, La terre qui les sépare, vient de remporter le Prix Pulitzer de la biographie.


Libres pensées...

Jaballa Matar, ancien colonel de l'armée libyenne, a été une figure majeure de l'opposition au régime de Khadafi dès 1969.
Après avoir été arrêté et détenu en 1970, il devient homme d'affaires, et en 1979, émigre en Egypte avec sa famille.
En 1990, il est arrêté de nouveau, cette fois par les autorités égyptiennes, et sa famille ne l'a plus jamais revu.

Dans son roman, Hisham Matar, son fils, tâche de retrouver sa trace, de savoir si son père est toujours en vie, et, s'il ne l'est pas, ce qui lui est arrivé depuis sa disparition, il y a presque trente ans.

Recoupant les différents témoignages qu'il a pu recueillir, faisant pression sur la Chambre des Lords en Angleterre, son pays d'adoption, tâchant de négocier des informations auprès de Mandela ou même directement de Seif, le fils de Khadafi, Hisham Matar tente par tous les moyens de découvrir la vérité.

Au-delà de ce que le récit révèle du fonctionnement de la dictature de Khadafi et des enjeux politiques secouant le régime Libyen après la disparition du dictateur, l'auteur relate ses tentatives en utilisant un ton factuel, comme une enquête minutieuse où pourtant le désespoir guette.
Le roman alterne les époques, les souvenirs resurgissant alors que l'auteur investigue, et que la même question revient le taraudant sans cesse : son père est-il encore en vie?

La situation singulière et terrible dans laquelle il se trouve fait naître des préoccupations et des pensées profondes autour de la mort et de l'absence.
Car si son père a disparu depuis près de 30 ans, et si l'hypothèse de sa mort est nécessairement abordée, le lecteur est amené à concevoir le désarroi dans lequel l'ignorance de la date possible de la mort peut plonger l'auteur, car alors, cela reviendrait à envisager que son père puisse être mort depuis des années sans qu'il n'en ait rien su, sans qu'il n'en ait rien senti.
A l'inverse, quand décider d'abandonner, quand juger que la quête est parvenue à son terme, sans avoir la preuve concrète de la mort de son parent, d'un être aimé quel qu'il soit?

Ainsi, le jeu dans lequel l'entraîne Seif est perturbant et difficile à jauger : quel est le but de ses manigances, dispose-t-il réellement d'informations relatives au sort de Jaballa Matar, ne cherche-t-il qu'à sauver la face, à minimiser une menace sur le jeune régime Libyen à l'époque où la recherche de Hisham Matar trouve de l'écho dans la presse étrangère?

Les tourments et les obstacles rencontrés par l'auteur bousculent, tant ils recouvrent une violence, un vertige inouïs. On ne peut qu'être ébranlé par l'humilité de Hisham Matar, sa persévérance, les pensées intimes qu'il partage et la cruauté de l'ignorance qui l'accable.

La terre qui les sépare est davantage qu'un récit à tendance autobiographique, c'est un témoignage exceptionnel sur le sort des opposants au régime libyen au cours du dernier demi-siècle, tout autant qu'un texte d'une sensibilité rare abordant des questions qui se situent au fondement de la condition humaine. 

Pour vous si...
  • Vous n'avez pas peur de certaines histoires vraies
  • Vous n'êtes pas très au point sur l'histoire récente de la Libye

Morceaux choisis

"Elle était là, notre terre. Roussie et jaune. De la couleur d'une peau fraîchement cicatrisée. Peut-être serais-je finalement libéré. La terre se fit plus sombre. Le vert commençait à percer, couvrant finement les collines. Et, soudain, ce fut la mer de mon enfance. Les exilés ont si souvent tendance à construire une vision romantique du paysage de leur patrie. Je me suis prémuni contre cela. [...] En mon for intérieur, cependant, je continue de trouver que la lumière de chez nous est incomparable."

"Le pays qui sépare les pères et les fils a désorienté plus d'un voyageur. Il est très facile de s'y perdre. Télémaque, Edgar, Hamlet et d'autres fils innombrables, dont le drame intime égrène les heures de silence, ont vogué si loin et parcouru de si longues distances entre le passé et le présent qu'ils semblent pour toujours à la dérive."

"Le fait de ne pas savoir quand mon père a cessé d'exister a complexifié ma conception de la frontière entre la vie et la mort."

"Lorsqu'on sort de prison après une peine si longue, on prend soudain la pleine mesure de l'injustice. C'est seulement à ce moment-là qu'on se rend compte combien de temps a passé, que l'on constate que le monde a changé et que l'on voit tout ce qui a été perdu."


Note finale
5/5
(coup de cœur)

mardi 11 juillet 2017

Vernon Subutex 3, Virginie Despentes

Enfin, le tome 3 de Vernon Subutex a déferlé en librairie.
Je n'en pouvais plus d'attendre.
Zoom sur un succès à partager. 


Libres pensées...
(attention spoilers)

Nous retrouvons Vernon au mieux de sa forme, propulsé gourou d'une petite communauté qui vit à l'écart de l'agitation urbaine, et ne va en ville que pour refaire ses stocks de toute sorte. Après la torture subie par Dopalet, ce dernier n'a qu'une chose en tête : retrouver les deux gamines et leur faire payer. Quant à Charles, qui est resté proche de la communauté de Vernon, il meurt en laissant derrière lui la Véro, sa compagne, à la tête d'une petite fortune gagnée au loto, dont  il n'avait parlé à personne, et dont il lui demande de remettre une part à Vernon.

Retrouver la prose de Despentes est un péché mignon que le temps ne dément pas, une bouffée d'air qui pulvérise l'apnée provoquée par les romans au ton suranné et déjà vu. L'oralité est toujours de mise, tout comme les nuances qui caractérisent les personnages croisant la route de Vernon, qu'il s'agisse de la Véro, de Dopalet ou de la Hyène, qui évolue de manière intéressante.

Cette fois, l'on prend plaisir à découvrir les affres d'une communauté moderne, dont on pourrait se demander si elle ne ressemble par moment à une drôle de secte, Vernon semblant être devenu son gourou sans rien faire pour cela, et les affres de la vengeance fomentée de longue date.

Les pages défilent, on se laisse prendre complètement au jeu, l'auteur ourdit les événements de telle sorte qu'ils nous semblent tout à la fois aléatoires et découlant d'une mécanique implacable. A cet égard, l'issue est terrifiante, et s'inscrit parfaitement dans la trame en y trouvant ses causes, laissant le goût amer de l'injustice perpétrée dans la violence.

La proximité entre ce que vivent les personnages et l'actualité de ces dernières années confond le lecteur, car Vernon devient spectateur comme lui, assiste aux moments marquants de 2015 et 2016, il se coule dans un quotidien qui est le nôtre.

Et puis, Despentes explore, dans les toutes dernières pages, une piste inattendue, en se projetant dans le futur, dessinant les contours de ce que Vernon Subutex aura malgré lui initié, l'inscrivant dans le devenir d'une société déjà malade, qui porte les germes de ce qui s'affirmera demain, la pénurie d'énergie, en particulier, et ses retombées dramatiques. En six pages, Despentes balaye tout ce que l'on croyait savoir de la saga, s'aventure dans un genre qui n'a strictement rien à voir avec les trois tomes dont on parvient au terme, et dévoile un talent certain en la matière.
C'est perturbant, impertinent, et pourtant, d'une certaine façon, c'est également brillant.
Finalement, c'est bien du Despentes. 

Pour vous si...
  • Vous ne voulez pas manquer le dernier tome de l'une des grandes sagas du XXIe siècle.

Morceaux choisis

"Mais ce n'est qu'une fois parvenu sur le quai qu'il identifie ce qui le dérange, depuis leur arrivée. L'odeur. Paris est un cloaque olfactif - mélange de pourriture d'air vicié d'odeurs corporelles de parfums de senteurs de fer et de machine de saleté et de produits chimiques. Vernon prend conscience qu'il est en apnée. Depuis des mois il respire partout où ils sont, chaque nouveau spot a son odeur, le rendant particulier et unique. Ici, pour la première fois depuis longtemps, il refuse de sentir où il est."

"Voyant que Dopalet traverse la rue avec difficulté, le chauffeur descend pour lui ouvrir la portière. C'est fou ce que le service des G7 s'est amélioré depuis qu'ils ont eu chaud au cul avec Uber. Comme quoi, le bâton reste la meilleure stratégie pour faire évoluer les choses."

"Elle a perdu son humanité rapidement. Ce qu'on appelle dignité, quand on n'a jamais été exposé à la torture quotidienne. On s'en fait tout un monde, mais c'est la première chose qu'on perd."

Note finale
4/5
(très bon)

lundi 10 juillet 2017

La tresse, Laetitia Colombani

C'est LE roman de l'été, celui dont parlent les blogueurs et la presse depuis des semaines, exposant son auteur à une médiatisation subite et sans doute envahissante. Je me suis à mon tour laissé tenter par le roman à la couverture jaune. 


Libres pensées...

La tresse raconte l'histoire de trois femmes : Smita, Intouchable en Inde, qui décide de s'enfuir et de se battre pour que sa fille bénéficie d'une éducation, apprenne à lire et à écrire; Giulia, sicilienne, qui se retrouve du jour au lendemain à la tête de l'entreprise de son père et doit lui éviter la faillite, et Sarah, business woman canadienne carriériste qui apprend un beau jour qu'elle est gravement malade.

Les chapitres sur chacune de ces trois femmes s'alternent, et progressent en parallèle, jusqu'à nous révéler, comme l'on peut s'y attendre, ce qui les lient entre elles.

Il y a de très jolies choses dans ce premier roman de Laetitia Colombani : tout d'abord, un sens du récit qui semble naturel et qui appâte immédiatement l'intérêt du lecteur, grâce à des effets d'annonce et de projection, la création de suspense, et le fait que l'auteur se concentre sur des faits et des pensées abordables, retranscrits avec simplicité.

A cela s'ajoute la question sociale qui sous-tend les trois parcours, à savoir, le sort des Intouchables en Inde, et en particulier des femmes de cette caste, les enjeux financiers et d'innovation pour faire vivre une entreprise familiale grâce à laquelle survivent plusieurs ouvrières, et la pression qui s'exerce sur les femmes dans certains milieux professionnels où la compétition fait rage.

Les sujets choisis sont habilement reliés, actuels, et le rythme équilibré, si bien que la lecture de la tresse est rapide et agréable, elle conviendra sans surprise à un très large public.

Deux petits bémols cependant, dont le premier m'a été inspiré par nul autre que Yann Moix, qui s'est fait un plaisir de tacler un peu l'auteur lors de son passage dans l'émission ONPC : indubitablement, le roman aborde des sujets dont on imagine difficilement qu'ils pourraient susciter des réactions diverses parmi le lectorat. La situation de Smita, comme celle de Sarah, est révoltante, pour des motifs différents mais néanmoins évidents. A cet égard, l'auteur ne prend guère de risques, si bien que certains lecteurs ou critiques pourraient lui en faire le reproche. Néanmoins, il faut garder en tête qu'il s'agit d'un premier roman, et non l'oeuvre d'un écrivain chevronné.

Par ailleurs, la fin m'a laissée sur ma faim, et m'a paru à la fois attendue et rapide, expédiée. J'aurais apprécié davantage une version plus élaborée.

La tresse est donc un premier roman très réussi, qui présente des faiblesses relatives, mais mérite résolument d'être lu, ne serait-ce que pour le message - certes déjà vu, mais qu'il est toujours bon de rappeler - qu'il véhicule sur la condition des femmes dans certaines régions du monde. 

Pour vous si...
  • Vous n'êtes pas réfractaire aux romans qui s'attaquent à des sujets fédérateurs
  • Vous ne lisez que des livres qui passent avec succès le test de Bechdel

Morceaux choisis

"Mais pour l'instant, ce n'est pas le moment. Sarah quitte l'hôpital, contre l'avis de l'interne.
Pour l'instant, tout va bien.
Tant qu'on n'en parle pas ça n'existe pas." (une stratégie que nous avons tous expérimentée, et qui est toujours complètement foireuse. Même François Fillon a du mal à s'en sortir.)

"Cette histoire, Smita la connaît. Pas besoin de la lui rappeler. Elle sait qu'ici, dans son pays, les victimes de viol sont considérées comme les coupables. Il n'y a pas de respect pour les femmes, encore moins si elles sont Intouchables. Ces êtres qu'on ne doit pas toucher, pas même regarder, on les viole pourtant sans vergogne. On punit l'homme qui a des dettes en violant sa femme. On punit celui qui fraye avec une femme mariée en violant ses sœurs. Le viol est une arme puissante, une arme de destruction massive. Certains parlent d'épidémie."

"Inès est fine, elle est politique, selon l'expression consacrée, un mot élégant pour dire : fourbe, pour dire :  qui va dans le sens des puissants. Un mot qui signifie : qui n'a pas peur des coups bas."

Note finale
3/5
(cool)

mercredi 5 juillet 2017

Le sel, Jean-Baptiste del Amo

Vous connaissez ma dernière marotte en date, à savoir, mon béguin pour les livres de Jean-Baptiste Del Amo, découvert l'an dernier avec Règne animal,  et dont j'ai adoré, plus récemment , Une éducation libertine.
Je poursuis mon exploration, avec la lecture de son premier roman, Le sel. Miam.


Libres pensées...

Louise a élevé ses trois enfants auprès d'Armand, époux alcoolique et violent, qui a régné sur sa famille en maître toute sa vie durant.
Alors qu'Armand est mort, son fantôme hante encore les relations que Louise entretient avec Fanny, sa fille aînée, Albin, qui a toujours voulu marcher dans les traces de son père, et Jonas, le fils cadet, rejeté par son père dès son plus jeune âge, et dont l'homosexualité n'a guère été acceptée par ses proches.

J'ai eu plaisir à retrouver un exercice dans lequel Jean-Baptiste Del Amo excelle : l'observation et l'étude des relations familiales, la somme des non-dits qui séparent les uns et les autres, la rancœur et le ressentiment nourris au fil des années, la violence sous sa forme brute, la tendresse qui émerge aussi parfois.

Comme dans Règne animal, il est fascinant de découvrir la palette de nuances avec laquelle compose l'auteur, la richesse de la psychologie des personnages qu'il rend vivants devant nous : ainsi Albin, pour lequel le lecteur ressent immédiatement de l'antipathie, et qui se révèle plus complexe qu'on ne l'aurait crû d'abord, et en souffrance lui aussi, tout comme son frère et sa sœur, bien que son malaise s'exprime différemment.

La relation au père est bien entendu sondée en profondeur, à travers le vécu très varié des trois enfants d'Armand, mais l'auteur explore également la relation qui s'est construite avec leur mère, qui les a laissés exposés à la violence de son époux, a vécu dans son ombre, et les a regardés s'éloigner chacun à leur manière. Quant au lien qui liait Louise à Armand, il est aussi interrogé au travers des souvenirs, de l'introspection de Louise des années après la disparition de son mari.
Car les souvenirs se mêlent au présent, l'éclairent, créent une sorte de double-fond.

L'écriture est différente de celle, très littéraire, qui caractérise Une éducation libertine, elle est ici plus directe, plus intime aussi. Un constat qui renforce encore l'aura et le talent de l'auteur, décidément à l'aise dans des univers éloignés, et qui, m'est avis, n'a pas fini de nous impressionner.


Pour vous si...
  • Vous êtes un grand amateur de romans familiaux ;
  • Vous en avez assez du cadre parisien, et vous frotteriez bien à une ville du sud. 

Morceaux choisis

"Armand était un être singulier, Louise n'avait pas la prétention de l'avoir connu. Ils avaient vécu l'un près de l'autre, ne partageant en réalité que de courts instants, des éclats fugaces qui les réunissaient. Dès lors, comment pouvait-elle prétendre savoir qui était Armand? Louise voulait croire que l'image la plus approchante de l'homme qu'il fut était au confluent de leurs souvenirs à tous, des siens et de ceux des enfants, mais peut-être Armand leur échappait-il encore."

"Puis l'été avait passé, engloutissant dans l'oubli la plage du Grand-Travers et le corps des hommes. Etait resté le souvenir d'une seule chair, assemblage de dizaines d'autres, l'arrière-goût d'une longue et douloureuse jouissance à la saveur de sel. Sète s'y était substituée par d'autres errances."


Note finale
3/5
(cool)

mardi 4 juillet 2017

Soyez imprudents les enfants, Véronique Ovaldé

J'ai vu Véronique Ovaldé - que j'ai d'abord confondue avec Véronique Olmi - il y a quelques mois dans La Grande Librairie, où j'avais été attentive à ce qu'elle disait des doutes sur le métier d'écrivain provoqués par l'arrivée d'enfants dans la vie, car nul n'est sans savoir que l'événement a un sale impact sur le temps libre des nouvelles mamans. Bref, de fil en aiguille, j'ai bien eu envie de lire son dernier roman, dont elle était justement venu parler. 


Libres pensées...

Une jeune fille, Atanasia, fascinée par un peintre mystérieusement disparu et qui continue à vendre ses toiles, Roberto Dias Uribe, tâche de retrouver sa trace.

L'auteur capture immédiatement l'intérêt du lecteur, avec une scène d'ouverture glaçante qui frappe les esprits, et crée un suspense qui reste en tête, alors que l'intrigue démarre en introduisant la protagoniste, Atanasia,et ses tribulations.

Grâce à un ton qui vogue du léger au grave, au sentiment de proximité créé avec le lecteur, au cadre dans lequel évolue l'intrigue (l'histoire familiale), et au mystère entourant le personnage de Roberto Dias Uribe, qui n'est appréhendé qu'en creux, au travers de la passion qu'Atanasia lui voue, l'auteur construit un roman original, fantaisiste, et des protagonistes attachants.

Par ailleurs, j'ai apprécié découvrir l'histoire de la famille d'Atanasia durant la période franquiste, et le choix de l'époque comme du lieu constituent à mon sens des ingrédients qui contribuent à la valeur et à l'intérêt de l'intrigue.

En bref, une lecture agréable et prenante, qui donne envie de découvrir davantage Véronique Ovaldé!


Pour vous si...
  • Vous aimez que l'on vous raconte des histoires...
  • ...et raffolez des rendez-vous manqués.

Morceaux choisis

"A treize ans et demi, malgré mes efforts nocturnes pour dormir les bras serrés contre mon torse afin que mes seins ne poussent pas, la puberté me tombe dessus et le médecin de famille annonce à ma mère, "Elle ne grandira plus". A partir de ce moment j'ai l'impression de vieillir. [...] Ne me faites pas croire à l'expansion de l'univers. Chaque jour je m'enfonce un peu plus dans la terre sableuse de notre bout de jardin."

"Je crois que ce que je déteste le plus au monde ce sont les questions qui commencent par pourquoi. C'est à toi de trouver les raisons aux événements. Je peux te dire "comment" je me suis intéressé à lui. Mais en aucun cas tu ne peux attendre de moi que je réponde à une question qui commence par pourquoi. Ce serait comme de demander à un peintre pourquoi il peint plutôt des femmes nues que des dahlias, et à un écrivain pourquoi son personnage s'appelle Pierre-Alexandre plutôt que Jean-Baptiste et pourquoi celui-ci choisit de se donner la mort à la fin du livre avec du cyanure plutôt qu'avec de l'arsenic. Une question qui commence par pourquoi est une question paresseuse."


Note finale
3/5
(cool)

lundi 3 juillet 2017

Top de juin

Et bien voilà, le jour "le plus long de l'année" est déjà derrière nous (le 21 juin), il ne nous reste que juillet et août pour nous consoler de l'hiver approchant... Face à ce tableau apocalyptique, je vous propose de nous réconforter en parcourant le top de juin. 



En cinquième position, un roman qui m'a plu pour l'immersion qu'il propose dans le monde de la petite entreprise française, les enjeux qu'il souligne, que l'on connaît bien, mais qu'il est intéressant d'aborder depuis un nouveau point de vue. 



Voyage en Corée, loin des rues colorées et animées et Séoul, et direction Sokcho, une bourgade calme où la protagoniste, une jeune fille travaillant dans une pension, se prend d'intérêt pour un voyageur français qui l'intrigue. 



Roman politique haletant et très accessible, La plume fait à mon sens partie des grandes sorties de l'année, permettant à son auteur de faire une  entrée réussie en littérature. On attend impatiemment le prochain. 



Amoureux des mots et des trésors qu'ils recèlent, Stéphane de Groodt nous propose des chroniques hilarantes et hautes en couleurs, où bagout et politiquement incorrect se côtoient pour notre plus grand bonheur.

1. La jeune fille et la guerre, Sara Novic


Un premier roman dans lequel la protagoniste, d'origine croate, revisite la guerre qui a fait imploser la Yougoslavie dans les années 90, alors qu'elle part sur les traces de son histoire familiale. L'auteur a le mérite de mettre en lumière un pan parfois ignoré de l'histoire de la Croatie - que l'on oublie souvent dès qu'il s'agit de cette période récente -, et se distingue par un style fluide et une intrigue maîtrisée. Prometteur!