jeudi 17 août 2017

La disparition de Josef Mengele, Olivier Guez

Poursuite de la découverte de la rentrée littéraire, avec un roman dont le titre fait déjà froid dans le dos, La disparition de Josef Mengele...
L'auteur est journaliste, a vécu aux quatre coins du globe, et nous entraîne sur les traces de l'Ange de la Mort. 


Libres pensées...

Dans une enquête minutieuse et néanmoins romancée, l'auteur revient sur la disparition de Josef Mengele, médecin à Auschwitz, à l'issue de la Seconde Guerre Mondiale, et les décennies qu'il a vécues libre en Amérique du Sud, jusqu'à sa mort en 1979.

On suit donc ses mouvements, son arrivée en Argentine, où il se rapproche du cercle Dürer, d'autres nazis en fuite qui ont gagné l'Amérique du Sud et vivent dans la nostalgie absolue du Troisième Reich, persuadés que les Allemands sont toujours attachés au nazisme qui a encore de beaux jours devant lui en dépit de la récente déconfiture. A plusieurs reprises, il va changer de pays, avec l'aide d'alliés qui le tiennent informés des recherches lancées en Europe, passant ainsi au Paraguay, puis au Brésil. Il épouse la veuve de son frère, sombre dans une paranoïa pas totalement injustifiée, échappe de justesse aux autorités à ses trousses plusieurs fois, vit reclus dans une ferme pendant des années auprès d'une famille qu'il paie grassement pour ses services.
Toujours à l'affût, il passe ses journées à cultiver les souvenirs de sa grandeur passée, et à se plaindre de ses congénères. Alors qu'il est un vieil homme, il essaie par tous les moyens de convaincre son fils de lui rendre visite, mais même lors de cette ultime confrontation, il ne montre aucun remords, et continue à vouer admiration et respect à l'entreprise menée par Hitler, à laquelle il est fier d'avoir contribué, parlant d'un autre temps dont son fils ne peut rien comprendre.

La lecture du roman est haletante, l'auteur parvenant habilement à restituer l'appréhension dans laquelle vit Mengele, craignant que ses détracteurs ne trouvent sa trace et qu'il ne fasse l'objet d'un procès. Le lecteur observe un homme défait, en fuite, frustré de ne pas obtenir la reconnaissance dont il a toujours été avide, qui agit et pense comme un homme incompris.
Il est fascinant de voir le personnage incapable de se confronter à ses actes, maintenant la même posture et ressassant les mêmes arguments lorsqu'un tiers lui demande des comptes, à l'instar de son propre fils.

Le comportement de ses proches donne aussi à réfléchir; car si certains désavouent les actes de Mengele qu'ils ignoraient, ils maintiennent néanmoins le secret sur sa localisation, et il faudra des années avant qu'ils ne révèlent l'endroit où il repose, longtemps après sa mort.

L'écriture, journalistique, facilite une immersion rapide, et rend le récit abordable, ce qui se prête au sujet, dans la mesure où la figure de Mengele exerce une certaine fascination populaire, incarnant si parfaitement le mal, l'horreur, l'inhumanité.
Le fait qu'il ait pu échapper des décennies durant à la justice renforce son mythe, et en cela, la démarche de l'auteur est salutaire, car elle lui rend figure humaine (si l'on peut dire...), dévoilant ses manigances pour se tenir à l'abri des autorités, et montrant un homme rance, aigri, égoïste, persévérant dans ses convictions car il n'a pas d'autre échappatoire pour vivre avec lui-même.
Un homme, en fin de compte, qui inspire un grand mépris. 

Pour vous si...
  • Vous n'aimez pas qu'un mystère reste irrésolu ;
  • Cela dit, vous n'êtes pas trop à cheval non plus sur les happy endings, où les méchants sont punis et les gentils heureux jusqu'à la fin des temps. 

Morceaux choisis

"Les hommes du cercle Dürer ne croient pas à la "démocratie" imposée par les Alliés. Leur patrie adorée n'a pas changé d'un coup de baguette magique, c'est impossible. Ils suivent l'actualité et la commentent dans leur revue dont le tirage ne cesse d'augmenter, malgré la censure et les interdictions. Ils savent que leurs compatriotes sont nostalgiques de l'Empire wilhelmien et des premières années du Troisième Reich, qu'ils ne croient pas aux "atrocités" perpétrées dans les camps et qu'ils ont crié à la vengeance des vainqueurs après les procès de Nuremberg. Ils en sont convaincus, les Allemands n'ont pas désavoué le nazisme. [...] Si la planète ne s'était pas liguée contre l'Allemagne, le nazisme serait toujours au pouvoir."

"[1956] Le monde découvre peu à peu l'extermination des juifs d'Europe. De plus en plus de livres, d'articles, de documentaires sont consacrés aux camps de concentration et d'extermination nazis. [...] On parle de crimes contre l'humanité, de solution finale, de six millions de juifs assassinés.
Le cercle Dürer nie ce chiffre. Il se félicite de l'entreprise d'extermination mais n'évalue qu'à trois cent soixante-cinq mille le nombre de victimes juives ; il dément les meurtres de masse, les camions et les chambres à gaz ; les six millions ne sont qu'une falsification de l'Histoire, une énième manigance du sionisme mondial afin de culpabiliser et d'abattre l'Allemagne après lui avoir déclaré la guerre et infligé des destructions épouvantables."

"Mengele, ou l'histoire d'un homme sans scrupules à l'âme verrouillée, que percute une idéologie venimeuse et mortifère dans une société bouleversée par l'irruption de la modernité. Elle n'a aucune difficulté à séduire le jeune médecin ambitieux, à abuser de ses penchants médiocres, la vanité, la jalousie, l'argent, jusqu'à l'inciter à commettre des crimes abjects et à les justifier. Toutes les deux ou trois générations, lorsque la mémoire s'étiole et que les derniers témoins des massacres précédents disparaissent, la raison s'éclipse et des hommes reviennent propager le mal."

Note finale
4/5
(très bon)

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