lundi 4 septembre 2017

La distance qui nous sépare, Renato Cisneros

Direction le Pérou, avec un roman biographique que Renato Cisneros écrit sur son père, un personnage emblématique de la scène politique péruvienne, El Gaucho Cisneros. 


Libres pensées...

Renato Cisneros enquête sur son père, « El Gaucho » Cisneros Vizquerra qui a été un général influent dans le gouvernement péruvien, pressenti à plusieurs reprises pour devenir président, ayant cultivé des amitiés avec des militaires argentins membres de la junte pendant la dictature, et n’ayant jamais caché son admiration pour Pinochet. En privé, il avait été follement amoureux de Beatriz qu’il n’avait pu épouser, s’était marié avec Lucila dont il avait eu plusieurs enfants, avant de la quitter pour Cecilia, dont il avait eu trois enfants, sans pouvoir divorcer de Lucila.

Après avoir contextualisé et exprimé les motifs qui sous-tendent son récit, l’auteur suit une certaine chronologie en retraçant l’histoire familiale, les rencontres de son père avec les femmes de sa vie, avant d’en venir plus précisément à sa carrière et à son rôle en politique, pour finir par ce qui le touche au cœur, sa relation personnelle avec lui.

Le lecteur est dérouté par la curiosité tendre que voue le narrateur à son père, auquel le roman se consacre, et les faits qu’il exhume peu à peu, et qui révèlent un personnage aux nombreux travers, qui a côtoyé des tortionnaires et a défendu des positions extrêmes.

Lorsque, sous le masque de l’homme public, transparaît le visage de l’homme qu’il était en privé, le lecteur est frappé par la cohérence de ses opinions, et leur caractère peu humaniste – El Gaucho se montre homophobe, favorable à la peine de mort, fait des déclarations virulentes à la presse…

Homme de pouvoir autoritaire et exigeant, El Gaucho suscite, à travers le portrait qu’en brosse son fils, répulsion et fascination. Les autres personnages du roman sont secondaires, la relation sous-tendant le récit étant avant tout celle, tumultueuse, du père et du fils.

L’auteur, pour sa part, tâche de se montrer neutre et de restituer ses propres souvenirs pour étayer la documentation et les témoignages qu’il exploite.

Alors que fleurissent les récits familiaux dans la littérature, où les auteurs relatent la vie de leur aïeul, le récit de Cisneros se distingue à la fois par l’influence de son père dans la vie politique et publique de son pays, le Pérou, et par sa personnalité autoritaire qui en fait un anti-héros. Il est frappant de voir que l'auteur ne cherche pas à acquérir le lecteur à sa cause, et le faire aimer son père, car il ne dissimule pas les opinions et positions que El Gaucho a défendues.

Ainsi, il me semble que le roman interpelle, de par la démarche intéressante et assurément malaisée de son auteur.

Pour vous si...
  • Vous êtes un grand supporter des anti-héros dans la littérature.
  • Vous êtes familier de l'Histoire politique récente du Pérou, ou vous laisseriez tenter par un livre qui la prend pour cadre. 

Morceaux choisis

"Dans son programme, El Gaucho propose une nouvelle fois la peine de mort, mais plus seulement pour les terroristes, également pour les fonctionnaires corrompus et les narcotrafiquants. "Mais la cible principale, ce sont les terroristes, je veux parler de ces dirigeants qui ne tomberont jamais pour des délits prévus par la loi, et ces soi-disant théoriciens qui ne seront jamais arrêtés les armes à la main, car ils se contentent d'être les auteurs intellectuels des attentats et des assassinats", expliquait-il."

"La poésie a été la seule discipline ou le seul terrain où j'étais meilleur que lui, plus informé, plus expérimenté. Dans tous les autres domaines de la connaissance son intelligence et son flair de limier me battaient à plates coutures, mais la poésie me permit de le dépasser, elle me permit d'évaluer sa culture inexistante, la pauvreté de ses lectures littéraires, son indigence artistique faite de reproductions, d'imitations de natures mortes célèbres, de porcelaines de Capodimonte, de petits vers sans relief d'Amado Nervo ou de tangos du célèbre Gardel."

"Il est contradictoire mais symptomatique que mon père défendît mes rêves devant ma mère et qu'il ne parlât jamais des siens. Il parlait de ses projets, jamais de ses rêves. C'était un rêveur qui ne rêvait pas ou qui ne racontait pas ce qu'il rêvait. Il était tellement attaché au monde concret, croyait si peu à la dimension onirique de l'existence, qu'il n'aurait pas été étonnant qu'un réflexe cérébral ait empêché son esprit de produire des rêves."

"Ma mère n'a jamais été un problème. Elle a toujours été là pour moi. Son amour était garanti. Elle ne m'abandonnerait jamais. Pas toi. Toi, tu étais un individu mythique. Un être utopique, qu'on voyait sur les journaux, qui portait un uniforme comme une autre façon de se cacher. C'est toi que j'avais besoin de conquérir. Ma mère était réelle, de chair et d'os, elle ne passait jamais à la télévision. Elle représentait une partie tangible du monde. En revanche, toi tu étais, même à l'époque, une lueur vacillante, rapide et inatteignable."

"Peut-être est-ce cela écrire : inviter les morts à parler à travers soi."


Note finale
3/5
(cool)

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