vendredi 13 octobre 2017

Le courage qu'il faut aux rivières, Emmanuelle Favier

L'un des romans les plus attendus de la rentrée littéraire, avec un titre qui a le mérite d'être facile à retenir, tant il sort de l'ordinaire : je vous parle aujourd'hui du premier roman d'Emmanuelle Favier, Le courage qu'il faut aux rivières


Libres pensées...

Manushe est une "vierge jurée" : adolescente, elle a renoncé à se marier et à juré de garder sa virginité, en contrepartie d'un statut proche de celui accordé aux hommes dans le village où elle vit. Elle a ainsi la liberté d'aller et venir comme les hommes, de chasser comme eux, de vivre seule, d'assister aux conseils du village, elle est consultée sur des décisions importantes.
Un jour, un jeune homme arrive dans le village, Adrian. Sa présence trouble Manushe, éveille en elle des élans de sensualité nouveaux.

L'histoire proposée par l'auteur est marquante de par sa nature insolite, tant au travers de son cadre que de ses protagonistes, des femmes qui ont enfoui leur identité sexuelle et y ont renoncé pour se faire une place dans un monde d'hommes, pour sortir du rôle traditionnel octroyé aux femmes.
La sensualité, la sexualité refoulées font surface à la faveur de rencontres inattendues, car elles couvent, menacent de surgir et d'ébranler le cours d'un quotidien qui a été acquis au prix d'efforts conséquents, de renoncements, de violences qu'elles se sont infligées.

La rudesse de l'environnement tranche avec les émotions à fleur de peau, que l'auteur décrit généreusement, délicatement.

Il est intéressant de constater qu'à travers les récits et parcours individuels de trois protagonistes (Manushe, Adrian, et une troisième protagoniste surprise), l'auteur offre une plongée dans les moeurs albanes des territoires reculés. Cela m'a bien sûr fait penser au texte d'Ismaïl Kadaré, Avril brisé, dont je vous parlais il y a peu, et qui mettait en présence deux civilisations se côtoyant dans un même pays, à une même époque, et que pourtant des siècles semblaient séparer.

J'ai apprécié, dans ce premier roman, la description poétique des mouvements intérieurs, des sens qui affluent soudain, après des années de silence imposé. Le texte est très adulescent à cet égard, il s'agit d'une sorte d'éveil aux sens. On pourrait dire qu'il y a comme une naïveté, qui est néanmoins mise en perspective par l'environnement parfois brutal, contraignant.

Le courage qu'il faut aux rivières est, à mon sens, un premier roman touchant, sur un sujet qui sort de l'ordinaire, par un auteur (autrice?) très prometteur.


Pour vous si...
  • Vous avez une passion cachée pour l'Albanie
  • Vous êtes fan du film Boys don't cry

Morceaux choisis

"Elle qui n'avait jamais été sensible à l'hostilité des montagnes éprouva d'un coup le vertige du précipice, vers lequel le flanc de pierre, immense et écrasant, semblait vouloir la pousser. Elle empêcha son regard de monter et continua d'avancer sur la route, saisie d'un mal de terre qui lui tournait la tête."

"Grelottant, les lèvres durcies, elle se traîna jusqu'aux vêtements de Manushe et plongea son visage dans les étoffes où résistaient les poussières de ses odeurs, les reliques amoureuses et fugaces d'une vie entraperçue. Elle se couvrit en tremblant des vêtements trop larges pour elle, se prostra dans leur chaleur évanouie et se laissa gagner par les secousses du chagrin et du deuil, tous ses muscles brisés par les coups, le froid et le désespoir se tendirent, elle crut qu'ils allaient craquer et l'espéra même, désirant en finir à son tour, mais un brusque haut-le-coeur déplia son corps."

"Le soleil était haut. Adrian rouvrit les yeux, sa joue chauffait doucement sous les rayons et la crudité du jour blanc lui dissimula un instant son malheur. Puis elle se souvint et tout autour d'elle reprit la teinte grise et nauséeuse de la vérité. Elle se redressa, percluse de douleurs et de détresses, les courbatures s'ajoutant aux plaies et aux contusions. Insecte à la mue délétère, elle se sentait mourir dans les décombres imaginaux de son amour."

Note finale
3/5
(cool)

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