jeudi 28 décembre 2017

N'oublie rien en chemin, Anne-Sophie Moskowicz

Je m'achemine doucement vers la fin de la sélection des 68 premières fois, avec un roman d'Anne-Sophie Moskowics, intitulé "N'oublie rien en chemin". Les conseils/injonctions ont la côte en matière de titre, à l'instar de "Ne parle pas aux inconnus", "Sauver les meubles", ou, une variante originale, "Soyez imprudents les enfants". Mais ici, Mossieur, on n'est pas du genre à s'arrêter à un titre, ah ça non, jamais ! 


Libres pensées...
(alerte spoiler)

A vingt ans, Sandra a vécu une passion fulgurante et éphémère avec Alexandre. Jusqu'à une rupture qui la hante encore, vingt ans plus tard. Alors que sa grand-mère Rikha vient de mourir, Sandra récupère les carnets dans lesquels Rikha a consigné les événements importants de sa vie, ceux dont elle n'a jamais voulu parler de son vivant - sa fuite dans les années 1940 alors qu'elle était enceinte, l'arrestation de son époux Aaron ensuite déporté et disparu à Auschwitz, et, à la fin de la guerre, le constat que tous leurs biens avaient été volés, jusqu'à l'appartement où ils vivaient.
Alors qu'elle part à la recherche de ces racines à travers le récit légué par Rikha, Sandra se remémore sa relation avec Alexandre, et leur séparation subite. Se pourrait-il que les deux histoires soient liées ?

Le contexte me faisait craindre le pire. Nous arrivons à une période où les jeunes auteurs (ou même les moins jeunes) sont nés deux (voire, presque trois) générations après leurs ancêtres ayant vécu la Deuxième Guerre Mondiale. Le XXe siècle a été ponctué de nombreux conflits et épisodes sombres, mais la Deuxième Guerre est celui qui a pris place sur le territoire métropolitain, et à ce titre, il est naturellement propice à une exploration, y compris 70 ans plus tard. Ainsi, lorsque les écrivains se tournent vers leur histoire familiale, ils se trouvent rapidement face aux non-dits et au flou de cette période peu reluisante.

Anne-Sophie Moskowicz s'éloigne néanmoins des démarches ordinaires, et décide de romancer à partir de ce que l'on devine être inspiré par sa propre histoire familiale.

Ainsi, alors que l'histoire de Rikha se dévoile, la narratrice, Sandra, se replonge dans l'épisode qui a été le plus marquant dans sa vie, et qui nourrit ses regrets. L'auteur parvient à mener joliment sa barque, puisque la révélation du lien entre les deux intrigues n'est pas évident au premier abord, et clarifie l'ensemble du roman une fois connu.

Bien entendu, le comportement d'Alexandre en particulier peut laisser circonspect. C'est en tout cas la réaction qu'il fait naître en moi : après les spoliations et les pillages de la Seconde Guerre, y a-t-il vraiment eu des descendants qui, soucieux de la manière dont leurs parents s'étaient appropriés certains biens, ont fait autant pour rendre à César ce qui appartenait jadis à César ? J'ai quelques doutes, même si mon coeur voudrait profondément que ce fût le cas.

Quoi qu'il en soit, j'ai été surprise de trouver dans N'oublie rien en chemin un récit bien mené, écrit agréablement, reposant véritablement sur une intrigue et s'écartant en cela du récit familial, de la recherche généalogique retranscrite du point de vue de l'auteur, sans distinction entre ce dernier et un potentiel narrateur.

Un beau début !

Pour vous si...
  • La lecture de L'administrateur provisoire vous a laissé sur votre faim, et un récit romancé sur le thème complèterait bien cette approche "historique".

Morceaux choisis

"Revoir Annie était génial. J'ai réalisé que c'était une personne fabuleuse et que j'avais de la chance de la connaître. Et j'ai repensé à cette vieille blague. Un type va chez le psychiatre et dit : "Mon frère est fou. Il pense qu'il est une poule." Le docteur dit : "Pourquoi ne le faites-vous pas enfermer ?" Le type répond : "J'y ai pensé, mais j'ai besoin des oeufs." Ca résume plutôt bien ce que je pense des rapports humains, qui sont complètement irrationnels, dingues et absurdes... Mais nous faisons avec, parce que nous avons besoin des oeufs."

"Tous les automnes défilent sous mes pieds.
L'été 1942 s'écrase aussi sous mes pas.
Je cours sur toutes ces saisons qui auront imprimé le destin de trois générations sur ces pavés.
Je cours sur ces pavés qui auront supporté des décennies de mensonges, de trahisons, de culpabilité.
Je cours sur la folie qui aura parfois sauvé la vie, parfois poussé deux êtres l'un vers l'autre, inexplicablement.
Je cours sur la raison qui aura poussé à dire non, qui aura stoppé le délire et impulsé finalement les bons choix aux uns et aux autres.
Je cours sur ce lien du sang qui aura été dépassé au nom des idéaux, au nom de la morale."

Note finale
3/5
(cool)

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