lundi 26 mars 2018

Apprendre à lire, Sébastien Ministru

Apprendre à lire est le premier roman de Sébastien Ministru, journaliste, chroniqueur radio, et auteur de pièces de théâtre. 


Libres pensées...

Antoine a la soixantaine, il est directeur de presse, et a une vie en apparence rangée auprès d'Alex, avec qui il vit depuis des décennies, et qu'il connaît par coeur. Il lui arrive de payer les services de prostitués, mais cela, Alex n'en sait rien. Un jour, son père, auprès de qui il a grandi après la disparition de sa soeur mais dont il ne se sent pas proche, lui demande de lui apprendre à lire et à écrire. Antoine s'exécute de mauvaise grâce, avant de faire une proposition à son père : engager quelqu'un pour lui enseigner cela à sa place, à savoir Ron, un jeune homme d'origine aisée qui s'est éloigné de sa famille et se prostitue dans l'espoir de gagner assez d'argent pour aller s'installer à Sidney et y devenir instituteur. D'abord fermement opposé à cette idée, le vieil homme fait la rencontre de Ron, et finit par s'habituer à lui, et même à l'apprécier.

J'ai beaucoup aimé Apprendre à lire.
Ce qui m'a plu, dans ce roman, c'est d'abord le style : dépouillé, simple, sobre peut-être, mais reflétant le quotidien d'Antoine et celui de son père. Il émane une sincérité, un réalisme des dialogues entre les deux hommes, et l'on sait que des dialogues réussis ne sont pas monnaie courante.

Ensuite, j'ai aimé les personnages : la personnalité ambivalente d'Antoine, qui cherche à concilier aussi simplement que possible des envies divergentes, qui cherche à être un bon compagnon, un bon fils, derrière une indifférence apparente, et que les sentiments rattrapent alors qu'il se croyait "rouillé", hors d'atteinte.
Le père d'Antoine, aussi, dans sa rusticité, son abord abrupt et sa manière bourrue d'exprimer ses manques, ses faiblesses, de vouloir maintenir entre son fils et lui une barrière pudique, et qui pourtant se préoccupe de son fils qu'il fait mine de ne pas comprendre.
Ron, enfin, plus insaisissable, qui joue le rôle de liant, qui s'appréhende en creux et qui est pourtant la pierre angulaire de ce récit, car l'on devine à travers lui la difficulté qu'ont Antoine et son père à se parler, à mettre de côté tout ce qui s'est dressé entre eux au fil des ans, mais aussi la solitude immense du père, et la béance laissée lorsque, un beau jour, Ron disparaît, laissant le vieil homme perdu, inquiet, sans réponse, sans ami.

C'est sans doute ce dernier point qui m'a le plus touchée, car elle met le doigt sur une réalité dont on parle, que l'on peut imaginer, sans forcément y être confronté soi-même, et qui pourtant est effrayante: s'imaginer vieillir seul.

Lorsque Ron a disparu, j'ai songé qu'il n'y avait qu'une issue qui pourrait faire d'Apprendre à lire un très beau roman. Par chance, c'est l'issue qu'a choisi l'auteur, évitant de verser dans une facilité romanesque qui aurait fait du récit un récit parmi d'autres du même accabit. Au contraire, Apprendre à lire est bel et bien un très beau roman sur la relation filiale, la solitude, et la liberté conférée par les mots qu'on lit et qu'on écrit. 

Pour vous si...
Morceaux choisis

"L'analphabétisme de mon père ne m'a jamais causé de problèmes. C'est un handicap qui, pour moi, n'en est pas un. Je n'ai jamais vu mon père s'en plaindre, ni en souffrir."

"_Mais à  quoi ça va te servir de savoir lire ?
_ A quoi ça va me servir ? Mais à lire. Peut-être que lire, ça fait mourir moins vite."

"Apprendre à lire et à écrire a calmé son impatience, même si - son impair de l'autre jour à table l'avait prouvé - il pouvait continuer à surprendre par ses manières brutales. Son écriture, malhabile, curieusement encombrée de courbes et d'arrondis, ne reflétait pas l'homme, mince, tendu et anguleux, que je connaissais. [...] J'ai été impressionné par les feuillets d'exercices qu'il m'avait montrés, non pas à cause de la qualité de leur calligraphie, mais par l'idée, un peu idiote, de voir pour la première fois l'écriture de mon père, de tenir entre mes mains cette chose qui était sortie de lui."

Note finale
3/5
(beau roman)

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